Bien qu’ancré dans une réalité concrète, Trois décennies d’amour cerné du chorégraphe français Thomas Lebrun est un regard poétique sur la vie, l’amour et le sexe dans un monde post-free love. Un monde où la menace du VIH plane, en quatre tableaux. De risques. Solo pour Anthony Cazaux qui puise son inspiration de la club culture. Le corps musclé de Cazaux est mis de l’avant : veste sans manches déboutonnée, pantalons serrés, talons-hauts. Sa danse, souvent axée sur son bassin, est sexuelle mais froide, tout comme l’éclairage de néons sous lequel elle prend place. Les mouvements sont durs à cause de leur isolement qui rejette toute fluidité. Le corps est sexualisé, mais privé de sentiments. Peut-être ceux-ci se doivent-ils d’être refoulés à l’ère du VIH. |
De peur. Duo, le seul du spectacle, pour Anne-Emmanuelle Deroo et Raphaël Cottin. L’équivalent au pas de deux à ce que le « par-dessus les pantalons » est au sexe. Ils sont torse nu, poitrine contre poitrine, mais leurs pieds ne pourraient être plus éloignés. La gestuelle est ici similaire à celle des jeunes chorégraphes québécois qui ont eux aussi touché aux relations amoureuses et sexuelles contemporaines, dont Virginie Brunelle, Dave St-Pierre, et Frédérick Gravel : dans les portées, où la femme saute, le corps rigide; lorsqu’elle se laisse tomber comme une planche et que l’homme l’attrape à la toute dernière seconde, avant que la tête ne frappe le sol; ou lorsqu’il la soulève alors que ses jambes sont écartées telles les parois d’un tunnel. On y retrouve la même relation push/pull et ce même si leurs corps sont presque constamment en contact.
Particulièrement belle, cette image où, tronc contre tronc, genoux contre genoux, leurs jambes s’affaissent en étoile, donnant à leurs corps soudés l’apparence d’une araignée à quatre pattes. La vulnérabilité transparaît dans cette relation qui maintient une part d’antagonisme, alors que chaque geste révèle le besoin de l’autre tout en soulignant la peur que celui-ci pourrait nous briser.
De doute. Solo pour Anne-Sophie Lancelin, en sourdine. On détecte une certaine violence, mais elle ne se trouve pas explicitement sur scène. C’est plutôt les traces qu’elle laisse dans le corps que l’on perçoit, celles de la vie qui nous use. Encore là, on ressent le paradoxe de la fragilité et de la force de l’humain. Sur la trame sonore, on peut entendre une femme clamer « I am yet to be broken. » La beauté persiste, celle de l’habilité du corps à exprimer sa réalité, au-delà des mots, sentie par l’interprète et ressentie par le spectateur.
De solitude. Solo de Thomas Lebrun, encore plus calme. On peut comprendre cette progression anti-dramatique tout comme on peut la critiquer. Il passe la deuxième moitié du solo à vaciller sans jamais soulever ses pieds du plancher, immobilisé dans l’hésitation.
Sans nous faire encaisser un coup fracassant, Trois décennies demeure le spectacle de danse qui joue le plus avec nos émotions depuis Milieu de nulle part de Jean-Sébastien Lourdais, aussi vu à l’Agora de la danse, en mars dernier. On remarque alors que la danse contemporaine en 2014 se fait surtout dans la tête… et on se souvient comment elle fait du bien lorsqu’elle frappe là où elle fait son meilleur travail.
23-26 septembre à 20h
Agora de la danse
www.agoradanse.com
514.525.1500
Billets : 30$ / Étudiant ou 30 ans et moins : 22$