Local Gestures
because the personal is cultural
SYLVAIN VERSTRICHT : Tes pièces Grand singe et Belle manière étaient des duos axés sur le couple hétérosexuel. Pour Mygale, tu avais deux fois plus d'interprètes et, même s'ils évoluaient surtout indépendamment, il y avait une certaine tension due à leur proximité. Comment as-tu approché créer un spectacle avec une seule interprète? NICOLAS CANTIN : Ce projet est une rencontre entre deux personnes : Michèle Febvre et moi. C'est pourquoi, depuis le départ, je ne vois pas CHEESE comme un solo, mais comme un dialogue qui se jouerait à plusieurs niveaux. La première chose que j'ai demandée à Michèle Febvre lorsque nous nous sommes retrouvés en studio a été : parle-moi de toi. Dès notre premier rdv, j'ai aimé écouter Michèle. Petit à petit, un travail sur la mémoire a pris forme et des questions ont commencé à surgir : Qu'est-ce qui fait notre passé? Qu'est-ce qui reste de ce que nous avons été? Comment garder une image complète des personnes que nous avons connues? Qu'avons-nous oublié de nous? etc. SYLVAIN : Es-tu parti de ce dialogue pour créer la performance physique du spectacle ou est-ce que celle-ci est venue d'autre part? NICOLAS : L'objet que nous présentons est très simple. Le dialogue amorcé au début de notre recherche est le spectacle lui-même. Le spectacle tient tout entier dans cette parole (autobiographique) et dans les silences qui l'accompagnent. Il n'y a pas de performance physique à proprement parler, même si j'ai l'impression que le corps joue un rôle fort dans ce projet. SYLVAIN : Comme le spectacle fait partie d’un projet de recherche intergénérationnel initié par Katya Montaignac, vois-tu CHEESE comme une continuation de ton œuvre ou une parenthèse dans celle-ci? Qu'est-ce qui en fait un spectacle de toi, Nicolas Cantin? Est-ce que tu crois que ça va affecter d’une façon ou d’une autre ta propre recherche artistique en tant que metteur en scène/chorégraphe? NICOLAS : Je vois les commandes comme des accidents. CHEESE est un accident heureux. Ce projet me tient particulièrement à cœur car il élargit le spectre de ma recherche. C'est clairement un spectacle de moi car j'étais au volant de la voiture quand l'accident a eu lieu. Je ne peux pas dire mieux. À vrai dire, je pense que CHEESE pousse à un autre niveau mes obsessions sur la notion d'intimité, avec peut-être davantage de tranquillité. Ce projet affecte déjà la suite des choses. J'ai l'impression qu'un nouveau chapitre s'ouvre. 27-30 novembre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 25$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$
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Un corps. Un corps nu. Le corps d’une femme, nu. Le corps de Sofia Asencio. Le plancher, noir, reflète l’image de la danseuse. Ne parlons pas d’un double. Parlons plutôt de la faculté unique que l’être humain possède de pouvoir se reconnaître. Parlons du moi. Assise, les jambes entrouvertes comme deux arcs, elle fait tourner son corps. Il est exposé. Il roule jusqu’à ce qu’elle sorte du plancher, qu’elle se heurte à la première rangée de spectateurs, des trois côtés de la scène. Reconnaître l’autre. Le corps nu est vu. La conscience. La danse est une forme d’exploration, lente et délibérée. Chaque mouvement est isolé; chaque position, aussi. Dans cette immobilité transitoire, le corps s’inscrit dans l’histoire de l’art. On pourrait y voir un sujet de peinture; la vulnérabilité du nu, exposée. Tout ceci se déroule dans le silence. Notre corps est plus bruyant que le sien. On s’entend respirer. On s’entend avaler. On s’entend bouger. Son corps nu est vu. La conscience. Asencio s’assoit sur un banc, toujours nue, et nous offre un mini-cours sur la métaphysique d’Aristote. Malheureusement, sa parole est moins délibérée que son mouvement. Elle trébuche sur les mots, les répète pour tenter une correction. La ponctuation semble répandue de façon arbitraire. Difficile de comprendre. Elle quitte la scène pour nous laisser observer un foulard accroché à un ventilateur danser sur la musique de Nina Simone. (Les chorégraphes ont vraiment une obsession avec cette chanteuse.) De par sa simplicité, Introduction à l’introduction est le genre de spectacle qui devrait naturellement me plaire. Toutefois, il y a une lacune qui empêche l’œuvre de s’imposer. Peut-être que le solo sur plancher-miroir nous rappelle Lanx de Cindy Van Acker, qui était beaucoup plus dense. Peut-être que le mini-cours devrait précéder la danse, comme l’avait fait Jody Hegel et Jana Jevtovic avec The Parcel Project, performance toute aussi simple, mais beaucoup plus rafraichissante. Close, but no cigar. 6-8 novembre à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ Je suis critique de danse parce qu’il y a huit ans j’ai eu la chance de voir Carol Prieur incarner les dessins d’Henri Michaux. Aujourd’hui, ce sont les douze danseurs de la Compagnie Marie Chouinard qui se prêtent à l’exercice. Malgré les centaines de spectacles de danse que j’ai vus entre ces deux moments, l’effet demeure saisissant. Tentative d’explication. Henri Michaux : Mouvements Chouinard et ses danseurs font une lecture littérale des dessins à l’encre de Chine des Mouvements de Michaux. Non. Impossible. Ils font une traduction littérale de ses dessins. Mot à mot. Dessin à danse. D’un médium à un autre. Tout ne peut être qu’interprétation. Ce travail de traduction infuse la chorégraphie de positions, de mouvements inhabituels. Rien n’est, ne peut être littéral. Pour suivre ces instructions au pied de la lettre, il faut faire preuve d’imagination. C’est ça, la danse. À partir de contraintes, trouver des solutions créatives à travers le corps. Le corps est souvent perçu comme étant la prison de l’âme. La danse le nie. Elle lui donne sa liberté. Sans lui, rien. La prison, c’est le non-être; le non-corps. Mais, oui, lecture il y a. Lecture dans le corps. La course effrénée, de gauche à droite, de haut en bas, pour suivre l’ordre des dessins sur la page. Le temps de tourner la page : la brève attente, l’anticipation. What next? Le désir de lire. Gymnopédies Chouinard sort les Gymnopédies d’Erik Satie des annonces de salon funéraire et les emmène dans le Jardin d’Éden. Début de cocons; naissance des danseurs, nus. Des pointes, des jambes écartées, des genoux formants des angles de 90 degrés, un pont humain, une image rappelant bODY-rEMIX/les vARIATIONS gOLDBERG, autre œuvre de la chorégraphe. Parade de séduction avec une certaine dose d’autodérision. Merci, nez de clown! Danse animale, rituel d’accouplement, ébats amoureux, d’abord très hétéro, très sexuel, comme c’est souvent le cas chez Chouinard. La lumière comme fruit défendu : les danseurs sont vus, comme ils l’étaient déjà; ce qui change, c’est qu’ils voient qu’ils sont vus. La perte de l’innocence. Ils se cachent sous leurs couvertures. Retour au cocon. Renaissance qui demande qu’on renouvelle notre regard, qu’on se défasse de nos attitudes face à la nudité, au sexe, de notre fausse pudeur catholique. Rideau. Non. Fausse fin. Série de fausses fins. C’est drôle. Je me disais que les danseurs, qui ont dû apprendre à jouer les Gymnopédies au piano, doivent être écœurés de les entendre. C’est la version mélancolique de la chanson qui ne finit plus. Ce semble à propos que le spectacle ne finisse plus non plus. 31 octobre-2 novembre à 20h Théâtre Maisonneuve www.dansedanse.ca 514.842.2112 / 1.866.842.2112 Billets à partir de 34$ J’ai toujours tenu que 50% d’un spectacle de danse n’en tient qu’à l’éclairage. It can make or break a show. Avec Prismes, le chorégraphe québécois Benoît Lachambre y va à fond dans l’exploration de la lumière et des couleurs qu’elle révèle. On se doit donc de mentionner le travail vital de son éclairagiste, Lucie Bazzo. En début de spectacle, les six danseurs de Montréal Danse approchent les spectateurs pour leur faire subir des tests visuels. Ensuite, ils observent et commentent des jeux de lumière sur scène. Remarquez comment le même mur semble passer du rose au mauve lorsqu’on tamise la lumière. Si le spectacle ne fonctionnait qu’à un niveau cognitif, ces explications pourraient être agaçantes. Toutefois, Prismes fonctionne primordialement au niveau sensoriel. Aucun mal à décrire un coucher de soleil; les mots ne peuvent ruiner l’expérience de l’image. Tout ce que les interprètes font, c’est dire, « Regardez ici. Portez attention à ceci. » C’est ce que toute œuvre d’art bien définie fait : concentrer notre attention. Dans cet univers chromatique, les interprètes épousent des poses statiques en portant d’abord de longues robes colorées (roses, vertes, ou mauves) et des casques de construction jaunes. Ils oscillent entre être des sujets pour un peintre ou des mannequins de vitrine. Les changements de lumière, rapides, font danser leurs ombres avant qu’eux-mêmes ne bougent. Les danseurs demandent à Manuel Roque d’épouser une forme plus féminine, avec plus de courbes. Et il le fait. Cette juxtaposition des couleurs et des genres crée un lien entre les deux. Tout comme le même mur peut passer du rose au mauve, le même corps peut paraître plus masculin ou féminin d’un moment à l’autre. Le genre n’est pas naturel. Il est fluide, malléable. Il n’est que performance. (On pourrait ici penser aux pièces du chorégraphe George Stamos.) À un moment, les trois danseuses portent des soutiens-gorge dont les mamelons sont des clignotants lumineux rouges. Le genre est une question d’emphase. Regardez ici. « La représentation juste n’est pas nécessairement vraie, » nous dit Sylvain Lafortune. « Elle est fonctionnelle. » Pendant ce temps, Peter Trosztmer fait son striptease en arrière-scène, lui mettant l’accent sur sa musculature. Parfois, les corps parviennent même à contourner le genre en se déshumanisant, en se bestialisant. Le corps nu qui devrait nous paraître si familier devient étrange, nous rappelant les films de body horror ou de science-fiction où la chair échappe au contrôle de l’individu. (On pourrait ici penser aux pièces du chorégraphe Jean-Sébastien Lourdais.) D’un spectacle à l’autre, on ne sait à quoi s’attendre de Lachambre. Ce peut être en partie dû aux nombreux artistes avec qui il collabore. Je crois toutefois que c’est aussi dû aux contraintes scénographiques qu’il impose à chaque nouveau spectacle. Dans Forgeries, Love and Other Matters (avec Meg Stuart), le plancher était en vallées et collines, dur à naviguer. Dans son dernier spectacle en tant qu’interprète, Snakeskins, il s’était offert une immense toile d’araignée dans laquelle il pouvait être suspendu. Dans Prismes, deux poutres verticales entrecroisent deux poutres horizontales, une structure dans laquelle les interprètes s’immiscent souvent. Les danseurs doivent demeurer en équilibre sur cette structure ce qui a l’effet d’aplatir leurs corps, qui deviennent presque bidimensionnels en apparence. D’un moment à l’autre, les corps passent d’acrobaties de cirque ou de striptease à des figures géométriques, de poses de breaking à des hiéroglyphes, du planking au mime. Avec les contraintes que cette structure impose aux corps et la palette de couleurs vives que Prismes nous imprègne dans la rétine, il y a peu de doutes que c’est un des spectacles dont les images continueront de nous hanter. 16-18 octobre à 20h; 19 octobre à 16h Agora de la danse www.agoradanse.com 515.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ Une femme et un homme. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est très drôle. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est drôle. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est plutôt drôle. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Son corps bouge en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est quand même drôle. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est bien. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Entre leurs corps, ils positionnent une douzaine de baguettes. Mais pendant combien de temps pourront-elles tenir? La tension monte alors que les baguettes tombent une à une. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est correct. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. Ça se passe. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Son corps bouge en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. Ça l’arrive. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. C’est ça. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. Hmm. On fige. Musique planante qui permet de passer au tableau suivant. Leurs corps bougent en synchronisation avec une bande truffée d’effets sonores. La technologie est alors introduite dans le corps organique. La bande sonore devient défectueuse. Le corps devient défectueux. Ça dure soixante-dix minutes et on dirait que ça dure soixante-dix minutes. On fige. Ça finit. NOTE : Je me suis peut-être trompé quant à l'ordre des tableaux. 8-10 octobre à 20h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 30$ « Malgré les apparences, tout est relié, » la chorégraphe Maguy Marin semble vouloir dire avec ce fil à peine visible que les sept interprètes de Salves s’acharnent à dérouler en début de pièce. C’est un monde fragmenté qu’elle nous présente en une série de courts tableaux se balançant entre l’impressionnisme et l’expressionisme. En 2011, le jeune chorégraphe montréalais Patrick Lloyd Brennan avait présenté The New Bourjoiesie, une œuvre théâtrale qui se voulait un portrait satirique d’une génération éduquée mais incapable d’accomplir quoi que ce soit. Avec Salves (créé en 2010), Marin offre un univers similaire, sans toutefois cibler une génération en particulier. C’est plutôt le vingtième siècle au grand complet qui y passe. Une pièce aux murs noirs nous plonge dans un huis clos. À peine éclairé, cet espace semble hanté par ses propres souvenirs qui déferlent en une série d’images. La bande sonore accentue l’effet, utilisant des bandes magnétiques qui nous ancrent dans le passé avec la statique et les voix qui s’entremêlent. Dans la mémoire, la chronologie n’existe plus et tous les moments peuvent se côtoyer. Le fil invisible retourne en boule. On pourrait aussi penser à L’Ange exterminateur de Luis Buñuel, bien que Marin ne s’attaque pas aussi précisément à une classe sociale. Avec Buñuel, c’était la bourgeoisie qui écopait. Ici, c’est tous ceux qui tentent désespérément d’ignorer la misère du monde pour pouvoir s’enfermer dans leur confort. Marin fait appelle à plusieurs icônes, incluant celle-ci : See nothing. Hear nothing. Say nothing. Mais, comme tout est relié, on ne peut y échapper. La réalité nous rattrape sans cesse. Même dans la tentative de confort, la faille s’incruste. Tout semble compliqué sans bonne raison. On dépense de l’énergie dans un travail à la chaîne alors qu’une seule personne y serait sûrement plus efficace. Tout est fait à la course. Inévitablement, une assiette glisse des mains et éclatent en morceaux. Les tableaux ne veulent pas demeurer suspendus au mur, comme si un malin fantôme s’amusait à défaire tout ce que les habitants de cette demeure tentaient d’accomplir. Rien ne semble fonctionner. Tous les efforts sont frustrés. Le travail n’offre pas de résultats. On est dans l’insatisfaction. Le monde extérieur s’impose lorsque, dans cet univers cohésif, un homme en blackface émerge et doit bousculer les habitants pour se faire une place sur un long banc. C’est à ce moment que Salves prend son ampleur politique. Refuser de sacrifier son propre confort pour faire une place à l’autre. Plus tard, c’est un soldat qui débarque et qui vient chambouler la maisonnée. La guerre est toujours heureusement ailleurs jusqu’à temps qu’elle ne le soit plus. Dans une scène mémorable de The New Bourjoiesie, deux personnages tentaient de préparer leur appartement pour un party en chamboulant tous les objets qui se trouvaient sur une table. Dans Salves, on prépare maintes fois des tables pour des banquets qui n’arrivent jamais. Encore une fois, on pourrait penser à Buñuel et son film Le Charme discret de la bourgeoisie. À partir de ces fragments, la maison semble vouloir composer une mémoire collective, tout comme ses habitants qui veulent rapiécer les pots cassés, sans jamais vraiment y parvenir. Comme on s’y attend de la part de Marin, Salves est une œuvre exigeante, mais dont l’univers est si bien défini qu’il finit par s’imposer. 26-28 septembre à 20h Théâtre Maisonneuve www.dansedanse.net 514.842.2112 Billets à partir de 29.50$ « Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches! Car mon rêve impossible a pris corps et je l’ai Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé Voyageur qui de l’Homme évite les approches, - Sonnez grelots; sonnez, clochettes, sonnez, cloches! Le Bonheur a marché côte à côte avec moi; Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve : Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve, Et le remords est dans l’amour : telle est la loi. - Le Bonheur a marché côte à côte avec moi. » -Paul Verlaine, « NEVERMORE » L’extase de la naissance ne peut être soutenue indéfiniment. Toute nouvelle expérience, renouvelée jusqu’à ce que renouvellement ne soit que répétition, doit éventuellement se fondre dans la normalité comme tout autre chose, incluant le bonheur. Avec PLOMB, la chorégraphe Virginie Brunelle s’entoure de neuf danseurs pour explorer le thème de l’inévitabilité du deuil; car même le plomb léger propulsé hors du fusil, ayant atteint sa proie en vol, doit retomber au sol. Gravité oblige. Le sourire, aussi spontané soit-il, peut bien rayonner de positivité; tentez de le conserver et il devient une pose de yoga pour la face, le naturel devenant artificiel, un exercice d’endurance voué à l’échec. Par chance, les caméras s’éteindront éventuellement pour que l’animateur de jeu télévisé puisse redevenir humain. Même les gestes amoureux se répètent jusqu’à monotonie. Le seul moyen de réanimer le couple, temporairement, est d’avoir recours au drame. Sex, breakup sex, breakup. La gestuelle de Brunelle combinée à son exploration du couple hétérosexuel la pousse dans un carcan dépassé. Les hommes dominent physiquement, supportant les femmes-marionnettes. La seule possibilité pour les femmes d’être en contrôle est d’avoir recours à la séduction. Toutefois, la chorégraphe ratisse plus large dans sa thématique cette fois-ci, signe de maturation. Une figure paternelle en mode quasi-Alzheimer trouve tellement de problèmes qu’il éprouve de la difficulté à terminer une seule phrase. Un bouquet de mariage peut se transformer en fleurs pour des funérailles; la femme aimée, en poussière. La table à souper qui nous rassemble dans le temps nous sépare à la fois dans l’espace. C’est sur ce fil tendu que l’œuvre de Brunelle repose. 18-20 septembre à 20h; 21 septembre à 16h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiant, 30 ans et (-) : 20$ Louise Lecavalier attend aux limites de la coulisse et se prépare comme si elle allait entamer une course au coup de fusil. Évidemment, avec elle, c’est le cas. Les lumières de la salle sont encore allumées quand elle s’avance sur scène. Elle est sans peur. Si la chorégraphie est bavarde, c’est de façon surprenante plus au niveau des pieds que des mains. À petits pas rapides, elle ne demeure jamais une seconde sur place. Elle répète un mouvement une demi-douzaine de fois, d’un côté et puis de l’autre, et méthodiquement passe au suivant. Et elle se met au travail au sol, tout en conservant la même esthétique. Elle semble se permettre n’importe quel mouvement (« J’ai voulu laisser le corps dire tout ce qu’il veut dire sans le censurer, » elle dit dans le programme) pour qu'il devienne exutoire, voire exorcisme, quelque chose à expulser du corps. Ces jambes nerveuses se calment et ce sont les bras qui deviennent à leur tour bavards. Le danseur Frédéric Tavernini se joint à elle et épouse son esthétique. Malgré son imposante grandeur, il semble plus léger qu’elle. Ses pieds glissent sur le sol. Même lorsque leurs corps se rencontrent enfin, ils conservent cette esthétique convulsive. Pendant qu’il la transporte d’un côté à l’autre du plancher, elle continue de gesticuler. Ses bras ne veulent pas le laisser tranquille. La précision n’est pas dans le mouvement, mais dans la démarcation de cet esthétique bordélique. Et ils terminent au sol, plus calmes, flottants même, baignant dans une lumière bleue. Le mouvement est sorti. L’exorcisme a fait son effet. 6 & 7 juin à 20h Place des Arts – Théâtre Maisonneuve www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 1.866.984.3822 Billets : 43-58$ / 30 ans et moins : 38-53$ Si vous mettez une perruque, vous pouvez tout faire. Si vous ajoutez des lunettes de soleil, vous pouvez dépasser toutes les limites de ce qui est considéré comme un comportement acceptable. Le déguisement sert à camoufler certains aspects de soi pour permettre à de nouveaux d’émerger. Il en est de même de l’art. L’art est un mensonge qui révèle la vérité, Picasso a dit. Dans Pleasure Dome, la chorégraphe Karine Denault et les cinq autres interprètes (Dana Gingras, k.g. Guttman, Jonathan Parant, Alexandre St-Onge, Alexander Wilson) se cachent sous des perruques pour pouvoir aller au-delà du préconçu. Dès que l’on entre dans la salle de l’Agora de la danse, on le remarque; ce sont les trois danseuses qui se trouvent aux consoles de son, alors que les musiciens sont étendus sur le plancher. Après cette inversion des rôles, les interprètes marchent autour de la scène à quatre pattes. Certains se lèvent pour les guider pour un moment, pour ensuite retourner sur leurs quatre pattes et suivre le troupeau à nouveau. Les paramètres des rôles demeurent fluides, malléables, comme dans Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker. En laissant libre cours à leur id, les interprètes abandonnent leur ego, phénomène rare en performance scénique, et donc rafraichissant. En début de spectacle, Denault demeure coucher sur le plancher, s’efface. On avait déjà aperçu cet aspect de la chorégraphe dans son dernier solo, Not I & Others. Le plaisir, c’est aussi l’abandon de l’idéal – virgule – de la beauté. La beauté, si superficielle peut-elle être, pèse tout de même lourdement; le plaisir, quant à lui, est léger, comme les interprètes, qui semblent parfois flotter au-dessus de la scène, ou tout du moins au-dessus de nous, spectateurs assis directement sur le plancher. De façon surprenante (mais qui rejoint encore Cesena), le plaisir, aussi communautaire soit-il, demeure solitaire. Les interprètes se touchent rarement, mais le besoin d’une collectivité demeure nécessaire et indéniable. À intervalles réguliers, les interprètes retournent à un état contemplatif, comme s’il y avait toujours la possibilité d’un retour en arrière, d’un recommencement si le résultat est jugé insatisfaisant, à la manière d’un jeu vidéo. Rien ne doit être accepté comme étant définitif. Pleasure Dome aussi semble transitoire. Si on revenait la semaine prochaine, on ne serait pas surpris que ça l’ait une toute autre allure. Subjectif subjectif subjectif : j’ai une prédisposition pour un éclairage scénique minimale. Ça dramatise l’espace, surtout quand on veut tellement voir ce qui se passe. Je crois qu’ici aussi ça aurait pu avoir des effets bénéfiques. Ça aurait accentué l’espace entre les spectateurs et les interprètes; car malgré notre proximité (assis tout autour de la salle, nous sommes tous au premier rang), nous ne faisons pas partie de cet univers de plaisir. La distance virtuelle aurait souligné l’aspect participatif du plaisir; on ne peut pas compter sur les autres pour nous le transmettre. Le pleasure dome aurait paru tel le saint graal, une destination à atteindre, si on le désire. (J’aurais voulu qu’un des interprètes me donne la main, me donne la permission d’y entrer.) La plus grande force de Pleasure Dome est son refus du symbolique. Tout comme on ne peut parvenir au plaisir par un raccourci, le sens d’une œuvre d’art ne s’impose que s’il émerge de lui-même. C’est ici le cas. 6-8 février à 20h & 9 février à 16h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Réduits : 20$ Quel est notre rapport à la chose vidéographique? Avec l’omniprésence du médium, qui ouvre et clôt son nouveau spectacle, la chorégraphe Marie Béland se met les deux pieds dans la question. Une création aux trois couleurs cathodiques, en trois épisodes – peut-être le même – utilisant principalement trois médiums différents. BLEU, ou la vidéo D’abord jeu d’ombres – et donc nécessairement de proportions et perspectives – qui s’entremêlent ensuite avec la projection vidéo live des trois danseurs : Simon-Xavier Lefebvre, Marilyne St-Sauveur, et Ashlea Watkin. C’est plus qu’une rencontre des éléments; C’est le réel et l’art(ificiel) qui effacent les lignes, se fondent ensemble, et s’influencent jusqu’à ce qu’on ne sache plus lequel des deux l’on regarde. Les interprètes font dans le jeu d’acteur de Télé-Québec (même si Watkin, comme dans n’importe quel autre spectacle de danse dans lequel elle se trouve, est toujours la meilleure actrice). De façon appropriée, ils sont vêtus de couleurs primaires et secondaires (rouge, bleu, jaune, vert), comme s’ils étaient des adultes retardés dans une émission pour enfants. Leurs corps se découpent sur fond noir, ce qui n’est pas sans rappeler certaines des premières vidéos d’art qui servaient souvent à capter des performances. Dans une galerie, le blanc est l’espace vierge; en vidéo, comme au théâtre, c’est le noir. Devant des images d’Elvis (le vrai ou un imitateur? Il y a une différence?) et d’Arnold à l’ère de Commando, leurs corps se dédoublent en formations psychédéliques, tel une vidéo de Nam June Paik qui s’extase à l’idée du global village. Bref, le genre de chose dont la seule chance de passer à la télé serait sur PBS. Ça veut être bon, mais c’est pas sexy du tout. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. VERT, ou la marionnette La partie la plus faible du spectacle, heureusement camouflée dans le milieu, où trois pompons aux couleurs de la pièce deviennent des marionnettes, les alter egos des interprètes. La performance dansée vient rejoindre le jeu d’acteur, comme si Béland a dicté aux interprètes, « Faites comme si vous étiez de mauvais danseurs. » Les idées demeurent intéressantes, mais leur mise en scène est moins convaincante. ROUGE, ou le théâtre Et l’histoire se répète, beaucoup plus verbale. Les échanges entre les interprètes glissent entre l’emphatique et les petites cruautés, et peut virer dans le non-sens à n’importe quel moment. Avec le bon accent, « Cat a va capoter! » peut devenir une phrase pseudo-italienne. Devant les images qui déferlent (de The Bold & The Beautiful au hockey en passant par The Price Is Right), l’absurdité de l’humain dans la petitesse de ses intrigues inévitablement dramatisées parce que justement futiles se dessine. Béland conserve son sens de l’humour mais – surprise! – BLEU—VERT—ROUGE est aussi étrangement opaque, parfois aussi illisible que le texte confus vocalisé par les interprètes. C’est sûrement l’un des aspects les plus intrigants de la pièce (et dans le parcours de la chorégraphe). Pour faire compétition à l’image télévisuelle et cinématographique, est-ce que la danse et le théâtre doivent eux aussi faire dans le chaos qui dégénère jusqu’à la folie schizophrénique? Pour retenir notre attention, est-ce que tout doit maintenant se terminer dans la violence? 23-25 janvier à 20h & 26 janvier à 16h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Réduits : 20$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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