Diplômé du département de danse de l’UQAM, Philippe Dandonneau trace sa voie en tant qu’interprète et chorégraphe depuis quelques années. Il a créé plusieurs œuvres, dont les pièces Son of a gun, Happy Birthday Mr. Prozac, J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened, Défonce la porte; elle reviendra dans ta face, ainsi que Crématorium, présenté à l’Agora de la danse et au Festival Vue sur la Relève. Sa gestuelle brute, physique, dynamique, sensuelle et explosive s’inspire de la culture populaire pour exposer les travers de la société. Pourquoi bouges-tu? Je bouge parce que je peux utiliser cette voix pour me faire entendre et c’est la seule et unique voix qui me semble appropriée pour exprimer mes préoccupations. Je ne danserais plus si j’avais conquis mes démons intérieurs et que plus aucune question ou pensée ne me venait en tête. |
Mes idées peuvent provenir autant de la culture populaire, du cinéma, des arts visuels, de la photographie que des multiples lectures que je fais. Pour ma pièce BLEACH, j’ai regardé des films (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Girl, Interrupted, etc.) et lu quelques livres sur la santé mentale. Ensuite, je crée un canevas de travail à partir des informations et d’idées afin de guider les improvisations en studio. Au final, le travail que font les interprètes me nourrit artistiquement et teinte la proposition finale tout en conservant la forte trace de mon énergie et de ma signature. Les interprètes sont en avant-plan durant le processus et, sans dire que ce sont des muses, il reste que leur façon de bouger est la plus importante source d’inspiration dans mon travail.
Qu’est-ce qui caractérise ton travail?
- Chaque pièce est revendicatrice et crue avec une soif de dénoncer les travers de la société.
- Mon travail est une exposition de faits et de situations quotidiennes afin que le public se questionne sur la société, mais je ne fais pas l’élaboration d’une solution ou d’une réponse.
- Chaque chorégraphie est irrévérencieuse et doit contenir du sarcasme, de l’ironie et un côté humoristique qui provoque un décalage avec ce qui est présenté.
- J’aime beaucoup travailler avec des femmes fortes et transposer mon énergie brute et masculine sur le corps féminin. Mon travail place souvent la femme en premier plan et rarement dans un rôle vulnérable.
- En ce qui a trait à la gestuelle et la couleur de mes chorégraphies, un seul mot demeure et décrit à merveille plusieurs d’entre elles : CONFRONTATION.
- Finalement, je sais que plusieurs chorégraphes détestent entendre ce terme pour décrire leurs œuvres mais, naviguant dans un contexte de culture populaire et crachant sur l’élitisme si propre à la danse contemporaine, je peux caractériser mon travail de divertissant. Ce mot n’a nullement un aspect péjoratif pour moi et je trouve agréable que le public puisse être choqué, se questionner, et réfléchir tout en ayant passé un bon moment.
Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi?
Ce qui ressort, c’est le mot « assumé ». Je crois que ce commentaire est le plus important d’entre tous et c’est celui qui reste avec moi. Pour moi, c’est ce qui différencie le vrai du fake. Je peux recevoir des commentaires négatifs, mais si on mentionne le verbe « assumer », je crois que mon travail a été accompli et que je suis resté fidèle à moi-même.
De quoi es-tu le plus fier?
Je ne sais pas si on peut davantage parler de satisfaction que de fierté, mais je suis particulièrement heureux d’être entouré d’une gang d’interprètes talentueux avec qui j’ai travaillé à l’université et qui me suivent encore dans ma folie à travers mes multiples projets. Je suis transparent avec mes interprètes et je crois que cette sincérité apporte une certaine sécurité pour eux en ce qui a trait aux choix chorégraphiques que je prends. Je retire de la fierté de cette relation de complicité et de collaboration que j’ai su développer avec les gens qui travaillent avec moi.
De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui?
Je rêve d’une communauté de la danse sans hiérarchie, où l’on respecte et considère l’apport, l’histoire et la richesse de nos prédécesseurs, qui ont chacun à leur façon changé le visage de la danse et agit pour améliorer nos conditions de travail. D’un autre côté, il serait important que la nouvelle génération obtienne le même respect de la part de cette communauté en ce qui a trait à sa voix et sa pertinence dans le paysage chorégraphique québécois. Il serait faux de croire que l’aspect de compétition n’est pas présent lorsque vient le moment d’obtenir du financement dans un monde aussi contingenté que la danse contemporaine mais, entretemps, est-il possible de cohabiter avec une réelle convivialité?
Quel est ton rapport à la critique?
J’ai un côté très réactif à ce que je reçois comme critique et ma première impulsion est de toujours faire le contraire de ce qui a été dit afin de faire acte de rébellion. Par exemple, si on me dit que ma pièce est trash (je déteste ce mot, beaucoup trop galvaudé), je me dis que je vais faire encore plus trash. En plus, quand on débute dans le métier, les critiques ont tendance à comparer notre travail avec des chorégraphes aguerris même si on peut être à mille lieux l’un de l’autre dans nos préoccupations. Quand je reçois ce type de commentaires, j’ai juste le goût de faire un pied de nez à la critique en copiant sur scène tout ce qui pourrait être reproduit. Bref, j’ai ma première frustration et je vis ma première impulsion, mais ensuite j’agis passivement et je me dis que je n’en ai rien à foutre, que c’est seulement l’opinion d’une seule personne et que celle-ci ne détient pas la vérité. En conclusion, je continue à créer comme j’ai toujours fait, en me souciant de ma propre satisfaction avant de penser au regard extérieur.
Avec quel artiste aimerais-tu collaborer?
Dans mon projet le plus fou, j’aimerais collaborer avec le photographe David LaChapelle, que ce soit pour réaliser une chorégraphie pour un vidéoclip, un spot commercial ou un film. Plus près de chez nous, j’aimerais collaborer avec une chorégraphe qui m’anime mais qui est diamétralement opposée à mon type de gestuelle. Je suis interpellé par les défis et je crois qu’une collaboration avec Catherine Gaudet me permettrait de sortir de ma zone de confort tout en élargissant ma vision artistique.
Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art?
C’est ma curiosité, ma soif d’aller au bout des choses, de me questionner sur ce qui m’entoure et de vouloir transmettre quelque chose; non pas un message, mais laisser une trace. C’est la volonté de vouloir me retrouver à travers ce que je mets en scène, performe, et chorégraphie. C’est de penser que l’art n’a pas de limites, de barrières, de tabous, et que tout se doit d’être abordé, même ce qui trouble notre confort. Je crois que de faire ma propre thérapie à travers l’art peut engendrer en partie une catharsis collective et c’est pourquoi je continue de faire ce que je fais. L’humain a un besoin viscéral de se libérer de certaines pulsions et quoi de mieux que de canaliser ces instincts à travers la création?
BLEACH (Danses Buissonnières)
1-3 octobre à 19h30 & 4 octobre à 16h
www.tangente.qc.ca
514.871.2224
Billets : 23$ / Étudiants : 19$
À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com