J’écris toujours mes mises en scène, les actions principales, en même temps que j’écris la dramaturgie écrite. Ce qui est dit et ce qui est fait se complètent et deviennent une image globale. Je suis très visuel. C’est pour ça que je n’écris pas de dialogue ou presque pas. J’écris des images scéniques. Je pars de l’espace et ça modifie beaucoup d’affaires. Par exemple, la scénographie d’Odile Gamache pour Un animal (mort) est assez audacieuse. C’est un champ et les personnages émergent de ce champ. Ça change toute la dramaturgie, l’écriture, la mise en scène. On essaie après ça de créer la plasticité de la patente, que ce soit en cohérence avec l’écriture, que ce soit un tout; que ce ne soit pas le texte, ni les acteurs, ni la scénographie qui soit plus importante qu’autre chose, mais que ce soit une œuvre globale. |
Il y a beaucoup de « peut-être » [dans mes textes]. Il y a souvent des « possible ». Mais ça dépend… Orphée Karaoké, c’était autre chose. C’était un texte compliqué. Quelqu’un qui recevait le scénario d’Orphée Karaoké ne comprenait rien parce que c’était tellement avec les spectateurs et tout ça. (Orphée Karaoké était un spectacle sans acteur.) On se construisait une machine. C’était plus des tableaux. Par exemple, pour Les Dévoilement simples, toute la pièce était écrite dans un tableau Excel. On avait fait la même chose sur Le sacre du printemps. C’était plus une partition qu’un texte. On invente à chaque fois comment écrire les affaires.
Je travaille beaucoup sur le rituel. Il y a beaucoup d’actions performatives sur scène. Je ne sens pas de réticence [de la part des acteurs], mais je sens une difficulté, parce que c’est rare. Souvent, au théâtre, on parle et on fait les actions; tandis que dans mon théâtre, on présente l’action qu’on va faire, on lui donne du sens, ça devient une action poétique très codifiée et les acteurs ne sont pas habitués de faire ça. Ils y trouvent un plaisir, mais ce n’est pas une habitude ancrée dans la création québécoise.
En ce moment [au théâtre], on évacue beaucoup le texte. Les années 90 ont été très sur le texte, 2000 aussi; puis, depuis 2010, le texte est évacué au profit de la performance ou du théâtre d’images, avec [Romeo] Castellucci et tout ça; ce qui est très bien, une influence plus européenne, mais je pense qu’on va avoir besoin d’un retour au texte, au moins pour que ce soit égal, en fait. On est bon là-dedans ici : c’est tout ou rien. Pour moi, ça dépend des spectacles. Nos spectacles muets, j’en suis très fier, je suis content, je trouve qu’il y a une dramaturgie importante, mais c’est bien aussi qu’il reste une écriture au théâtre, qu’il reste une parole. Ce n’est pas dépassé.
[Un animal (mort)] est parti d’une réflexion; en ce moment, on essaie beaucoup de se bâtir une identité et on nous pousse vraiment à ça : devenir quelqu’un, définir notre identité, notre individu, ce qu’on est, et brandir ça comme quelque chose dont on est fier. Il peut y avoir quelque chose de très beau là-dedans, mais moi, je ne peux pas dire que je me connais, que je me comprends totalement. Au début du processus d’écriture, j’étais dans un vertige; c’était un blues de Noël où je sentais que je ne m’habitais pas. Il y avait une distance entre ce que j’étais et ce que je pensais être, puis je me sentais vraiment déphasé. Je pense que c’est le genre de sentiment qu’on peut tous vivre des fois, de perte, de vertige. C’est faux qu’on a une identité définie. On est chargé de toutes les rencontres qu’on fait. On est plus acquis qu’inné, j’ai l’impression. On reçoit des affaires, puis ça nous forge. Je trouve qu’on est plus malléable qu’on dit qu’on est. Pour moi, c’était important de parler de ça parce que je trouve qu’on n’en parle pas assez sur nos scènes. On brandit souvent notre identité, même notre identité québécoise – « c’est quoi l’identité? » – on est vraiment sur des grosses questions identitaires en ce moment au Québec, et je trouve qu’on n’est pas capable de se définir non plus et c’est normal. On est malléable. On vit dans un monde malléable. De donner la chance à des personnages de mourir et de se réinventer et de renaître, je trouvais ça beau. En même temps, on a assumé que ça ne marchait pas. Dans le texte, il y a une faille. On n’a pas construit l’utopie parce qu’on ne se détache jamais totalement de nos défauts et de nos obsessions. On reste toujours un peu le même; l’enfant qu’on a été et l’adulte qui essaie de se construire par-dessus. Mais j’aime les petites failles et les petits trous, la faille de ne pas réussir totalement et d’être pris dans cette espèce de crise.
On est parti d’un conte indochinois où les personnages mourraient tous quatre fois et ce n’était pas quelque chose de grave. La mort et la renaissance était une action dramatique simple. Je trouvais ça vraiment intéressant et c’est pas mal juste ce qu’on a gardé du conte, ce mouvement-là. Ça ressemble aussi un peu à nous. On tue toujours une partie de nous pour devenir quelque chose d’autre. C’est comme ça qu’on grandit et qu’on vieillit.
On cherchait à avoir un espace scénographique pour recréer la nature, où il y a ce processus de vie et de mort qui coexistent. Ce système de vie et de mort qui se réengendre, on a essayé de le placer dans la scénographie, dans la mise en scène. C’est pour ça qu’on est arrivé à un espace d’herbes hautes, à la ligne des yeux des spectateurs. C’est un espace où les choses peuvent émerger et naître facilement, et en même temps les choses peuvent mourir avec calme. On peut avoir des disparitions où tu te couches dans le foin et tu es mort, puis c’est quelque chose d’autre qui peut émerger. Comme dans la nature, ce n’est pas trop violent.
D’avoir à écrire ça m’a permis d’avoir une réflexion sur ce qui m’entoure et de délaisser ce stress-là de « devenir ». On dirait que ça laisse un peu plus d’espace… Pas besoin de rentrer dans les petites boîtes qu’on essaie de nous faire rentrer dedans. Pour moi, on est expansif et c’est beau.
Un animal (mort)
8-26 mars
www.theatredaujourdhui.qc.ca
514.282.3900
Billets : 27$ / 30 ans et moins : 23$