
En début de spectacle, les six danseurs de Montréal Danse approchent les spectateurs pour leur faire subir des tests visuels. Ensuite, ils observent et commentent des jeux de lumière sur scène. Remarquez comment le même mur semble passer du rose au mauve lorsqu’on tamise la lumière. Si le spectacle ne fonctionnait qu’à un niveau cognitif, ces explications pourraient être agaçantes. Toutefois, Prismes fonctionne primordialement au niveau sensoriel. Aucun mal à décrire un coucher de soleil; les mots ne peuvent ruiner l’expérience de l’image. Tout ce que les interprètes font, c’est dire, « Regardez ici. Portez attention à ceci. » C’est ce que toute œuvre d’art bien définie fait : concentrer notre attention.
Dans cet univers chromatique, les interprètes épousent des poses statiques en portant d’abord de longues robes colorées (roses, vertes, ou mauves) et des casques de construction jaunes. Ils oscillent entre être des sujets pour un peintre ou des mannequins de vitrine. Les changements de lumière, rapides, font danser leurs ombres avant qu’eux-mêmes ne bougent.
Les danseurs demandent à Manuel Roque d’épouser une forme plus féminine, avec plus de courbes. Et il le fait. Cette juxtaposition des couleurs et des genres crée un lien entre les deux. Tout comme le même mur peut passer du rose au mauve, le même corps peut paraître plus masculin ou féminin d’un moment à l’autre. Le genre n’est pas naturel. Il est fluide, malléable. Il n’est que performance. (On pourrait ici penser aux pièces du chorégraphe George Stamos.)
À un moment, les trois danseuses portent des soutiens-gorge dont les mamelons sont des clignotants lumineux rouges. Le genre est une question d’emphase. Regardez ici. « La représentation juste n’est pas nécessairement vraie, » nous dit Sylvain Lafortune. « Elle est fonctionnelle. » Pendant ce temps, Peter Trosztmer fait son striptease en arrière-scène, lui mettant l’accent sur sa musculature.
Parfois, les corps parviennent même à contourner le genre en se déshumanisant, en se bestialisant. Le corps nu qui devrait nous paraître si familier devient étrange, nous rappelant les films de body horror ou de science-fiction où la chair échappe au contrôle de l’individu. (On pourrait ici penser aux pièces du chorégraphe Jean-Sébastien Lourdais.)
D’un spectacle à l’autre, on ne sait à quoi s’attendre de Lachambre. Ce peut être en partie dû aux nombreux artistes avec qui il collabore. Je crois toutefois que c’est aussi dû aux contraintes scénographiques qu’il impose à chaque nouveau spectacle. Dans Forgeries, Love and Other Matters (avec Meg Stuart), le plancher était en vallées et collines, dur à naviguer. Dans son dernier spectacle en tant qu’interprète, Snakeskins, il s’était offert une immense toile d’araignée dans laquelle il pouvait être suspendu.
Dans Prismes, deux poutres verticales entrecroisent deux poutres horizontales, une structure dans laquelle les interprètes s’immiscent souvent. Les danseurs doivent demeurer en équilibre sur cette structure ce qui a l’effet d’aplatir leurs corps, qui deviennent presque bidimensionnels en apparence. D’un moment à l’autre, les corps passent d’acrobaties de cirque ou de striptease à des figures géométriques, de poses de breaking à des hiéroglyphes, du planking au mime.
Avec les contraintes que cette structure impose aux corps et la palette de couleurs vives que Prismes nous imprègne dans la rétine, il y a peu de doutes que c’est un des spectacles dont les images continueront de nous hanter.
16-18 octobre à 20h; 19 octobre à 16h
Agora de la danse
www.agoradanse.com
515.525.1500
Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$