Local Gestures
because the personal is cultural
Je m'entretiens avec le danseur Marc Boivin, lauréat du prix Dora Mavor Moore pour sa performance dans WOULD de la chorégraphe Mélanie Demers. Le spectacle sera présenté cette semaine à l'Usine C.
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25-27 mars à 20h
Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 32$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 24$ À l’instar de la première édition du Cabaret Gravel, la nouvelle mouture comprend une douzaine de numéros de danse, musique et théâtre par tout autant d’artistes. Le maître de cérémonie Frédérick Gravel a un don certain pour désacraliser l’espace, pour le rendre convivial; la grande scène de l’Usine C a été quelque peu rétrécie pour permettre à bon nombre de spectateurs de s’asseoir à des tables sur trois côtés de la scène et un bar a été aménagé à même la salle. Malgré tout, soir de première, l’énergie n’était jamais tout à fait la même qu’elle était au Lion d’Or lors de l’édition de 2012. Peut-être est-ce en partie pourquoi les numéros ne volent en général pas aussi haut que ceux de l’édition précédente, mais notons tout de même quelques bons coups…
Le MC lui-même ravive l’intérêt pour sa création chorégraphique en dansant un duo inspiré de L’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinsky avec Clara Furey. Gravel conserve la bi-dimensionnalité de l’original, mais a rendu celui-ci plus queer (selon ses propres dires) en voulant rétablir une certaine balance entre la nymphe et le faune. Ce qu’on remarque surtout, c’est que les corps se font plus élancés qu’ils ne le sont habituellement dans la danse de Gravel, une qualité qui laisse entrevoir une nouvelle direction dans son travail. Furey elle-même y va d’une pièce somme toute convenue, mais qui finit tout de même par se démarquer du lot. La danseuse apparaît vêtue d’un chandail et de sous-vêtements noirs et chaussée de souliers à talons hauts scintillants. Elle accumule les gestes aguichants, écarte les jambes et tire sur ses longs cheveux noirs, mais l’effet désiré n’y est pas puisque le mouvement est saccadé, comme si elle n’était pas tout à fait en contrôle de son corps et peut-être encore moins de son esprit. Sa danse dérange plus qu’elle n’émoustille et lorsque Furey bascule dans le numéro qui suit le sien à coups de bribes de chanson pop, elle provoque un rire délicieusement inattendu. De son côté, l’auteur Étienne Lepage signe la pièce qui a la plus grande force de frappe. Trois acteurs émettent des énoncés de bullshit conventionnelle dont on s’attend de nous au « si » avant de prescrire « sauve-toi en courant. » Particulièrement savoureuses sont les répliques réservées à l’actrice (Marilyn Castonguay? Brigitte Poupart?), qui flirtent avec le féminisme. Avant de s’attaquer aux hommes qui urgent les femmes de sourire, elle recommande, « Si quelqu’un te dit que tu n’es pas dans la bonne toilette, dis-lui qu’il n’est pas dans le bon corps. » On se doute aussi que le Darth Vader sacrant de Lepage atteindra sûrement sa cible lorsque l’acteur Philippe Boutin aura bien mémorisé le texte. Selon le programme du spectacle, la durée de la soirée devrait être deux heures avec entracte. Soir de première, nous étions beaucoup plus près du trois heures. Osons espérer que le tir sera ajusté lors des représentations à venir. 4-7 mars à 20h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 32$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 24$
En tant que chorégraphe, je cherche à garder un lien avec la danse et donc avec le mouvement « dansé. » Cependant, en tant qu'artiste, je cherche une liberté. Je suis donc prise entre les deux. C'est pourquoi quelque part je fuis l'idée d'avoir un filtre quelconque, mais d'autre part je m'impose une stylisation des formes et des gestes afin de me relier au mouvement dansé. Au niveau de l'imaginaire, j'essaie de me laisser aller dans n'importe quelle direction. Par la suite, j'ai tendance à travailler un peu comme un dessinateur ou un sculpteur, voulant modeler et remodeler les détails d'un geste et d'un mouvement en quête de sa valeur esthétique, mais aussi en quête des émotions et de l'humanité retenues dans ces formes. Donc, oui, toute forme et toute séquence de formes sont valables comme matière de travail. Au fond, j'avoue que je trouve les étapes de recherche et le processus de travail de création très stimulants et inspirants, souvent même plus que le fait de donner un spectacle. C'est dans les moments où on fouille dans le corps, comme dans le fond d'un tiroir, et qu'on explore les objets disparates qu'on y retrouve que je sens qu'un filtre serait malvenu. Par contre, on finit par la suite par trier de plus en plus et par altérer les objets choisis d'une telle façon et à un tel degré qu'une sorte de filtre finit tout de même par s'installer. En plus on est limité par nos tendances personnelles, par notre façon personnelle de faire. C'est ce filtre-là qui est difficile à éviter!
SYLVAIN VERSTRICHT Qu’est-ce qui ne pourrait pas se retrouver dans un spectacle de Lina Cruz? LINA CRUZ Il doit y avoir plusieurs « choses » que je n'inclurais pas, j'imagine, dans un spectacle, mais je n'arrive pas à dire radicalement « non » à quoique ce soit ou à dire que « jamais je ne ferai ceci ou cela. » Je crois que si j'avais la possibilité de manipuler et transposer les éléments potentiels d'un spectacle pour leur donner une ambivalence et une ouverture à plusieurs interprétations, je serais intéressée par pratiquement tout. J'ai de la difficulté à dire que ceci ou cela, non, jamais je ne l'utiliserai, car au moment même de dire « non, » je m'entends penser : « mais pourquoi pas? » Cela m'arrive aussi en tant que public ou spectatrice. Je crois que je suis un très bon public car j'ai du plaisir à aimer les spectacles que je vois, j'aime apprécier toutes sortes de propositions, que ce soit le travail d'artistes qui se rapprochent de mon esthétique autant que ceux qui sont à des pôles opposés. Je dirais que ce qui pourrait me déranger dans un spectacle serait probablement une proposition quelconque que j'interprèterais comme étant une atteinte aux droits de l'homme/la femme, surtout si je n'y perçois pas de deuxième degré (mais comme tout est subjectif…). J'ai du plaisir à découvrir des artistes d'une grande diversité et j'ai peur de la pensée unique. C'est pourquoi, en réfléchissant à votre question et en l'appliquant à ma pratique artistique, j'ai de la difficulté à identifier ce que je ne ferais pas. En attendant, heureusement que je n'ai pas tant d'occasions de présenter mon travail et ainsi prouver que je me trompe et qu'au fond mes choix sont très limités! SYLVAIN VERSTRICHT Il y a une certaine porosité dans les rôles qu’occupent les interprètes dans vos pièces. Les danseurs créent souvent de la musique et les musiciens peuvent se retrouver à exécuter quelques pas de danse. Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce choix? LINA CRUZ En 2000, j'ai été invitée par le Canadian Electronic Ensemble à créer des solos pour moi-même et à les présenter à Toronto, accompagnée par eux sur scène. Cette expérience a été super stimulante pour moi et déterminante dans ma démarche. Les musiciens étaient sur scène, dans un coin, avec leurs instruments et leurs machines. Il n'y avait pas d'implication physique de leur part ni de travail sonore de la mienne. Le fait d'être cependant si proches les uns les autres sur une même scène, eux en train de produire de la musique et moi de livrer des images, a été très inspirant pour nous tous. Depuis, j'ai ressenti le besoin de créer des spectacles avec des musiciens sur scène. J'ai créé ainsi plusieurs solos. Très vite, j'ai réalisé que le fait d'avoir des musiciens sur scène signifiait pour moi qu'ils faisaient partie du paysage vivant et du contenu esthétique du travail. C'est pourquoi j'ai commencé à explorer la manière de les intégrer. Je ne voulais pas qu'ils soient simplement « exécuteurs » de son et de musique. J'ai compris aussi très vite qu'il fallait trouver des façons très faciles de les intégrer, concevoir des propositions accessibles pour eux. Je savais qu'il fallait ne pas trop leur compliquer la vie! Ce, pour plusieurs raisons… D'abord, en général ils n'ont pas l'habitude de bouger, d'habiter un personnage. Cela représente donc beaucoup d'heures de répétition, mais je dois aussi respecter mon budget et, de toute façon, leur disponibilité est limitée car ils sont souvent très occupés! D'un autre côté, ils ont besoin d'avoir leur attention disponible plutôt pour la musique que pour la performance physique… sinon ils capotent! Afin d'établir d'avantage cette complicité entre musiciens et danseurs, j'ai commencé aussi à donner aux danseurs des participations à l'espace sonore. Dans mes pièces de groupe, il y a un côté tribal, célébratoire, parfois rituel, et l'utilisation de la voix devient pour moi donc naturelle. J'aime explorer la ponctuation sonore des actions des danseurs sur scène. J'ai l'impression que le mouvement devient ainsi plus vivant. Sur une scène, je vois un petit univers commun, une expérience à partager au-delà de la musique et de la danse. Il me semble que ce dialogue et cette complicité entre danseurs et musiciens nous aident à être dans un même univers. Puis, je crois que les musiciens sont curieux mais timides à l'idée d'être physiquement actifs sur scène (sauf évidemment les vedettes de rock et du heavy métal). D'autre part, en règle générale, les danseurs sont excités à l'idée de participer musicalement, peu importe leur niveau d'expérience en musique. Je dirais que la plupart de gens aiment secrètement faire de la musique et s'exprimer avec le corps, peu importe leur degré de facilité dans ces matières. C'est aussi dans cette direction que j'aime amener les musiciens et les danseurs à visiter ainsi le terrain de l'autre, même en tant que néophytes, pourvu qu'ils soient des néophytes assez rêveurs pour se permettre de visiter l'univers de l'autre avec plaisir. Imaginarium, ne pas nourrir les animaux! 21-23 janvier à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ 1. Tragédie, Olivier Dubois (Danse Danse)
Avec son opus pour dix-huit danseurs nus, Dubois a abordé les grands thèmes (le passage du temps, la mortalité, la petitesse de la vie humaine, le rôle de l’art, l’humanité) en prenant son temps, en n’empruntant aucun raccourci facile, en laissant le sens émerger de lui-même. 2. Uncanny Valley Stuff, Dana Michel (Usine C) Avec Uncanny Valley Stuff, Michel a continué sa recherche entamée avec Yellow Towel, spectacle qui figure dans le top dix du magazine new-yorkais Time Out et pour lequel le prestigieux festival ImPulsTanz a créé un prix spécialement pour elle. Sa nouvelle courte pièce est toute aussi incisive mais encore plus drôle. En empilant les clichés sur les Noirs jusqu’à ce qu’ils s’entremêlent et se contredisent, Michel démontre l’absurdité de ces stéréotypes qui nous présentent une vision déformée du monde. 3. Antigone Sr.: Twenty Looks or Paris Is Burning at the Judson Church (L), Trajal Harrell (Festival TransAmériques) Antigone Sr. a probablement été le spectacle de danse qui a créé le plus de divisions cette année. On pourrait diviser le public en trois : ceux qui ont quitté la salle, ceux qui sont restés assis les bras croisés, et ceux qui se sont levés pour danser. Il n’est donc pas surprenant que le spectacle se retrouve dans mon palmarès. Il faut dire que je suis queer et que j’ai une affinité pour la danse post-moderne, ce qui me donne une double porte d’entrée sur le sujet. Pour ceux qui n’ont pas eu l’endurance nécessaire pour passer à travers ce défilé de mode DIY de deux heures, il serait bon de noter que les plus grands bals qui ont inspiré la pièce pouvaient durer jusqu’à dix heures de temps; comptez-vous chanceux! Peut-être comprenez-vous maintenant un peu mieux ce que c’est que de se sentir aliéné par la culture dominante. 4. Monsters, Angels and Aliens Are Not a Substitute for Spirituality…, Andrew Tay (OFFTA) Pour être honnête, lorsque j’ai vu la nouvelle pièce de Tay, qui vire de plus en plus dans le performance art, je me suis demandé si j’étais en train de regarder un artiste perdre la tête sur scène ou si Tay était en contrôle de son art. J’étais évidemment assez intrigué pour découvrir la réponse avec Summoning Aesthetics qu’il a ensuite présenté avec François Lalumière au Festival Phénomena. Conclusion : Tay continue dans la même veine ritualiste, sachant clairement dans quelle direction il va même s’il ne connaît pas nécessairement sa destination. J’ai admiré qu’il ait pris la décision de terminer Monsters sur une note différente de ce qu’il avait prévu pendant la représentation même. La misogynie latente qui avait l’habitude d’hanter ses pièces est disparue. Ce qui demeure est son ludisme, son humour et son ouverture aux expériences, peu importe ce qu’elles s’avèrent être. Si je me souviens bien, un spectateur avait qualifié Summoning Aesthetics « d’honnêteté perverse. » Cela me semble aussi approprié. 5. Built to Last, Meg Stuart (Festival TransAmériques) Avec Built to Last, Stuart (qui a reçu le Grand Prix de la Danse de Montréal) a abordé des thèmes similaires à ceux de Tragédie d’Olivier Dubois, mais de façon beaucoup plus théâtrale. En juxtaposant un immense mobile de notre système solaire avec une maquette d’un tyrannosaure et la danse contemporaine avec la musique classique, Stuart a démontré l’insignifiance des actions humaines et que notre seule rédemption possible se trouve dans l’art. 6. Florilège, Margie Gillis (Agora de la danse) Pour célébrer ses quarante ans de carrière, Gillis nous a offert cinq pièces de son répertoire revisitant les années 1978 à 1997. Par le fait même, elle nous a rappelé pourquoi elle est devenue une danseuse de telle renommée. L’intangible se manifeste à travers son corps, soulignant la fragilité de l’humain dans un univers chaotique. 7. Mange-moi, Andréane Leclerc (Tangente) Leclerc a utilisé la contorsion et la nudité pour aborder les relations de pouvoir entre les individus lorsque notre survie dépend des autres. Qu’elle puisse s’attaquer à de telles questions tout en offrant une des pièces les plus sensorielles de l’année démontre l’intelligence de son travail. 8. Tête-à-Tête, Stéphane Gladyszewski (Agora de la danse) Ma réaction à ma sortie de cette pièce de quinze minutes pour un seul spectateur à la fois : on doit donner à Gladyszewski tout l’argent dont il a besoin pour réaliser ses projets. Aucun autre chorégraphe n’arrive à intégrer la technologie avec autant d’adresse. Tête-à-Tête était à la fois intime, inquiétant et magique. 9. The Nutcracker, Maria Kefirova (Tangente) L’excentrique Kefirova a troqué l’écran vidéo pour des haut-parleurs et a démontré qu’elle maîtrise le son avec autant de flair que l’image. « Elle n’utilise pas le son pour meubler le silence comme le fond maints spectacles, mais pour matérialiser l’invisible, » disais-je. Difficile d’oublier la satisfaction ressentie lors de l’exutoire du tableau final, où Kefirova s’acharne à faire éclater des noix de Grenoble en morceaux en se servant de ses chaussures à talons hauts comme casse-noisette. 10. Junkyard/Paradis remix, Catherine Vidal (Usine C) J’espère avoir assez établi le fait que je suis un fan fini de Mélanie Demers pour pouvoir dire ceci (qui, je crois, n’est pas l’opinion populaire) : Junkyard/Paradis est probablement sa pièce que j’aime le moins. Lors de l’événement MAYDAY remix, où la chorégraphe a laissé des artistes remixer son travail, la metteure en scène Catherine Vidal a donné au spectacle la structure dramatique qu’il méritait avec une fin des plus jubilatoires. 11. loveloss, Michael Trent (Agora de la danse) Extrait de ma critique : « Trent n’a toujours pas peur de prendre le temps qu’il faut. De plus, il évite ici l’humour, le théâtral et le mouvement séducteur (athlétique, rapide, synchronisé), toutes ces astuces que des chorégraphes moins confiants utilisent pour que leur dance soit plus accessible. L’interprétation est sentie sans être affectée. loveloss est une œuvre touchante … » 12. Milieu de nulle part, Jean-Sébastien Lourdais (Agora de la danse) Pour la performance de l’année, celle de Sophie Corriveau, qui s’est méritée la toute première résidence de création pour interprètes offerte par l’Agora de la danse. Notons que le diffuseur s’est démarqué avec une programmation solide pour une deuxième année consécutive.
Avec ses images de meute de loups, la pièce n’est pas sans rappeler Clap for the Wolfman de la New-Yorkaise Shannon Gillen. Toutefois, Demers se fait plus subtile. Nulle trace de violence explicite. Si division il y a, elle ne se trouve pas au sein des interprètes, mais plutôt entre eux et nous, le public. Tous habillés de la même façon (camisoles blanches, pantalons foncés et chaussures à talons hauts), ils demeurent presqu’exclusivement dans une position frontale. Il y a eux et il y a nous.
Ils ne semblent par contre pas autant vouloir nous attaquer que de se protéger. La dualité se déploie entre autres dans le mouvement et l’immobilité. La danse apparaît surtout comme l’écroulement de l’individu au sein du groupe plutôt qu’une prise de contrôle. Les talons glissent contre le sol, les mouvements sont conséquemment maladroits et les chutes suivent, révélant la précarité et la vulnérabilité de l’individu. Pendant ce temps, les autres veillent à leur tâche. Ils maintiennent les apparences en demeurant immobiles tout en soutenant notre regard, faignant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Leur force réside dans le groupe et ils le savent. Maintes fois, ils nous montrent les paumes de leurs mains, comme pour nous prouver leur caractère inoffensif. « Qui? Moi? » semblent-ils dire. On ferait mieux de se fier à la saleté qui recouvre leurs avant-bras. En dernière partie, nous avons droit à une belle surprise avec Avant les gens mouraient d’Arthur Harel et du collectif français (LA)HORDE (Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Céline Signoret). Avec quinze danseurs sous la main, le dynamisme est inévitablement au rendez-vous et les chorégraphes poussent les choses encore plus loin. Ils explorent le Mainstream Hardcore en réinterprétant les mouvements du Jumpstyle, du Hardjump et du Gabber. On parle d’un bpm entre 150 et 180. Imaginez. C’est donc d’un « 5, 6, 7, 8 » que la danse explose, lui donnant des airs de power cardio. Les brassières de sport et les espadrilles sont de mise. Heureusement, les reprises et remix douteux de chansons pop sont remplacés par les beats incessants de Guillaume Rémus. La chorégraphie suit. On pourrait ici penser à Bertolina de Sharon Eyal. Le mouvement est tout autre, par contre : petits sauts, quarts de tour, un coup de pied ici et là, on crée une boucle et on répète le tout. Les interprètes trouvent quelques moments de répit sur les clôtures de fer en arrière-scène. De là, ils observent la danse en conservant le look le plus butch possible, ayant l’air aussi hard que les acteurs dans Beat Street. Ils assènent l’air de coups de poing avant de se joindre de plus belle à l’action. Cette énergie est maintenue presque jusqu’à la toute fin du spectacle. (LA)HORDE offre ici la transposition sur scène d’une danse communautaire la plus réussie que j’ai eu la chance de voir. 17-20 décembre à 19h30 Théâtre Rouge du Conservatoire www.admission.com 514.873.4031 poste 313 Billets : 18$ / Étudiants : 12$
C’est un jeu d’ombres qui entame F O L D S. La silhouette d’une immense tête se dessine doucement devant nous, d’abord à peine perceptible dans la noirceur d’où elle émerge. Alors que la lumière en arrière-scène se fait un peu plus insistante, clarifiant les contours, on remarque que les têtes se multiplient, allant grandissant alors qu’elles se rapprochent de nous. Au milieu de cette multiplication, on entrevoit la tête originelle, celle de Germain. Comme dans ses œuvres précédentes, la chorégraphie est lente, douce, méditative. En deuxième partie, le théâtre d’ombres est abandonné en faveur d’un dispositif vidéographique qui une fois de plus multiplie l’image de Germain et de sa partenaire Hélène Messier. Ces apparitions digitales disparaissent en fumée, nous submergeant dans un monde fantomatique. Le dispositif crée aussi un effet miroir qui souligne l’interaction entre le réel et le virtuel. Le corps apparaît comme un contrôleur de jeu vidéo parfaitement calqué sur celui-ci. On voit dans F O L D S les films du célèbre cinéaste d’animation canadien Norman McLaren, dont son classique Pas de deux. L’installation de l’artiste visuelle Lenka Novakova fait aussi penser au travail de Lemieux-Pilon (4d art), eux qui ont d’ailleurs fait un spectacle de danse sur McLaren. Impossible d’accuser Germain de se cacher derrière la technologie. On ne perçoit aucune hiérarchie entre la chorégraphie et la projection vidéo. C’est plutôt la symbiose qui transparaît et on soupçonne que la danse tiendrait la route sans le dispositif vidéographique, comme Germain nous l’a déjà prouvé auparavant avec Aube et Y demeurer. La vidéo ne fait qu’enrichir sa proposition, qui s’avère être d’une grande beauté et poésie. Dès le retour de l’entracte, on se retrouve indéniablement dans un autre univers. Finie la pénombre. Toute la salle est éclairée et les rideaux ont été écartés. Rien n’est caché. Noeser et sa complice Karina Iraola entre en scène de façon décontractée. Soudainement, du flamenco éclate sur les haut-parleurs et les danseurs se laissent envouter par une danse qui n’a rien à voir avec l’Espagne. Le mouvement de tous les deux est plutôt fragmenté par des secousses, tel un disque qui saute. La pièce enfile ces juxtapositions inattendues qui font de RUMINANT RUMINANT la plus drôle des créations de Noeser à ce jour. Comme dans les pièces de la chorégraphe Mélanie Demers, les transitions entre les sections se font sous nos yeux et font partie intégrante du spectacle. Noeser change donc de chandail de façon totalement gratuite et s’assoit sur scène avec une tasse d’eau en attendant que sa partenaire mette la scène pour le prochain tableau, son travail s’étirant (elle quitte même la salle!) alors que Noeser ne fait rien. Autre forme de décalage. Sur son baladeur, il fait jouer une chanson pop (« Ouragan » de Stéphanie de Monaco) et affixe ses écouteurs à ses oreilles à coups de ruban adhésif. Alors qu’il danse de façon excessivement athlétique, c’est plutôt de la musique classique que nous entendons, créant une fois de plus une délicieuse disjonction. Chaque fois que la danse apparaît, c’est avec surprise. Pourtant, nous assistons à un spectacle de danse! se rappelle-t-on. C’est là la force de Noeser, un chorégraphe qui défie nos attentes à tout moment dans une pièce où l’on ressent une grande liberté.
Pour cette pièce, Soulier recrée physiquement les séquences des Improvisation Technologies de William Forsythe comme s’il s’agissait d’une partition chorégraphique tout en offrant une conférence sur la danse qui fera aussi appel à des entrevues avec les Américaines postmodernes Yvonne Rainer et Trisha Brown, par exemple. S’en suit un décalage entre parole et mouvement qui refuse l’explication directe et nous apporte plutôt à réfléchir sur la danse présentée d’un point de vue théorique ou philosophique. (D’ailleurs, pas étonnant que Soulier possède une maîtrise en philosophie.) Ce décalage n’étant pas nécessairement évident dès le départ, par exemple, on pourrait penser que Soulier se sert de son coude pour parler de son genou. Le résultat est parfois teinté d’humour, comme lorsque la disjonction est à son plus flagrant alors que le danseur déclare « Si je lève mon bras comme ceci » alors qu’il demeure immobile, étendu sur le sol. Qu’une seule fois y a-t-il chevauchement qui permet que la parole devienne explicative du mouvement ou vice versa, tout dépendant du point de vue.
On pourrait reprocher à Mouvement d’être un peu trop bavard, encore plus au niveau de la danse que du texte, mais surtout dans la juxtaposition de ces deux éléments. Il est toutefois difficile de le faire, surtout lorsque les œuvres qui demandent toute notre attention se font si rares. Le travail fait ici porte des ressemblances à celui de la Canadienne Sarah Chase si celle-ci faisait de la danse non seulement son médium mais son sujet. Comme toute bonne étude, celle de Soulier ne prend rien pour acquis et engendre chez le spectateur une conscience du corps habituellement réservée aux artistes du mouvement. C’est pour cette raison que je vous recommanderais de vérifier si le spectacle est vraiment complet, juste au cas où… 28 & 29 octobre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 25$ / Réduit : 20$
Bath House est une petite pièce de dix minutes pour trois interprètes : Laurence Racine, Geneviève Gauthier et Maude Parent. Le tout se déroule principalement ras le sol tandis que les spectateurs, debout, entourent les trois femmes, les regardant de haut. Le corps des interprètes s’en trouvent donc aplatis et notre position en tant que spectateur accentue leur vulnérabilité. Comme dans Di(x)parue, œuvre de Leclerc datant de 2011, on remarque une approche philosophique de sa discipline : lorsqu’une interprète rencontre un obstacle, dans ce cas le corps d’un spectateur, la contorsion lui permet de le contourner.
Suit la pièce de résistance, Cherepaka, un solo interprété par Leclerc. Sous une lumière tamisée, c’est d’abord l’image qui règne (assoyez-vous loin de la scène) alors que son corps devient fracturé, inintelligible dans ses contorsions alors que le spectateur se trouve dans l’impossibilité de s’expliquer sa configuration. Même lorsque la lumière nous en révèle plus, le corps maintient sa reconfiguration, lorsque celui-ci semble être suspendu par ses propres pieds, par exemple. Toutefois, le viscéral prend vite le dessus alors que Leclerc se démène, tel qu’on peut l’entendre dans ses gémissements paniquées. Le but de sa lutte demeure obscur pour le spectateur. Peut-être n’y en a-t-il même pas. Il est possible qu’il s’agisse tout simplement des effets causés par la transformation du corps dans son évolution perpétuelle et donc sans fin. Qu’elle soit dos ou face au plancher, Leclerc se retrouve souvent à quatre pattes, la tête au sol, mais le bassin surélevé. Elle rejoint ainsi l’animal tout en évitant la comparaison avec nos plus proches cousins, ressemblant plutôt à une araignée ou à cette tortue à qui la pièce doit son titre. Elle finira le spectacle à la verticale, mais en laissant sa tête dissimulée derrière son dos, refusant la supposée finitude de l’humain et conservant l’étrangeté de ce corps que l’on dit nôtre. 21-24 octobre à 19h30 Théâtre ESPACE GO www.tangente.qc.ca 514.845.4890 Billets : 23$ / Étudiants : 19$
C’est ainsi qu’un écran situé au milieu d’un mur, sur lequel est projetée une vidéo de feux solaires, se transforme en fenêtre alors que des techniciens plient le mur en deux pour créer un coin de chambre d’enfant. C’est d’abord de sa propre voix que Brassard nous livre le texte, faisant fi du genre des personnages ou de leur âge. Toutefois, les couleurs de ses vêtements et de ceux du gamin sont similairement sombres, noir ou marin, nous donnant l’impression que cette voix pourrait passer d’un corps à l’autre, de la femme au garçon à la femme à l’homme. Lorsque le timbre de sa voix est modifié (comme Brassard aime bien le faire) pour lui donner une voix masculine, sa propre voix persiste en soupirs et chuchotements sous celle des haut-parleurs.
À travers l’imagination de cet enfant d’architecte, Vauban démontre que, lorsque le littéral est défendu, le symbolique vient à la rescousse et prend sa place. Le garçon construit des structures à partir de blocs, une ville de son propre cru où il pourrait bouger comme bon lui semble. Alors qu’il sommeille dans son lit, Brassard passe un large balai muni de petites lumières qui projettent l’ombre de cette ville imaginée sur les murs de la chambre. La pièce prend place dans une nuit perpétuelle, une nuit qui fait appel aux rêves, espace de toutes les libertés. La nuit qui permet aussi – à l’encontre du jour qui accentue la visibilité – un peu plus de liberté à ceux qui demeurent éveillés, leurs corps dissimulés dans la pénombre. Évidemment, cette nuit symbolise l’aveuglement grandissant du garçon. La nécessité d’une liberté de mouvement, quelle qu’elle soit, se voit dans les paroles du personnage qui dit, « Je ne bougeais plus que dans ma parole. Je parlais car je ne voyais pas. » Alors qu’il réussit à naviguer les labyrinthes de son père à l’aide des plans que ses migraines lui imprègnent dans l’œil, sa nouvelle liberté de mouvement efface l’importance du symbolique : « Toute parole me paraissait désormais veine. » Malgré son sujet contre-utopique, Vauban est d’une belle simplicité, un petit trente minutes aussi doux que les rêves dans lesquels il baigne. À cet effet, la musique ambiante de Tim Hecker (Ravedeath, 1972) est judicieusement utilisée pour colorer le récit, planant entre l’inquiétude du réel et la beauté de l'imaginaire. 21 & 22 octobre à 20h30 Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 10$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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