Local Gestures
because the personal is cultural
Cazaux enfile un hoodie et bouge tout autrement. C’est une petite danse habituellement réservée pour la chambre à coucher, lorsqu’on est seul, à l’abri des regards, et qu’on se laisse emporter par nos émotions, sans aucun filtre. Il faut dire que la reprise de Smith & Burrows de « Wonderful Life » de Black colore sûrement la scène. C’est l’exutoire. Notre sexualité fait maintenant partie du domaine public tandis que nos émotions sont réservées pour le privé.
De peur. Duo, le seul du spectacle, pour Anne-Emmanuelle Deroo et Raphaël Cottin. L’équivalent au pas de deux à ce que le « par-dessus les pantalons » est au sexe. Ils sont torse nu, poitrine contre poitrine, mais leurs pieds ne pourraient être plus éloignés. La gestuelle est ici similaire à celle des jeunes chorégraphes québécois qui ont eux aussi touché aux relations amoureuses et sexuelles contemporaines, dont Virginie Brunelle, Dave St-Pierre, et Frédérick Gravel : dans les portées, où la femme saute, le corps rigide; lorsqu’elle se laisse tomber comme une planche et que l’homme l’attrape à la toute dernière seconde, avant que la tête ne frappe le sol; ou lorsqu’il la soulève alors que ses jambes sont écartées telles les parois d’un tunnel. On y retrouve la même relation push/pull et ce même si leurs corps sont presque constamment en contact. Particulièrement belle, cette image où, tronc contre tronc, genoux contre genoux, leurs jambes s’affaissent en étoile, donnant à leurs corps soudés l’apparence d’une araignée à quatre pattes. La vulnérabilité transparaît dans cette relation qui maintient une part d’antagonisme, alors que chaque geste révèle le besoin de l’autre tout en soulignant la peur que celui-ci pourrait nous briser. De doute. Solo pour Anne-Sophie Lancelin, en sourdine. On détecte une certaine violence, mais elle ne se trouve pas explicitement sur scène. C’est plutôt les traces qu’elle laisse dans le corps que l’on perçoit, celles de la vie qui nous use. Encore là, on ressent le paradoxe de la fragilité et de la force de l’humain. Sur la trame sonore, on peut entendre une femme clamer « I am yet to be broken. » La beauté persiste, celle de l’habilité du corps à exprimer sa réalité, au-delà des mots, sentie par l’interprète et ressentie par le spectateur. De solitude. Solo de Thomas Lebrun, encore plus calme. On peut comprendre cette progression anti-dramatique tout comme on peut la critiquer. Il passe la deuxième moitié du solo à vaciller sans jamais soulever ses pieds du plancher, immobilisé dans l’hésitation. Sans nous faire encaisser un coup fracassant, Trois décennies demeure le spectacle de danse qui joue le plus avec nos émotions depuis Milieu de nulle part de Jean-Sébastien Lourdais, aussi vu à l’Agora de la danse, en mars dernier. On remarque alors que la danse contemporaine en 2014 se fait surtout dans la tête… et on se souvient comment elle fait du bien lorsqu’elle frappe là où elle fait son meilleur travail. 23-26 septembre à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 30$ / Étudiant ou 30 ans et moins : 22$
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MANUEL ROQUE Allo Sylvain,
Je trouve ton procédé intéressant. Il est tout aussi difficile pour moi de te poser une question. J’irais donc avec la suivante : Quel serait ton processus pour poser une question que tu penses pertinente sur mon travail (avec ce que tu connais de mes affaires) pour cette entrevue. (Intellectuel? Intuitif? …) SYLVAIN Habituellement, je préfère avoir vu quelques pièces d’un chorégraphe avant de faire une entrevue (préférablement au moins trois) pour que je puisse voir ce qui relie son travail. Mes questions abordent alors souvent la récurrence de certains éléments ou leur progression, leur changement… (Cela me vient peut-être de la politique des auteurs, comme j’ai fait une maîtrise en études cinématographiques.) Donc intellectuel? Ceci étant dit, tes premières œuvres avaient un côté théâtral (dans l’utilisation d’accessoires, par exemple) que tu sembles maintenant délaisser pour présenter de la danse pure et dure. Pourquoi ce changement? MANUEL Effectivement, la signature de Data est relativement différente au niveau de la forme que celles de mes précédentes pièces. Ceci dit, la pièce représente une étape dans un processus amorcé il y a 3 ans environ. J’avais besoin de faire le point sur mon corps, de faire la part des choses entre la physicalité qui venait des chorégraphes pour qui je dansais (Marie Chouinard, Sylvain Émard, Paul-André Fortier, Daniel Léveillé…) et d’impulsions très personnelles, un besoin de définir une singularité dans les impulsions physiques, le vocabulaire gestuel, une recherche sur l’identité kinesthésique, en somme. Pendant 3 ans je suis allé en studio pour travailler cette matière, un peu à la façon d’un artiste visuel. En parallèle à ce processus se greffait un questionnement sur la relation entre fond et forme. Au bout d’un certain temps, plusieurs thématiques ont émergé de la forme travaillée et la pièce a pris naissance naturellement. C’est une façon nouvelle pour moi de travailler, mais ça me permet de conscientiser énormément de notions (écriture chorégraphique, utilisation de l’espace, les choix formels et ce qu’ils véhiculent comme idées…). Mes questionnements sur la condition humaine contemporaine, sur l’identité, déjà présents dans les autres pièces, sont totalement en résonance dans Data, mais ils trouvent une autre forme d’expression. J’ai tendance à avoir une personnalité éclatée, ne serait-ce qu’à travers ma formation artistique (cirque, musique, théâtre, danse…) et je revendique une curiosité créatrice plutôt que l’établissement d’une signature immuable. Je me retrouve dans ces mots de Gyorgy Ligeti : « I incline to not have too high an opinion of artists who develop one single procedure and then produce the same sort of thing for the rest of their lives. In my own work, I prefer to be constantly retesting procedures, modifying them, and eventually throwing them away and replacing them with other procedures. » Plutôt que d’essayer d’imposer une forme ou de m’essayer au mélange des genres, je préfère laisser le projet dicter sa loi et trouver la forme qui lui permet de prendre le plus d’ouverture possible. Ces pensées sont directement en relation avec des thèmes sous-jacents à Data, qui sont la mutation de la matière, l’identité fluide… Dans ces périodes où la moindre information est classifiée, codée, analysée, j’ai tendance à afficher un certain goût pour les zones grises, pour les remises en questions et en forme, pour l’établissement d’un mode de communication qui tient plus de l’expérience et fait appel à différents récepteurs (le langage du corps) plutôt qu’à un message de nature plus intellectuelle. En tant que chorégraphe, j’avais donc le goût de me pousser en territoire inconnu. En tant que danseur, j’avais envie de pousser une physicalité et de voir jusqu’où je pouvais aller. Le travail du corps est infini. La pièce est terminée, mais elle continuera d’évoluer, de s’enrichir en nuances. SYLVAIN Lors du lancement de la saison 2014/15 de l’Usine C, tu as mentionné que tu as passé deux mois dans le désert pour faire de la recherche chorégraphique. Où étais-tu? Qu’est-ce que cet environnement t’a apporté? MANUEL Ah oui, le désert! Quand la pièce a commencé à apparaître, j’ai commencé à me questionner sur la relation de l’humain avec son environnement; comment l’un influence l’autre, notre perméabilité, mutabilité, notre impact… J’ai donc décidé de faire deux voyages dans des environnements contrastés – Manhattan (1 semaine) et son opposé, les déserts du Sud des États-Unis (Joshua Tree, Death Valley, les routes du Nouveau-Mexique, Grand Canyon, et Zion en Utah) – et d’observer les ressentis face à ces environnements (verticalité/horizontalité, champ de vision…), comment l’imaginaire personnel se déploie dans ces espaces, comment on y trouve une place. Je n’ai pas fait de recherche chorégraphique en tant que tel; c’était plus de l’ordre d’une expérience personnelle en résonnance avec le projet sur lequel je travaillais. Pour les déserts, je suis parti en auto, seul, confronter une solitude. L’expérience a été bouleversante; le sentiment cliché d’être une poussière dans l’immensité, mais aussi une connexion peut-être plus sereine avec l’espace dans lequel nous évoluons, une vision plus complexe et plus globale de l’universel que ce que nous percevons habituellement. Encore une citation, une dernière… En voyage, je lisais L’Amérique de Baudrillard. J’y trouve une phrase à l’image de ces réflexions : « le désert est une extension naturelle du silence intérieur du corps. » Tout ceci juste pour ajouter une couche de fond sur le processus autour de Data, nourrir autant la création que l’interprète, mais à un niveau sensitif, subconscient, des petites traces qui continuent leur chemin par en arrière… SYLVAIN N'hésite pas à me poser des questions si tu en as ou à me le dire s'il y avait quelque chose d'autre dont tu aurais aimé parler. MANUEL Oui, une dernière chose, importante pour moi… Ce projet est loin de s’être fait tout seul et j’ai réuni une gang magnifique, des artistes pleins de talent qui sont très impliqués, chacun dans leur discipline respective, mais aussi sur la globalité du processus. J’essaie toujours de garder un espace de dialogue ouvert, poreux, surtout dans un projet solo comme celui-là. La scénographie de Marilène Bastien est une couche majeure de la pièce. François Marceau travaille la matière lumière, assisté de Judith Allen qui fait aussi une direction de prod super efficace. Ginelle Chagnon, conseillère artistique, est venue nourrir le processus chorégraphique, avec son expérience incroyable autour du corps dansant, et une générosité et sensibilité sans limites. Indiana Escach et Lucie Vigneault, complices, interprètes et répétitrices de longue date, font aussi partie du décor à titre de répétitrices et conseillères artistiques. Bonne journée! 4-6 septembre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 32$ / Réduit : 24$ Prismes de Benoît Lachambre du 2 au 6 décembre (Danse Danse)
Avec l’aide de l’éclairagiste Lucie Bazzo, Lachambre explore à fond les jeux de lumières et de couleurs avec ce spectacle des plus stimulants visuellement. Dans sa tête & Six pieds sur terre de Maïgwenn Desbois du 20 au 21 décembre (Tangente) Avec ses pièces ludiques où elle gigue avec des interprètes ayant le syndrome de Williams et d’Asperger, Desbois nous reflète avec humour notre société capacitiste. Klumzy de Nicolas Cantin du 25 au 27 mars (Usine C) Cantin s’enfonce de plus en plus dans l’antithéâtre avec ce spectacle marquant, une suggestion de biographie de l’interprète Ashlea Watkins où la mise-en-scène de Cantin prend tout autant de place. CEUX DONT LA DERNIÈRE CRÉATION ME DONNENT RAISON D’ESPÉRER Bath House & Cherepaka d’Andréane Leclerc du 21 au 24 octobre (Tangente) Leclerc se sert du corps contorsionniste pour aborder des questions philosophiques et féministes dans des pièces sensorielles. Tête-à-tête de Stéphane Gladyszewski du 8 au 16 novembre (Agora de la danse) Gladyszewski utilise la technologie mieux que quiconque dans le monde de la danse. Pour Tête-à-tête, pièce pour un seul spectateur à la fois, ce dernier doit insérer son visage dans un masque pour voir la performance. Intrigant. Confession publique de Mélanie Demers du 8 au 11 avril (Usine C) Après avoir clos un cycle de pièces de groupe l’an dernier avec MAYDAY remix, Demers plonge dans le vide avec son nouveau spectacle, un solo. Peu de raisons de s’inquiéter; la chorégraphe, drôle et intelligente, ne rate jamais son atterrissage. Wolf songs for Lambs de Frédéric Tavernini du 14 au 18 avril (La Chapelle) Avec son installation chorégraphique Le Tératome, simple et efficace, Tavernini avait créé un univers cliniquement froid et fascinant. Il nous revient avec une autre installation, cette fois explorant l’imaginaire de l’enfance. http://www.dansedanse.ca/ http://tangente.qc.ca/ http://www.usine-c.com/ http://agoradanse.com/ http://lachapelle.org/ Germinal d’Antoine Defoort et Halory Goerger, c’est du théâtre qui ne prend rien pour acquis, incluant le théâtre. C’est donc une genèse de la scène qui débute dans le noir et qui, comme l’autre genèse, doit d’abord faire appel à la lumière pour révéler ce monde. Outre les parallèles avec le récit biblique de la création, Germinal joue avec l’histoire de l’humanité. C’est donc ainsi que le mot écrit, projeté sur le mur du fond, précède inexplicablement la parole. Les quatre interprètes en viennent à se servir des surtitres pour dresser une liste de leurs découvertes scéniques et des concepts qui en découlent. C’est la boîte de Pandore qui s’ouvre et les concepts s’enchaînent et se multiplient jusqu’à ce qu’on n’arrive plus à y voir clair. C’est alors que les interprètes ont cette autre idée très humaine, celle de créer des catégories pour démêler tout ça. Influencés par les éléments limités à leur disposition et la découverte d’un micro sous la scène, ils décident de diviser les éléments entre ceux qui font « pocpoc » au contact avec le micro et ceux qui ne font « pas pocpoc. » Émergent alors l’absurdité de l’aspect arbitraire de la catégorisation, l’ironie qui en ressort lorsqu’on découvre que l’idée du pocpoc ne fait pas pocpoc, et la métaphore alors qu’on se rend compte que quelque chose peut faire « pocpoc dans le cœur. » En répartissant leur énumération sur une ligne chronologique, ils en viennent au moment présent, au-delà duquel l’inconnu règne. Toutefois, ils entrevoient le mot « fin » avant de rapidement rebrousser chemin. Évidemment, il est question de la fin de la pièce, mais aussi celle de la vie. Les interprètes passent donc à travers les étapes du deuil avant que Beatriz Setien, en mode acceptation/reconstruction, déclare « Je propose qu’on fasse un truc bien. » C’est alors qu’ils créent une chanson à partir de la liste de mots qu’ils ont débité tout au long du spectacle. Encore une fois – je pense à Built to Last de Meg Stuart, vu le soir précédent, et Tragédie d’Olivier Dubois – l’art est présenté comme étant la réponse appropriée face à la mortalité, la seule rédemption possible. Alors que les mots s’accumulent, on peut penser au livre-poème Alphabet d’Inger Christensen, ode à l’abondance de la vie. En passant de rien à tout, Germinal peut aussi nous rappeler le film Nothing du Canadien Vincenzo Natali, si on le faisait jouer en sens inverse. Germinal baigne dans l’humour. Les blagues sont souvent évidentes et étirées au-delà de leur élasticité. C’est un spectacle qui se veut plaisant et séducteur; et, soir de première montréalaise, il a visiblement plu à un public séduit. Personnellement, ça m’a fait apprécier de plus belle Built to Last, moins racoleur, plus admirable. 29 & 30 mai à 20h / 31 mai & 1er juin à 16h Maison Théâtre www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 514.842.2112 Billets : 43$ / 30 ans et moins ou 65 ans et plus : 38$ Lorsque j’ai assisté au concert de Martha Wainwright au Théâtre Outremont, je ne pouvais cesser de percevoir l’événement tel qu’il était. Assis au balcon, j’étais étrangement conscient du fait que nous étions sur une gigantesque boule qui flottait dans l’espace, boule sur laquelle un bâtiment avait été érigé, bâtiment dans lequel un être humain chantait, être humain qui était observé par une centaine d’autres de son espèce. Tout ça me semblait d’une absurdité et d’une beauté totales. Cette absurdité n’est pas seulement le contexte inévitable de Built to Last de Meg Stuart, mais aussi son contenu. Au-dessus de la scène est suspendu un mobile géant de neuf planètes entourant un soleil blanc. En avant-scène git une maquette de tyrannosaure. La scène, microcosme pour la planète terre au complet, apparait comme un terrain de jeu immense où les actions humaines n’ont rien à voir avec les forces de l’univers. L’insignifiance des humains transparaît. Ils ne font que jouer; ils n’ont jamais la chance de participer aux affaires de l’univers ou même de les influencer le moindrement. La danse initiale des cinq interprètes se limite à un calcul de l’espace, aux paramètres du corps qu’ils ne peuvent jamais excéder. Ils sont confinés à l’humain. Alors, sur ce terrain de jeu démesuré, les danseurs (mais aussi les personnages qu’ils interprètent) font du théâtre. Leurs mouvements ne s’accumulent pas; ils ne font que se suivre et ils perdent leur sens aussitôt qu’ils sont exécutés. « Nous sommes motivés par l’enthousiasme, » dit l’un des interprètes. L’enthousiasme… Un sentiment vif, mais qui ne sait perdurer. « What’s in our hearts and in our souls must find a way out. » Built to Last avance au son de Stockhausen, de Beethoven, de Rachmaninov… Il y a un décalage énorme entre ces musiques dramatiques et la danse des interprètes, qui ne font pas dans la virtuosité. Ironiquement, la musique semble plus appropriée pour le mouvement des planètes que celui des humains. Notre musique est plus grande que nous. Peut-être est-ce pour cela que la musique de Beethoven aura survécu plus longtemps que Beethoven lui-même. Elle n’est pas du domaine de l’humain, mais du divin. Dans un cube blanc, les danseurs bougent comme s’ils se trouvaient en état d’apesanteur. Les quelques moments magiques offerts par Built to Last ne semblent pas parvenir de l’intérieur de l’humain, mais de sa place dans l’univers. Je le répète : nous nous trouvons sur une boule qui flotte dans l’espace. Dans Forgeries, Love and Other Matters, œuvre co-créée avec Benoît Lachambre, Stuart nous avait présenté un monde post-apocalyptique. À la manière de Charlton Heston devant la Statue de la Liberté dans Planet of the Apes, avec Built to Last, on se rend compte que ce monde est peut-être déjà le nôtre. Tout dépendant d’où notre regard se pose, le titre du spectacle peut paraître ironique ou approprié. Les planètes sont faites pour durer. Le dinosaure, non. Les humains… Ils sont des dinosaures en devenir. Nous ne sommes que de futurs fossiles. 28 & 29 mai à 20h Usine C www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 514.842.2112 Billets : 48$ / 30 ans et mois ou 65 ans et plus : 43$ Il y a un an, je voyais Hetero, une pièce de danse des Japonais Teita Iwabuchi et Kaori Seki. À ce moment, mon cerveau avait malheureusement cessé de fonctionner, me laissant sans critique. Je m’étais promis que je me ressaierais plus tard… Nous voilà un an plus tard. Je me ressaie, mais il y a toujours un blocage. Pour une raison obscure, je ne parviens pas écrire ma critique à la troisième personne. Pour une raison obscure, ça sort comme ça : Si je faisais le même mouvement que toi, En même temps que toi, te verrais-je mieux? (voir = comprendre) Si j’étais ton miroir, te verrais-tu en moi Ou ne percevrais-tu que la différence, Ce qui est le même en nous s’effaçant, (1 – 1 = 0) Ne laissant transparaître que nos différences, Que ce qui déborde de ce même? Pourrais-je t’écouter dans le silence? Ne puis-je t’écouter que dans le silence? Pourrais-je t’écouter si bien Que je pourrais te voir Lorsque tu es derrière moi? Je ne peux jamais arriver à être Parfaitement toi, ce qui me chagrine Et me réconforte. Je désire La symbiose tout autant Que ton individualité. Je désire la balance de moi moi/toi toi\moi toi comme une respiration. (inspiration = expiration) Je ne veux pas que tu sois moi, Pour que nos corps puissent s’entremêler Comme des doigts en prière. Je veux que ton corps soit L’espace positif de l’espace négatif De mon corps. ( +/- ) C’est ainsi Que tu reposeras sur mes épaules J C J A O A M U M B B E E Sans difficulté Et que lorsque tu les quitteras Je sentirai le poids De ton absence. ( -/- ) SYLVAIN VERSTRICHT : On perçoit souvent dans ton travail le désir de montrer l'envers du décor. Pourquoi? D'où vient cette obsession? MARIE BÉLAND : Ce qui me fascine dans les spectacles, et particulièrement dans la danse contemporaine et performative, c’est ce rassemblement que nous créons autour de cette activité hyper codée, ce dans le but de se lancer dans l’inconnu. Le spectacle et ses codes sont pour moi les balises qui permettent aux spectateurs comme aux artistes de vivre l’expérience toute particulière que les arts vivants proposent. Ces codes sont fascinants, ils constituent à mon sens le reflet des nombreux codes qui régissent nos sociétés et de leurs nombreuses contradictions. Les décortiquer, les révéler, c’est aussi décortiquer et mettre en lumière ce qui nous permet d’agir et de fonctionner ensemble. Montrer cet envers du décor c’est donc ma façon de porter un regard, critique à l’occasion, sur ce que nous sommes. C’est aussi célébrer le fait que l’expérience du spectacle vivant nous rassemble encore, surtout de nos jours où on tend à s’isoler pour se rencontrer, via internet, la télé à la maison, Facebook, etc. Cependant, il y a une force qui demeure dans l’expérience de groupe qu’est le spectacle vivant, et c’est ce que j’ai envie de montrer, en souhaitant que ça nous fasse peut-être réfléchir sur nos manières de « vivre ensemble ». Dans les arts vivants, ce qui importe pour moi c’est le vivant, et j’en fais à la fois l’objet et le sujet de mon travail. Révélations 15-17 mai à 19h30 + 18 mai à 16h Tangente www.tangente.qc.ca 514.871.2224 / 1.866.844.2172 Billets : 22$ / Étudiants : 18$ Marche, marche dans cette parade infinie de corps vers la mort. Derrière le rideau, des corps obscurcis attendent de se matérialiser pour eux aussi marcher comme ceux qui sont venus avant eux, comme ceux qui viendront après eux, pour ajouter leur maillon dans la chaîne humaine qui progressivement, relativement, deviendra de plus en plus minime, rapetissera jusqu’à n’en devenir qu’un point indéchiffrable, avant qu’ils ne retournent d’où ils viennent, dans un autre monde, dans l’au-delà. Cette marche qui ne peut dévier de la ligne chronologique, cette marche dont l’accumulation incessante du temps efface la signifiance de toute action humaine. Cette marche au rythme du battement incessant du tambour, du temps qui n’arrête pour personne. Cette marche qui ne se résume que par elle-même. La Tragédie d’Olivier Dubois, c’est peut-être ce défilé de dix-huit corps nus, microcosme humain, vers l’inévitable mort. Ou c’est peut-être autre chose… Pour un instant, la marche se ralentie, comme si on la plaçait sous une loupe. Ce moment n’est pas plus signifiant que n’importe quel autre. Il est tout comme celui qui vient avant ou après. La poète Edith Sitwell a dit que la poésie est la déification de la réalité. N’importe quel moment pourrait être ralenti, être déifié, être poésie. Les acteurs de ce choeur épousent des poses statuesques. Par le fait même, ils dessinent leur vie, la colorent, l’écrivent. La tragédie est peut-être plutôt la mythologie que l’humain crée pour être moins animal, pour être plus divin : pour que sa vie excède sa propre durée. Le Christ est mort; longue vie au Christ! Des mouvements individuels commencent à émaner des corps, les propulsent hors de leur rang. L’espace doit maintenant être navigué pour éviter les collisions avec les autres. On ne peut parler de liberté. Les mouvements ne semblent pas consciemment choisis autant qu’ils semblent naturellement se manifester par ce qui fait de chacun un individu au-delà de son contrôle. On ne crée pas le destin; on le réalise. Au coeur de ces convulsions, des mouvements synchronisés apparaissent, la collectivité donnant par moments à l’individu quelque chose d’un peu plus grand que lui. La déification par le nombre, par l’amplification, par la volonté : le désir même de la déification. Une lumière stroboscopique fragmente l’action en images partielles. Nous ne percevons que des fragments du tout. Comme toujours, chaînon que nous sommes. 1-3 mai à 20h Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts www.dansedanse.ca 514.842.2112 / 1.866.842.2112 Billets : 34$ + taxes Pour gagner, il faut tuer. C’est ce que l’une des voix désincarnées que l’on peut entendre dans LOIN… du chorégraphe français Rachid Ouramdane nous rappelle. À la guerre, il y a les tués et il y a les tueurs. La victoire n’est qu’une illusion. Dans ce solo, les voix coulent à un rythme effréné, se succèdent, nous plongent dans un univers où les guerres incessantes font éventuellement de nous tous des colons colonisés. À mesure que le temps avance, le passé se compresse sous son propre poids et, dans l’énumération des événements d’une vie, deux ans passés en prison passent aussi vite qu’une mort subite. La parole demeure toutefois vitale pour Ouramdane, ces témoignages enregistrés étant la seule chose qui puisse nous sauver de l’amnésie collective, quoi que certains intervenants semblent douter que la mémoire soit le moins pire des maux. Toutefois, le chorégraphe continue de dérouler le fil de son microphone au fil de l’histoire qu’il raconte, pour laisser une trace aussi visible que celles qui marquent l’âme des victimes directes ou collatérales de guerres et autres colonisations. La rapidité des monologues, surtout celui d’Ouramdane, évite à la sentimentalité d’infiltrer le ton de la voix, transformant cette multiplication de mots en un récit qui – à l’image de l’Histoire elle-même – nous affecte sans que l’on ne puisse toujours préciser de quelle manière, les effets concrets, mais les causes de plus en plus lointaines, notre vie que l’écho de voix que nous n’avons nous-mêmes jamais entendues. Tout sur scène est d’un noir plus moderne que gothique : l’écran vidéo, reluisante, en coin, à la verticale; les trois haut-parleurs style gramophone; les flaques statiques qui s’écoulent de ces éléments scéniques, autre trace laissée par les témoignages, visible mais dont le produit demeure mystérieux. Le tout est encadré par quatre tubes de néon. Le visage d’Ouramdane demeure surtout dissimulé sous le capuchon de son chandail, lui aussi noir, faisant écho aux visages que fragmente l’écran vidéo, étroit. Sa danse, (trop) simple, comme s’il ne voulait pas distraire du propos, rejoint la scénographie : au sol et en lenteur, à la même vitesse que les haut-parleurs qui pivotent; convulsive alors que les lumières clignotent incessamment; une marche rapide d’un côté à l’autre de la scène alors que les haut-parleurs tournent à haute vitesse... Un Américain d’origine vietnamienne dit que Bruce Lee était son héros car il semblait plus vrai que Spiderman ou Superman. « Whatever happened to heroes? » chante Ouramdane. Sur l’écran, des logos de compagnies telles que Mercedez-Benz et Fuji déferlent. Dans un système capitaliste, les compagnies deviennent les colons. L’héroïsme ne se mesure plus aux prises de position morale, mais au portefeuille. 24-26 avril à 20h MAI (Montréal, arts interculturels) www.m-a-i.qc.ca 514.982.3386 Billets : 25$ Difficile de m’arrêter lorsque mon cœur bat si vite, de Dana Gingras Lumière tamisée sur dix interprètes marchant au ralenti. Atmosphère planante. Ils n’hésitent pas à se passer la main dans les cheveux ou se gratter la paume de la main, ces petits mouvements où l’on ne fait que répondre de façon à peine consciente aux demandes murmurées de notre corps. Leurs corps font l’objet de chutes et ils se concentreront sur le travail au sol, où ils rouleront avant de remonter à la verticale que pour tomber à nouveau, à répétition. Chez les spectateurs, la tension et le plaisir sont dans l’anticipation de l’effondrement; nous savons qu’il viendra, mais quand et comment? Petite trouvaille chorégraphique dans cet écroulement brièvement interrompu à mi-chemin par une position accroupie. Les petits mouvements initiaux ont disparu. On ne peut s’y adonner que lorsque notre corps n’est pas appelé à en faire plus. Sëlekt, de Jacques Poulin-Denis Le pire party. Le genre de party où tout le monde est trop préoccupé par les apparences et vraiment pas assez par les interactions sociales. Dubstep. Confusion. De mon côté et non de celui des six interprètes qui, eux, suivent. Et peut-être pour une autre spectatrice qui, plus tard, on peut entendre dire, « Qu’est-ce qui se passe? » Je ne m’attendais pas à ça dans une pièce de Poulin-Denis. Il fait ici dans la pop, mais ça fait partie intégrante de son propos. Sëlekt trouve sa force lorsque le commentaire social perce à travers la superficialité alors que trois hommes avec des lumières pour queues éclairent une femme que légèrement vêtue qui se dandine au son de la musique. Faire le party pour le regard des autres plus que pour son propre plaisir. De leur côté, les hommes n’ont même pas besoin du regard des femmes; ils se perdent dans une parade d’égos de plus en plus pathétique. Ils sont tous leur propre enseigne clignotante : APPLAUDISSEZ. Lorsque la façade commence enfin à s’écrouler, on entrevoit une lueur d’espoir. Une femme ne danse plus pour le regard des autres, mais pour elle-même, hors de nécessité. Elle peut sembler perdre la boule, mais cet exutoire pourrait bien assurer la survie de sa santé mentale. Sa tête tombe par en avant, par en arrière, et ses longs cheveux suivent, comme si dans son crâne elle tombait en elle-même. Dans un monde contrôlé de l’extérieur, ces moments d’intériorité sont révolutionnaires. S’envoler, d’Estelle Clareton Passons à travers le cliché du mouvement animal en danse contemporaine; la pièce de Clareton trouve ses qualités en s’inspirant des oiseaux. Le tout est d’une légèreté… Les danseurs ne peuvent tenir sur place sans sautiller, remplis de nervosité à leur première rencontre avec le monde. Ils sont remplis de tics, leurs têtes tournant de part et d’autre par petits mouvements. Une tête ressort du nid ici et là, et ceux qui se font soulever ne sont pas plus excités que ceux qui les soulèvent. Cette énergie est conservée lors de leur première tentative de vol. Certains rebrousseront même chemin ayant atteint le bout du tremplin, trop craintifs. Mais, éventuellement, chacun prendra les mains de l’autre dans les siennes pour être propulsé dans les airs. Ils retourneront toutefois au groupe pour retrouver le confort, le sentiment de sécurité. Une certaine noirceur peut être décelée, comme si le monde hors du nid pourrait présenter une menace, qu’il pourrait être dangereux d’y être seul. En effet, un loup apparaît dans le poulailler. Clareton refuse toutefois le drame et nous retourne au climat d’ébullition du départ. Le groupe soulève un interprète après l’autre et la beauté de S’envoler est qu’il ne s’agit pas de s’élever au-dessus des autres; chacun aura son tour, grâce à chacun. C’est l’absence d’égos, la coopération, l’entraide. C’est la communauté. 18-21 décembre à 19h30 Théâtre Rouge du Conservatoire www.edcmtl.com / www.admission.com 514.873.4031, poste 313 Billets : 18$ / Étudiants : 10$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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