Local Gestures
because the personal is cultural
MANUEL ROQUE Allo Sylvain,
Je trouve ton procédé intéressant. Il est tout aussi difficile pour moi de te poser une question. J’irais donc avec la suivante : Quel serait ton processus pour poser une question que tu penses pertinente sur mon travail (avec ce que tu connais de mes affaires) pour cette entrevue. (Intellectuel? Intuitif? …) SYLVAIN Habituellement, je préfère avoir vu quelques pièces d’un chorégraphe avant de faire une entrevue (préférablement au moins trois) pour que je puisse voir ce qui relie son travail. Mes questions abordent alors souvent la récurrence de certains éléments ou leur progression, leur changement… (Cela me vient peut-être de la politique des auteurs, comme j’ai fait une maîtrise en études cinématographiques.) Donc intellectuel? Ceci étant dit, tes premières œuvres avaient un côté théâtral (dans l’utilisation d’accessoires, par exemple) que tu sembles maintenant délaisser pour présenter de la danse pure et dure. Pourquoi ce changement? MANUEL Effectivement, la signature de Data est relativement différente au niveau de la forme que celles de mes précédentes pièces. Ceci dit, la pièce représente une étape dans un processus amorcé il y a 3 ans environ. J’avais besoin de faire le point sur mon corps, de faire la part des choses entre la physicalité qui venait des chorégraphes pour qui je dansais (Marie Chouinard, Sylvain Émard, Paul-André Fortier, Daniel Léveillé…) et d’impulsions très personnelles, un besoin de définir une singularité dans les impulsions physiques, le vocabulaire gestuel, une recherche sur l’identité kinesthésique, en somme. Pendant 3 ans je suis allé en studio pour travailler cette matière, un peu à la façon d’un artiste visuel. En parallèle à ce processus se greffait un questionnement sur la relation entre fond et forme. Au bout d’un certain temps, plusieurs thématiques ont émergé de la forme travaillée et la pièce a pris naissance naturellement. C’est une façon nouvelle pour moi de travailler, mais ça me permet de conscientiser énormément de notions (écriture chorégraphique, utilisation de l’espace, les choix formels et ce qu’ils véhiculent comme idées…). Mes questionnements sur la condition humaine contemporaine, sur l’identité, déjà présents dans les autres pièces, sont totalement en résonance dans Data, mais ils trouvent une autre forme d’expression. J’ai tendance à avoir une personnalité éclatée, ne serait-ce qu’à travers ma formation artistique (cirque, musique, théâtre, danse…) et je revendique une curiosité créatrice plutôt que l’établissement d’une signature immuable. Je me retrouve dans ces mots de Gyorgy Ligeti : « I incline to not have too high an opinion of artists who develop one single procedure and then produce the same sort of thing for the rest of their lives. In my own work, I prefer to be constantly retesting procedures, modifying them, and eventually throwing them away and replacing them with other procedures. » Plutôt que d’essayer d’imposer une forme ou de m’essayer au mélange des genres, je préfère laisser le projet dicter sa loi et trouver la forme qui lui permet de prendre le plus d’ouverture possible. Ces pensées sont directement en relation avec des thèmes sous-jacents à Data, qui sont la mutation de la matière, l’identité fluide… Dans ces périodes où la moindre information est classifiée, codée, analysée, j’ai tendance à afficher un certain goût pour les zones grises, pour les remises en questions et en forme, pour l’établissement d’un mode de communication qui tient plus de l’expérience et fait appel à différents récepteurs (le langage du corps) plutôt qu’à un message de nature plus intellectuelle. En tant que chorégraphe, j’avais donc le goût de me pousser en territoire inconnu. En tant que danseur, j’avais envie de pousser une physicalité et de voir jusqu’où je pouvais aller. Le travail du corps est infini. La pièce est terminée, mais elle continuera d’évoluer, de s’enrichir en nuances. SYLVAIN Lors du lancement de la saison 2014/15 de l’Usine C, tu as mentionné que tu as passé deux mois dans le désert pour faire de la recherche chorégraphique. Où étais-tu? Qu’est-ce que cet environnement t’a apporté? MANUEL Ah oui, le désert! Quand la pièce a commencé à apparaître, j’ai commencé à me questionner sur la relation de l’humain avec son environnement; comment l’un influence l’autre, notre perméabilité, mutabilité, notre impact… J’ai donc décidé de faire deux voyages dans des environnements contrastés – Manhattan (1 semaine) et son opposé, les déserts du Sud des États-Unis (Joshua Tree, Death Valley, les routes du Nouveau-Mexique, Grand Canyon, et Zion en Utah) – et d’observer les ressentis face à ces environnements (verticalité/horizontalité, champ de vision…), comment l’imaginaire personnel se déploie dans ces espaces, comment on y trouve une place. Je n’ai pas fait de recherche chorégraphique en tant que tel; c’était plus de l’ordre d’une expérience personnelle en résonnance avec le projet sur lequel je travaillais. Pour les déserts, je suis parti en auto, seul, confronter une solitude. L’expérience a été bouleversante; le sentiment cliché d’être une poussière dans l’immensité, mais aussi une connexion peut-être plus sereine avec l’espace dans lequel nous évoluons, une vision plus complexe et plus globale de l’universel que ce que nous percevons habituellement. Encore une citation, une dernière… En voyage, je lisais L’Amérique de Baudrillard. J’y trouve une phrase à l’image de ces réflexions : « le désert est une extension naturelle du silence intérieur du corps. » Tout ceci juste pour ajouter une couche de fond sur le processus autour de Data, nourrir autant la création que l’interprète, mais à un niveau sensitif, subconscient, des petites traces qui continuent leur chemin par en arrière… SYLVAIN N'hésite pas à me poser des questions si tu en as ou à me le dire s'il y avait quelque chose d'autre dont tu aurais aimé parler. MANUEL Oui, une dernière chose, importante pour moi… Ce projet est loin de s’être fait tout seul et j’ai réuni une gang magnifique, des artistes pleins de talent qui sont très impliqués, chacun dans leur discipline respective, mais aussi sur la globalité du processus. J’essaie toujours de garder un espace de dialogue ouvert, poreux, surtout dans un projet solo comme celui-là. La scénographie de Marilène Bastien est une couche majeure de la pièce. François Marceau travaille la matière lumière, assisté de Judith Allen qui fait aussi une direction de prod super efficace. Ginelle Chagnon, conseillère artistique, est venue nourrir le processus chorégraphique, avec son expérience incroyable autour du corps dansant, et une générosité et sensibilité sans limites. Indiana Escach et Lucie Vigneault, complices, interprètes et répétitrices de longue date, font aussi partie du décor à titre de répétitrices et conseillères artistiques. Bonne journée! 4-6 septembre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 32$ / Réduit : 24$
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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