Local Gestures
because the personal is cultural
C’est un jeu d’ombres qui entame F O L D S. La silhouette d’une immense tête se dessine doucement devant nous, d’abord à peine perceptible dans la noirceur d’où elle émerge. Alors que la lumière en arrière-scène se fait un peu plus insistante, clarifiant les contours, on remarque que les têtes se multiplient, allant grandissant alors qu’elles se rapprochent de nous. Au milieu de cette multiplication, on entrevoit la tête originelle, celle de Germain. Comme dans ses œuvres précédentes, la chorégraphie est lente, douce, méditative. En deuxième partie, le théâtre d’ombres est abandonné en faveur d’un dispositif vidéographique qui une fois de plus multiplie l’image de Germain et de sa partenaire Hélène Messier. Ces apparitions digitales disparaissent en fumée, nous submergeant dans un monde fantomatique. Le dispositif crée aussi un effet miroir qui souligne l’interaction entre le réel et le virtuel. Le corps apparaît comme un contrôleur de jeu vidéo parfaitement calqué sur celui-ci. On voit dans F O L D S les films du célèbre cinéaste d’animation canadien Norman McLaren, dont son classique Pas de deux. L’installation de l’artiste visuelle Lenka Novakova fait aussi penser au travail de Lemieux-Pilon (4d art), eux qui ont d’ailleurs fait un spectacle de danse sur McLaren. Impossible d’accuser Germain de se cacher derrière la technologie. On ne perçoit aucune hiérarchie entre la chorégraphie et la projection vidéo. C’est plutôt la symbiose qui transparaît et on soupçonne que la danse tiendrait la route sans le dispositif vidéographique, comme Germain nous l’a déjà prouvé auparavant avec Aube et Y demeurer. La vidéo ne fait qu’enrichir sa proposition, qui s’avère être d’une grande beauté et poésie. Dès le retour de l’entracte, on se retrouve indéniablement dans un autre univers. Finie la pénombre. Toute la salle est éclairée et les rideaux ont été écartés. Rien n’est caché. Noeser et sa complice Karina Iraola entre en scène de façon décontractée. Soudainement, du flamenco éclate sur les haut-parleurs et les danseurs se laissent envouter par une danse qui n’a rien à voir avec l’Espagne. Le mouvement de tous les deux est plutôt fragmenté par des secousses, tel un disque qui saute. La pièce enfile ces juxtapositions inattendues qui font de RUMINANT RUMINANT la plus drôle des créations de Noeser à ce jour. Comme dans les pièces de la chorégraphe Mélanie Demers, les transitions entre les sections se font sous nos yeux et font partie intégrante du spectacle. Noeser change donc de chandail de façon totalement gratuite et s’assoit sur scène avec une tasse d’eau en attendant que sa partenaire mette la scène pour le prochain tableau, son travail s’étirant (elle quitte même la salle!) alors que Noeser ne fait rien. Autre forme de décalage. Sur son baladeur, il fait jouer une chanson pop (« Ouragan » de Stéphanie de Monaco) et affixe ses écouteurs à ses oreilles à coups de ruban adhésif. Alors qu’il danse de façon excessivement athlétique, c’est plutôt de la musique classique que nous entendons, créant une fois de plus une délicieuse disjonction. Chaque fois que la danse apparaît, c’est avec surprise. Pourtant, nous assistons à un spectacle de danse! se rappelle-t-on. C’est là la force de Noeser, un chorégraphe qui défie nos attentes à tout moment dans une pièce où l’on ressent une grande liberté.
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When music and movie awards come around, everyone likes to share their own picks and predictions for who should win. Not so with dance awards though. To be fair, dance awards aren’t much of a thing. New York has the Bessies (Louise Lecavalier, Édouard Lock, José Navas, Marie Chouinard and Benoît Lachambre are all local recipients) and Toronto has the Dora Awards (Gilles Maheu & Danielle Tardiff, Paul-André Fortier, Ginette Laurin, Benoît Lachambre, Daniel Léveillé, Tom Casey, Lina Cruz and Marc Boivin have gotten their hands on one), but live productions obviously don’t travel with the same ease that records and movies do, and any prediction that those of us who don’t happen to live in those cities might make would be little more than shooting in the dark.
It’s only three years ago that Montreal got its own dance award, Les Prix de la Danse de Montréal. Its Grand Prix can be awarded to any dance artist having presented work in the city the previous season. In 2012, a prize was added for Quebec choreographers. This year, yet another will be attributed to a Quebec dancer for the first time. Predictions remain difficult as nominations are non-existent. Quebec choreographers need to submit an application to be considered, but there’s no way to know who submitted one. Still, I decided to take a stab at it. Why shouldn’t dance also get some hype? LE PRIX DU RQD - INTERPRÈTE On the radar: Sophie Corriveau (Milieu de nulle part), Michèle Febvre (CHEESE), Margie Gillis (Florilège), Louise Lecavalier (So Blue), Carol Prieur (Henri Michaux : Mouvements), Manuel Roque (Projet In Situ) My pick: Sophie Corriveau (Milieu de nulle part) Corriveau floored me like no other with her performance in Jean-Sébastien Lourdais’s Milieu de nulle part, bringing the choreographer’s embodied aesthetic to its extreme. However, some purists might find that her performance was more acting than dancing. That’s not the only problem. Corriveau is actually part of the jury that gets to pick the recipient of the award this year. (Let’s note that Michèle Febvre is also part of the jury.) Let’s assume that Corriveau is humble enough not to vote for herself; one vote is a big loss when there are only five members in the jury. Her only chance to win is if the other four feel comfortable enough to shove the award in her hands. My prediction: Margie Gillis (Florilège) That’s why my second choice, Margie Gillis, will probably win. She is one of the most recognizable figures in Quebec dance and, with her show that celebrated her forty-year career by revisiting five pieces created over two decades (1978-1997), Gillis reminded us why that is the case. Her practice has legitimized dancing from the inside out. She makes the intangible manifest. LE PRIX DU CALQ POUR LA MEILLEURE ŒUVRE CHORÉGRAPHIQUE On the radar: Marie Chouinard (Henri Michaux : Mouvements), Lina Cruz (Rockin’), Maria Kefirova (The Nutcracker), Benoît Lachambre (Prismes), Jean-Sébastien Lourdais (Milieu de nulle part), Manuel Roque (Projet In Situ) My pick: Marie Chouinard (Henri Michaux : Mouvements) By translating Henri Michaux’s drawings into dance, Chouinard once again proved her ability to think the human body creatively. Some might (wrongly) feel that having a sort of pre-written choreographic score is cheating. Others might (rightly) feel it’s time to give someone else a chance as Chouinard already won the award two years ago… My prediction: Marie Chouinard (Henri Michaux : Mouvements) …but Benoît Lachambre already won the Grand Prix just last year; Maria Kefirova and Jean-Sébastien Lourdais’s work might not be considered “dancey” enough by some; Lina Cruz’s delightfully eccentric work was created for the students at L’École de Danse Contemporaine and so might have slipped under the radar; as might have Manuel Roque’s Projet In Situ (in which his choreography really became his own), which was presented for free in L’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme of Place des Arts. For those reasons, Chouinard has a good chance of winning again. LE GRAND PRIX DE LA DANSE DE MONTRÉAL On the radar: Marie Chouinard (Henri Michaux : Mouvements), Olivier Dubois (Tragédie), Jan Fabre (Drugs Kept Me Alive), Margie Gillis (Florilège), Maguy Marin (Salves), Meg Stuart (Built to Last) My pick: Olivier Dubois (Tragédie) After drilling the image of eighteen naked bodies walking up and down the stage into our heads for thirty minutes, Dubois created a work that explored all the big themes (life, the passage of time, mortality, death, and the role of art in all of this; in one word: humanity) without ever resorting to shortcuts, but by letting the meanings emerge on their own. However, the jury will probably consider Dubois too young to win this award (the previous three recipients were all born between 1958 and 1960)… My prediction: Maguy Marin (Salves) …which is why Marin will most likely win. The jury must be wishing that this award existed seven years ago so that they could have given it to her in light of the far superior Umwelt, but this will be their chance, especially since Marin comes to Montreal so rarely. They probably figure that they have a better chance of getting to give the prize to the other five in the future. They might also wish to avoid giving it to Chouinard or Gillis so as to not appear chauvinistic since two of the previous recipients, including last year’s, are from Montreal. Did I miss anyone who should be on the jury’s radar or mine?
Une vidéo projetée sur une scène légèrement inclinée vers le public offre un environnement immersif à l’interprète Miriah Brennan. Cet espace est aussi fluide qu’un rêve, impression qui est sûrement accentuée par la noirceur nécessaire pour la projection.
Catherine Gaudet et Virginie Brunelle ont toutes deux collaboré à la chorégraphie. Leur travail est bien intégré. Il est pratiquement impossible de distinguer l’apport de l’une ou de l’autre, entre autres parce qu’il est assez difficile de s’imaginer à quoi pourrait ressembler un solo de Brunelle, elle qui s’est surtout fait remarquer pour ses duos. Aussi, les deux chorégraphes ont un style particulièrement violent, qualité que l’on retrouve encore ici. La performance plus théâtrale (qu’on attribuerait à Gaudet) est toutefois un peu perdue dans la pénombre du projecteur qui frappe la tête de haut plutôt que de face. La force d’Obsolescence programmée n’est pas dans la danse ou même dans les visuels de Bortuzzo, mais dans la rencontre et l’interaction du corps et de l’image, un espace mince et malléable comme une peau. Autrement, les différentes composantes du spectacle ne créent pas un tout autant qu’elles semblent être empilées dans l’espoir de stimuler une multitude de sens. En demeure un spectacle qui pourrait se démarquer si seulement il capitalisait sur l'onirisme qu'il trouve dans ses moments plus abstraits. 18-22 novembre à 20h Théâtre La Chapelle www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 29$ / Étudiants : 25$
I must admit that the heaviness of the footwork caused me to experience a bit of anxiety. (I was sitting in the first row.) Particularly striking is the floor work sequence where, down on her knees, Murugesan moves around the stage without ever using her hands as they are busy holding flowers and a plate. Rather, she spins using her toes and knees as pivots and slides across the floor on her shin.
In the final section, she drops handfuls of nickels on herself, which roll across the floor and end up covering the stage in a way that might recall the walnuts scattered by Maria Kefirova in the very same space for The Nutcracker. A different register awaits us for Débile Métal. When we enter the room, a heavy metal song with especially dickish guitar riffs is playing while an image of a thorn-crowned Jesus is projected onto a black curtain at the back of the stage. As soon as the song ends, the image fades and a dancer comes out onstage wearing grey dress pants and shirt, as well as suspenders. So are the four other men joining him (some minus the suspenders), while the sole woman sports a grey dress. It is at first sweeping the floor from left to right and back again that they perform their jig, before crossing each other’s paths in a way that hints at randomness as the dancers look at each other to only nearly avoid collision. Eventually, they do not only run into each other but also push each other, messing up their footwork. They play with the fact that their jig shoes enable or cause them to slide across the floor. They find their rhythm again as they move towards centre stage, falling back into synchronicity with the others. Gloutnez is playing with the usual cleanness of the synchronized jig step, expertly juggling the orchestrated and the chaotic. One by one, the performers take off one shoe and then the other as they keep dancing. The sharp note of the jig shoe becomes layered with the deeper tone of the bare foot before the dancers effectively perform their own fade out as their step becomes lighter and lighter. Her work being as intelligent as it is satisfying for the senses, Gloutnez is undoubtedly the contemporary jig choreographer that deserves crossover success. November 9 at 4pm Monument-National www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Tickets: 23$ / Students: 19$
Pour cette pièce, Soulier recrée physiquement les séquences des Improvisation Technologies de William Forsythe comme s’il s’agissait d’une partition chorégraphique tout en offrant une conférence sur la danse qui fera aussi appel à des entrevues avec les Américaines postmodernes Yvonne Rainer et Trisha Brown, par exemple. S’en suit un décalage entre parole et mouvement qui refuse l’explication directe et nous apporte plutôt à réfléchir sur la danse présentée d’un point de vue théorique ou philosophique. (D’ailleurs, pas étonnant que Soulier possède une maîtrise en philosophie.) Ce décalage n’étant pas nécessairement évident dès le départ, par exemple, on pourrait penser que Soulier se sert de son coude pour parler de son genou. Le résultat est parfois teinté d’humour, comme lorsque la disjonction est à son plus flagrant alors que le danseur déclare « Si je lève mon bras comme ceci » alors qu’il demeure immobile, étendu sur le sol. Qu’une seule fois y a-t-il chevauchement qui permet que la parole devienne explicative du mouvement ou vice versa, tout dépendant du point de vue.
On pourrait reprocher à Mouvement d’être un peu trop bavard, encore plus au niveau de la danse que du texte, mais surtout dans la juxtaposition de ces deux éléments. Il est toutefois difficile de le faire, surtout lorsque les œuvres qui demandent toute notre attention se font si rares. Le travail fait ici porte des ressemblances à celui de la Canadienne Sarah Chase si celle-ci faisait de la danse non seulement son médium mais son sujet. Comme toute bonne étude, celle de Soulier ne prend rien pour acquis et engendre chez le spectateur une conscience du corps habituellement réservée aux artistes du mouvement. C’est pour cette raison que je vous recommanderais de vérifier si le spectacle est vraiment complet, juste au cas où… 28 & 29 octobre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 25$ / Réduit : 20$
The show consists of eleven songs based on as many poems by Canadian author P.K. Page, put into music by trombone player Scott Thomson and his band, The Disguises. For the most part, Hood sings while three dancers take the stage. All performers are given some leeway to improvise.
In the beginning, the dance is just as jazzy as the music that accompanies it; in these small circle walks executed by the dancers, as well as in the partner work, with its musical comedy airs, though with the messiness of contemporary dance and the hesitations of improvisation. The dancers’ footsteps, heavy, vibrate all the way to the first row. They keep an eye on each other. The other’s movement can’t be counted on, but the other can. In improvised dance, it is the physical interaction between the performers, with its risk factor, that is most compelling. However, in most instances I’ve witnessed, dancers tend to fall back on the safety of solo work (except in contact improvisation, obviously). After the opening section, such is the case here. One can also notice the movements that dancers tend to fall back on. When they do reach out for the other, it is often more an interruption of their movement through the space as their arm prevents them from moving forward. Just as they brush aside the partner work, so they do with the more jazzy dancing. That is until the solo by Alanna Kraaijeveld in the middle section of the garden poems, “Picking Daffodils,” when she executes small steps while remaining in the same spot, spins, and moves her arms about excessively. Like in musicals, this solo looks like a duo with a missing or imagined partner; or, where the audience is the partner in what is the antipode of the private dance, a dance that only exists to be seen. With a sing-songy voice that effectively masks Page’s poetry, Hood offers a show that often feels like a jazz version of R. Kelly’s Trapped in the Closet. October 2-4 at 7:30pm & October 5 at 4pm Monument-National www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Tickets: 23$ / Students: 19$
Cazaux enfile un hoodie et bouge tout autrement. C’est une petite danse habituellement réservée pour la chambre à coucher, lorsqu’on est seul, à l’abri des regards, et qu’on se laisse emporter par nos émotions, sans aucun filtre. Il faut dire que la reprise de Smith & Burrows de « Wonderful Life » de Black colore sûrement la scène. C’est l’exutoire. Notre sexualité fait maintenant partie du domaine public tandis que nos émotions sont réservées pour le privé.
De peur. Duo, le seul du spectacle, pour Anne-Emmanuelle Deroo et Raphaël Cottin. L’équivalent au pas de deux à ce que le « par-dessus les pantalons » est au sexe. Ils sont torse nu, poitrine contre poitrine, mais leurs pieds ne pourraient être plus éloignés. La gestuelle est ici similaire à celle des jeunes chorégraphes québécois qui ont eux aussi touché aux relations amoureuses et sexuelles contemporaines, dont Virginie Brunelle, Dave St-Pierre, et Frédérick Gravel : dans les portées, où la femme saute, le corps rigide; lorsqu’elle se laisse tomber comme une planche et que l’homme l’attrape à la toute dernière seconde, avant que la tête ne frappe le sol; ou lorsqu’il la soulève alors que ses jambes sont écartées telles les parois d’un tunnel. On y retrouve la même relation push/pull et ce même si leurs corps sont presque constamment en contact. Particulièrement belle, cette image où, tronc contre tronc, genoux contre genoux, leurs jambes s’affaissent en étoile, donnant à leurs corps soudés l’apparence d’une araignée à quatre pattes. La vulnérabilité transparaît dans cette relation qui maintient une part d’antagonisme, alors que chaque geste révèle le besoin de l’autre tout en soulignant la peur que celui-ci pourrait nous briser. De doute. Solo pour Anne-Sophie Lancelin, en sourdine. On détecte une certaine violence, mais elle ne se trouve pas explicitement sur scène. C’est plutôt les traces qu’elle laisse dans le corps que l’on perçoit, celles de la vie qui nous use. Encore là, on ressent le paradoxe de la fragilité et de la force de l’humain. Sur la trame sonore, on peut entendre une femme clamer « I am yet to be broken. » La beauté persiste, celle de l’habilité du corps à exprimer sa réalité, au-delà des mots, sentie par l’interprète et ressentie par le spectateur. De solitude. Solo de Thomas Lebrun, encore plus calme. On peut comprendre cette progression anti-dramatique tout comme on peut la critiquer. Il passe la deuxième moitié du solo à vaciller sans jamais soulever ses pieds du plancher, immobilisé dans l’hésitation. Sans nous faire encaisser un coup fracassant, Trois décennies demeure le spectacle de danse qui joue le plus avec nos émotions depuis Milieu de nulle part de Jean-Sébastien Lourdais, aussi vu à l’Agora de la danse, en mars dernier. On remarque alors que la danse contemporaine en 2014 se fait surtout dans la tête… et on se souvient comment elle fait du bien lorsqu’elle frappe là où elle fait son meilleur travail. 23-26 septembre à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 30$ / Étudiant ou 30 ans et moins : 22$
MANUEL ROQUE Allo Sylvain,
Je trouve ton procédé intéressant. Il est tout aussi difficile pour moi de te poser une question. J’irais donc avec la suivante : Quel serait ton processus pour poser une question que tu penses pertinente sur mon travail (avec ce que tu connais de mes affaires) pour cette entrevue. (Intellectuel? Intuitif? …) SYLVAIN Habituellement, je préfère avoir vu quelques pièces d’un chorégraphe avant de faire une entrevue (préférablement au moins trois) pour que je puisse voir ce qui relie son travail. Mes questions abordent alors souvent la récurrence de certains éléments ou leur progression, leur changement… (Cela me vient peut-être de la politique des auteurs, comme j’ai fait une maîtrise en études cinématographiques.) Donc intellectuel? Ceci étant dit, tes premières œuvres avaient un côté théâtral (dans l’utilisation d’accessoires, par exemple) que tu sembles maintenant délaisser pour présenter de la danse pure et dure. Pourquoi ce changement? MANUEL Effectivement, la signature de Data est relativement différente au niveau de la forme que celles de mes précédentes pièces. Ceci dit, la pièce représente une étape dans un processus amorcé il y a 3 ans environ. J’avais besoin de faire le point sur mon corps, de faire la part des choses entre la physicalité qui venait des chorégraphes pour qui je dansais (Marie Chouinard, Sylvain Émard, Paul-André Fortier, Daniel Léveillé…) et d’impulsions très personnelles, un besoin de définir une singularité dans les impulsions physiques, le vocabulaire gestuel, une recherche sur l’identité kinesthésique, en somme. Pendant 3 ans je suis allé en studio pour travailler cette matière, un peu à la façon d’un artiste visuel. En parallèle à ce processus se greffait un questionnement sur la relation entre fond et forme. Au bout d’un certain temps, plusieurs thématiques ont émergé de la forme travaillée et la pièce a pris naissance naturellement. C’est une façon nouvelle pour moi de travailler, mais ça me permet de conscientiser énormément de notions (écriture chorégraphique, utilisation de l’espace, les choix formels et ce qu’ils véhiculent comme idées…). Mes questionnements sur la condition humaine contemporaine, sur l’identité, déjà présents dans les autres pièces, sont totalement en résonance dans Data, mais ils trouvent une autre forme d’expression. J’ai tendance à avoir une personnalité éclatée, ne serait-ce qu’à travers ma formation artistique (cirque, musique, théâtre, danse…) et je revendique une curiosité créatrice plutôt que l’établissement d’une signature immuable. Je me retrouve dans ces mots de Gyorgy Ligeti : « I incline to not have too high an opinion of artists who develop one single procedure and then produce the same sort of thing for the rest of their lives. In my own work, I prefer to be constantly retesting procedures, modifying them, and eventually throwing them away and replacing them with other procedures. » Plutôt que d’essayer d’imposer une forme ou de m’essayer au mélange des genres, je préfère laisser le projet dicter sa loi et trouver la forme qui lui permet de prendre le plus d’ouverture possible. Ces pensées sont directement en relation avec des thèmes sous-jacents à Data, qui sont la mutation de la matière, l’identité fluide… Dans ces périodes où la moindre information est classifiée, codée, analysée, j’ai tendance à afficher un certain goût pour les zones grises, pour les remises en questions et en forme, pour l’établissement d’un mode de communication qui tient plus de l’expérience et fait appel à différents récepteurs (le langage du corps) plutôt qu’à un message de nature plus intellectuelle. En tant que chorégraphe, j’avais donc le goût de me pousser en territoire inconnu. En tant que danseur, j’avais envie de pousser une physicalité et de voir jusqu’où je pouvais aller. Le travail du corps est infini. La pièce est terminée, mais elle continuera d’évoluer, de s’enrichir en nuances. SYLVAIN Lors du lancement de la saison 2014/15 de l’Usine C, tu as mentionné que tu as passé deux mois dans le désert pour faire de la recherche chorégraphique. Où étais-tu? Qu’est-ce que cet environnement t’a apporté? MANUEL Ah oui, le désert! Quand la pièce a commencé à apparaître, j’ai commencé à me questionner sur la relation de l’humain avec son environnement; comment l’un influence l’autre, notre perméabilité, mutabilité, notre impact… J’ai donc décidé de faire deux voyages dans des environnements contrastés – Manhattan (1 semaine) et son opposé, les déserts du Sud des États-Unis (Joshua Tree, Death Valley, les routes du Nouveau-Mexique, Grand Canyon, et Zion en Utah) – et d’observer les ressentis face à ces environnements (verticalité/horizontalité, champ de vision…), comment l’imaginaire personnel se déploie dans ces espaces, comment on y trouve une place. Je n’ai pas fait de recherche chorégraphique en tant que tel; c’était plus de l’ordre d’une expérience personnelle en résonnance avec le projet sur lequel je travaillais. Pour les déserts, je suis parti en auto, seul, confronter une solitude. L’expérience a été bouleversante; le sentiment cliché d’être une poussière dans l’immensité, mais aussi une connexion peut-être plus sereine avec l’espace dans lequel nous évoluons, une vision plus complexe et plus globale de l’universel que ce que nous percevons habituellement. Encore une citation, une dernière… En voyage, je lisais L’Amérique de Baudrillard. J’y trouve une phrase à l’image de ces réflexions : « le désert est une extension naturelle du silence intérieur du corps. » Tout ceci juste pour ajouter une couche de fond sur le processus autour de Data, nourrir autant la création que l’interprète, mais à un niveau sensitif, subconscient, des petites traces qui continuent leur chemin par en arrière… SYLVAIN N'hésite pas à me poser des questions si tu en as ou à me le dire s'il y avait quelque chose d'autre dont tu aurais aimé parler. MANUEL Oui, une dernière chose, importante pour moi… Ce projet est loin de s’être fait tout seul et j’ai réuni une gang magnifique, des artistes pleins de talent qui sont très impliqués, chacun dans leur discipline respective, mais aussi sur la globalité du processus. J’essaie toujours de garder un espace de dialogue ouvert, poreux, surtout dans un projet solo comme celui-là. La scénographie de Marilène Bastien est une couche majeure de la pièce. François Marceau travaille la matière lumière, assisté de Judith Allen qui fait aussi une direction de prod super efficace. Ginelle Chagnon, conseillère artistique, est venue nourrir le processus chorégraphique, avec son expérience incroyable autour du corps dansant, et une générosité et sensibilité sans limites. Indiana Escach et Lucie Vigneault, complices, interprètes et répétitrices de longue date, font aussi partie du décor à titre de répétitrices et conseillères artistiques. Bonne journée! 4-6 septembre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 32$ / Réduit : 24$ Prismes de Benoît Lachambre du 2 au 6 décembre (Danse Danse)
Avec l’aide de l’éclairagiste Lucie Bazzo, Lachambre explore à fond les jeux de lumières et de couleurs avec ce spectacle des plus stimulants visuellement. Dans sa tête & Six pieds sur terre de Maïgwenn Desbois du 20 au 21 décembre (Tangente) Avec ses pièces ludiques où elle gigue avec des interprètes ayant le syndrome de Williams et d’Asperger, Desbois nous reflète avec humour notre société capacitiste. Klumzy de Nicolas Cantin du 25 au 27 mars (Usine C) Cantin s’enfonce de plus en plus dans l’antithéâtre avec ce spectacle marquant, une suggestion de biographie de l’interprète Ashlea Watkins où la mise-en-scène de Cantin prend tout autant de place. CEUX DONT LA DERNIÈRE CRÉATION ME DONNENT RAISON D’ESPÉRER Bath House & Cherepaka d’Andréane Leclerc du 21 au 24 octobre (Tangente) Leclerc se sert du corps contorsionniste pour aborder des questions philosophiques et féministes dans des pièces sensorielles. Tête-à-tête de Stéphane Gladyszewski du 8 au 16 novembre (Agora de la danse) Gladyszewski utilise la technologie mieux que quiconque dans le monde de la danse. Pour Tête-à-tête, pièce pour un seul spectateur à la fois, ce dernier doit insérer son visage dans un masque pour voir la performance. Intrigant. Confession publique de Mélanie Demers du 8 au 11 avril (Usine C) Après avoir clos un cycle de pièces de groupe l’an dernier avec MAYDAY remix, Demers plonge dans le vide avec son nouveau spectacle, un solo. Peu de raisons de s’inquiéter; la chorégraphe, drôle et intelligente, ne rate jamais son atterrissage. Wolf songs for Lambs de Frédéric Tavernini du 14 au 18 avril (La Chapelle) Avec son installation chorégraphique Le Tératome, simple et efficace, Tavernini avait créé un univers cliniquement froid et fascinant. Il nous revient avec une autre installation, cette fois explorant l’imaginaire de l’enfance. http://www.dansedanse.ca/ http://tangente.qc.ca/ http://www.usine-c.com/ http://agoradanse.com/ http://lachapelle.org/ “Shake that ass” began my review of Ann Van den Broek’s Co(te)lette, and so could begin my review of Marlene Monteiro Freitas’s Paraíso – Colecção privada. Except there is a notable difference between the two works: in Co(te)lette, it was three women shaking their ass; in Paraíso, it’s three men. Also, while the gaze of men could be felt everywhere in Co(te)lette, they were nowhere to be found onstage. In Paraíso, the opposite gender finds embodiment in Freitas herself, who appears as a gothic mistress of ceremony with organ music at her disposal. She wears a black cactus-like helmet that is potentially inspired by spiders and her top comes with matador-like shoulder pads. For their part, the four men that join her are shirtless. Otherwise, some show the physical characteristics of particularly virile animals, like the tail of a horse or the horns of a ram. However, wild they are not. They are her beasts and they are most well trained, doing whatever she demands on command. Movements of her arms are scored by little bells, turning her creatures into Pavlov’s dogs. While their shell is butch, their behaviour is otherwise. Their dance is spastic, nervous. They look like battery-operated toy dogs, their movement jerky, like they’ve been emptied out of their soul and are now more akin to robots. When in a particularly S&M section Freitas jams a harmonica in one man’s mouth, the other’s wide doe eyes reveal that each fears the same fate. The horse-like man uses his hands to mimic wings on his back and a horn in the middle of his forehead, turning himself into a cross between a unicorn and a Pegasus. To satisfy their mistress’s desires, they must be able to change on a dime. There is something clown-like in the way all the performers act, if clowns weren’t the worst thing in the world. One man moves his pecs to the music. She rewards her pets with food (peanuts?)… though not always. When they take a break, Freitas feasts on a chicken and even offers some to a few audience members, but none to her male dancers. Her power extends beyond the stage as she orders the sound person to raise the volume or stop the music. She even targets coughing audience members by turning her hand into a fist. Paraíso is a sexist fantasy turned on its head. The question is whose paradise, of course, since (as the subtitle implies) the concept is necessarily private, personal. It’s only ever paradise for who is in power. The show might be a bit one-note, but it’s a pretty good fucking note. The movement vocabulary is singular and the dancers' commitment to it brings an equally unique world into being. The four men leave the stage shortly before the end, leaving Freitas to hog the spotlight. I wish the choreographer had carried her premise to its ultimate end by being the only one to come back out to take a bow. June 4-6 at 9pm Agora de la danse www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 514.842.2112 Tickets: 38$ / 30 years old and under: 33$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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