Local Gestures
because the personal is cultural
De Pluton – acte 1, je garde un souvenir d’un spectacle tout en douceur. Ce que La 2e Porte à Gauche nous réserve pour ce deuxième mariage de jeunes chorégraphes avec des interprètes plus âgés s’avère toutefois plus corrosif.
Il est étonnant que la pièce de Frédérick Gravel soit celle qui s’aligne le plus avec le premier acte, probablement dû au fait que Paul-André Fortier la danse. Les genoux et les coudes fléchis, il se déplace du côté cour au côté jardin en pivotant, les semelles de ses espadrilles rouges glissant contre le sol. Même s’il épouse le corps recroquevillé de Gravel, ses mouvements sont plus soignés et fluides. Je me rends compte que, jusqu’à maintenant, je ne l’ai vu que dans des contextes où il dansait ses propres chorégraphies, de sorte que j’oublie parfois que c’est Fortier que je regarde parce que je ne reconnais pas sa posture habituelle. Je ne reconnais pas tout à fait la chorégraphie de Gravel non plus, qui se fait ici beaucoup plus doux et subtil. C’est la beauté de ce projet. Catherine Gaudet s’était démarquée avec son solo créé pour Louise Bédard pour acte 1. Il n’est donc pas surprenant de le retrouver ici. Gaudet continue d’y explorer l’un de ses thèmes fétiches, soit la duplicité de l’humain. Bédard est d’abord dos au public en arrière scène, ses expirations flirtant avec les grognements, invoquant simultanément les bébés naissants de Je suis un autre (2012) et les monstres d’Au sein des plus raides vertus (2014). Elle est une bête qu’on cache loin des regards. Ses doigts arthritiques ressemblent plus à des griffes qu’à une main. Lorsqu’elle nous fait face, un sourire se plaque sur son visage tremblotant. Elle veut paraître en contrôle, mais la surface ne peut que craquer, comme toujours chez Gaudet. Ce n’est pas la part animale ou monstrueuse de l’humain qui transparaît ici, mais les troubles de santé physique et mentale. On peut y voir la maladie de Parkinson ou celle d’Alzheimer. C’est à mon humble avis ce que Gaudet a fait de mieux. Après l’entracte, les spectateurs se retrouvent des deux côtés de la scène pour la pièce de Mélanie Demers, un duo pour Marc Boivin et Linda Rabin. Le musicien Tomas Furey s’avance à un micro sur scène, y va d’un « 3, 4 » mais ne chante pas. C’est Boivin et Rabin qui alterne respectivement « New York, New York » et « Let Me Entertain You », rivalisant d’exhibitionnisme performatif. Ils en sont agressants. Comparativement, Furey nous charme avec son silence, nous offrant une sortie de secours essentielle. C’est la pièce la moins séductrice, la plus abrasive de Demers à ce jour. On pourrait dire la même chose de celle de Katie Ward, un solo pour Peter James. Des chaises sont éparpillées sur la scène et les spectateurs sont invités à y prendre place. Soir de première, c’est une vingtaine d’adolescentes qui se sont prêtées au jeu, créant une atmosphère particulière. Pour ceux d’entre nous qui ont été témoins des explosions verbalement violentes de James dans des pièces comme Mygale (2012) de Nicolas Cantin, nous devons nous retenir pour ne pas crier « Ne le laissez pas s’approcher de ces jeunes filles! » Heureusement, nous retrouvons plus le ludisme de Ward marié au minimalisme de James, déjà aperçu dans sa collaboration avec Cantin pour Philippines (2015). En fait, cet opus ressemble plus à du Cantin qu’à du Ward. Aucune illusion ici; James joue avec le théâtre, littéralement, c’est-à-dire avec la salle de spectacle elle-même. Les lumières éclairent tout l’espace. Il secoue la rampe des escaliers, il modifie la lumière à la console d’éclairage, il manipule les rideaux en nous disant, « Ça, c’est vrai. » Il lance une balle contre le mur juste pour nous rappeler que le mur est là, pour que l’espace s’impose plutôt que de s’effacer sous l’effet de la performance. C’est dans ses interactions avec le public qu’on approche de la magie, comme lorsqu’il prétend dévisser un tube invisible du ventre d’une des adolescentes pour ensuite le déposer sur une chaise. « Ce n’est pas nous qui créons la magie, » semble-t-il vouloir dire. « C’est vous, spectateurs. » 28-30 mai à 19h www.fta.ca 514.844.3822 Billets : 40$ / 30 ans et moins : 34$
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Nicolas Cantin crée des environnements chorégraphiques dans lesquels il sonde les multiples possibilités dramatiques du mouvement. Son univers penche entre intimité et sauvagerie. À ses débuts, il crée trois spectacles : Grand singe, Belle manière, et Mygale, qui forment une trilogie sous le titre Trois romances. Il bricole ensuite « deux pièces anglaises », CHEESE et Klumzy, qui traitent de la mémoire. Il flirte avec le cirque en cosignant pour les 7 doigts de la main la mise en scène de Patinoire, un solo pour Patrick Léonard, et se commet à intervalles réguliers dans différents projets collectifs qui ont tous en commun de naviguer aux frontières des genres.
Pourquoi bouges-tu? Je ne bouge pas à priori. Je suis assis sur une chaise dans un studio de répétition à regarder des personnes bouger à ma place. La question que tu devrais me poser est donc : pourquoi ne bouges-tu pas? La réponse que je peux te donner est qu’il est plus facile pour moi de regarder l’autre bouger. J’ai besoin de mettre mon corps à distance à travers le corps de l’autre pour pouvoir travailler. D’une certaine façon, je cherche ce qui caractérise ma relation à mon propre corps à travers le corps de l'autre. Mon travail est de regarder l’autre dans sa relation à ce qui le constitue intimement. Je travaille à creuser dans l’autre la question de l’intime pour toucher et questionner ma propre intimité. Cette relation qui agit comme un effet de balancier entre le bougeur et le spectateur est la pierre angulaire de mon travail. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? Chaque projet est différent. Je cherche obstinément la grande inspiration, comme tout bon noyé. Je travaille à chercher l’endroit où ÇA veut respirer. Je me souviens d’une promenade au bord de l'océan avec ma mère il y a quelques années. Je la regardais marcher sur la plage et, l’espace d’un instant, je me suis demandé avec émotion qui était cette femme. Ce qui me fascine, c’est le mystère que nous sommes à nous-même et pour les autres. Ce sont les mots d’Antonioni : Nous savons que sous l’image révélée, il en existe une autre plus fidèle à la réalité et sous cette autre encore et ainsi de suite, jusqu’à l’image de la réalité absolue, mystérieuse que personne ne verra jamais. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? Je ne sais pas. J’espère retrouver dans mon travail quelque chose de l’ordre de l’enfance qui a trait à mon obsession de l’intime. Il y a dans l’intime quelque chose qui me bouleverse, peut-être parce cela renvoie au début de la vie, à quelque chose d’insondable et mystérieux. Il y a une phrase magnifique que j’aime bien et qui dit tout : L’intimité est mondiale. Ce matin, justement, j’ai vu deux personnes faire l’amour dans une voiture. C’était beau comme une promesse faite à la vie, d’exister coûte que coûte. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel t’a le plus marqué? Je me souviens d’un long et bel email d’une personne, après un spectacle qui avait été mal reçu. Cet email m’avait fait l'effet d’un chat qui s’installe sur ton thorax lorsque tu as le cœur ouvert en deux. De quoi es-tu le plus fier? Il y a pas de quoi être fier, comme dirait l’autre. Je fais ce que je peux. La plupart du temps, c’est la honte qui domine, parce qu’un spectacle, c’est comme un château de sable, ni plus ni moins. C’est rarement satisfaisant. Il n’y a pas de réelle fierté ou peut-être par moment la fierté, grâce à l’art, de sentir dans mon corps quelque chose de l’enfance retrouvée. La victoire de Samothrace au Louvre, par exemple, est une œuvre magnifique. Ce n’est plus du marbre, même si, oui, c’est du marbre. Ma fierté, peut-être, par instant, viens de là, de trouver une forme de complicité joyeuse (si ce n’est amoureuse) avec une statue qui date du début de la civilisation. Que serais-tu content de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? Ne jamais dire plus jamais. J’aimerais au contraire voir un spectacle de danse qui me ferait l’effet d’un camion renversé. Voir un spectacle devrait être ÇA, assister à un accident. Quelque chose au plus près de la vie renversée. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? On devrait, avec la plus grande douceur, tout brûler et tout recommencer. Nous vivons tous dans la peur. Nous devrions apprendre à avoir moins peur. Brûlons les théâtres et dansons dans leurs ruines. Quel est ton rapport à la critique? Je ne sais pas. Comme tout le monde j’imagine. Être dans le journal, la première fois, est un sentiment particulier. Tu lis l’article et le relis jusqu’à l’abstraction, jusqu’à ce que les mots ne veulent plus rien dire. C’est comme de lire une lettre d’amour ou de rupture : pur affect. La critique, c’est ÇA, en gros, une affaire d’affect et d’intellect. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? J’aimerais collaborer avec des amateurs, peut-être du côté de la chanson folk, de l'art visuel ou du cinéma. Des personnes qui fabriquent des choses dans leur garage, comme mon grand-père qui jouait de l’accordéon et composait en secret dans son grenier. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Ce qui me pousse à continuer à faire de l’art est simple, c’est la nature du dialogue qui me lie au travail. Avec le temps, ma relation au travail évolue. Récemment, je suis allé dans un musée et je me surprenais à être plus intéressé par les visiteurs que par les œuvres et c’était un sentiment merveilleux. La vie m’intéresse de plus en plus. Bien sûr, il n’y a pas d'opposition à faire entre l’art et la vie, mais peut-être qu’il y a quelques années j’avais une tendance à considérer l’art comme un abri atomique et la vie comme une menace nucléaire, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. CHEESE (Pluton) 16-18 septembre à 19h & 19 septembre à 15h Agora de la danse www.agoradanse.com / www.danse-cite.org 514.525.1500 / 514.844.2172 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com Comment malaxer? On commence avec le poing droit près de la hanche gauche, et la jambe droite – genou à peine plié – pivote un peu plus de 90 degrés, suivie de la gauche, tout en relâchant le poing. C’est du moins ce que Katya Montaignac, dramaturge du projet 4quART de La 2e Porte à Gauche, m’a enseigné avant le spectacle. Elle a aussi capté mon move sur vidéo. 4quART pour quatre chorégraphes (Marie Béland, Alain Francoeur, Frédérick Gravel, Catherine Tardif) et quatre danseurs (Sophie Corriveau, Manuel Roque, Peter Trosztmer, Lucie Vigneault). Leurs hoodies annoncent l’aspect ludique du spectacle avec leurs couleurs LEGO : rouge, jaune, bleu, vert. On dirait des participants à un game show pour enfants. Le but du jeu : articuler en mouvement différents verbes reliés à la cuisine, comme « malaxer. » La gestuelle est alors pop, voire enfantine. Ces exercices révèlent parfois l’incapacité de la danse à traduire le littéraire… littéralement. On peut bien dire à Trosztmer « More hands, » n’empêche que son oiseau ne peut décoller du sol peu importe la vélocité de ses ailes improvisées. On peut dire à Roque « More Dead, » mais à part demeurer étendu immobile sur le sol, il ne peut que crier à ses interlocuteurs « I’m not dead! » Dans l’une des sections les plus réussies, Corriveau parvient à déshabiller Trosztmer tout en demeurant suspendue à son corps, sans jamais toucher le sol. Et il réussit à la dévêtir à son tour tout en la gardant dans ses bras. C’est une contrainte qui engendre un exercice impressionnant sur le plan physique. D’ailleurs et comme à l’habitude, Trosztmer se démarque de par son intensité. On fait souvent dans la violence, même si elle aussi se veut parfois infantile. Les trois camarades de Trosztmer s’amusent à le frapper tels des lutteurs de la WWE. Roque épouse des positions de combat, les muscles tendus, les poings levés. Trosztmer tient Vigneault par ses longs cheveux, la traîne, soulève, lance au sol. Elle facilite évidemment le mouvement, mais l’illusion est convaincante. Ils se jettent sur le dos les uns des autres et dansent ensemble que pour se laisser tomber. C’est sûrement à cause de cette violence qu’on croit surtout reconnaître la signature chorégraphique de Gravel. Ce n’est que vers la fin que l’espace est utilisé d’une façon qui satisfait pleinement l’aspect déambulatoire de la pièce. Car, oui, il n’y a pas de position fixe pour le spectateur, un point qui se veut crucial mais dont mon omission jusqu’à maintenant devrait indiquer le manque d’importance. Toutefois, lorsque les danseurs sont répartis aux quatre coins du deuxième étage du Studio Hydro-Québec du Monument-National et qu’au premier on retrouve une projection vidéo sur un grand écran courbé, on approche enfin un univers assez riche pour justifier le déambulatoire. (On pense entre autre à Corps intérieur de David Pressault, un autre spectacle de Danse-Cité, qui avait relevé ce défi l’an dernier.) Je demeure similairement peu convaincu par presque tous les éléments de 4quART. L’inclusion du spectateur (par la vidéo captée avant le spectacle et ensuite diffusée dans la salle) et l’interaction avec lui (en lui offrant des POGOs, entre autres) ne peuvent être que superficielles. S’il est difficile d’intégrer les éléments de quatre chorégraphes lors d’un travail qui s’étale sur plusieurs mois, comment y parvenir avec des spectateurs rencontrés moins de cinq minutes avant le spectacle? La vidéo ne fait la plupart du temps que charger l’espace plutôt que l’enrichir. La longueur du spectacle ne semble elle non plus justifiée. Quinze minutes devraient être coupées. La 2e Porte à Gauche se donne comme mission de « rendre la danse contemporaine appétissante. » Un but admirable, sans doute, mais c’est une ligne mince entre populaire et populiste. Je dois avouer que, dans ce cas-ci, j’avais l’impression qu’on m’adressait comme si j’étais un enfant. 4quART 24-26 mars et 29 mars-2 avril à 20h30 Monument-National www.danse-cite.org 514.871.2224 Billets : 26$ / Étudiants : 20$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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