Local Gestures
because the personal is cultural
Andréane Leclerc obtient son diplôme de l’École nationale de cirque en 2001. Concevant la contorsion comme une technique corporelle malléable capable de générer un monde de sensations et d’imageries mentales au-delà du spectaculaire, elle crée aujourd’hui des pièces expérimentales circassiennes ainsi que des performances conceptuelles (Di(x)parue, Cherepaka, Insuccube, Mange-moi, Corps sculptural). Elle continue son travail d’interprète auprès de chorégraphes et metteurs en scène tels que Dave St-Pierre, Angela Konrad et Peter James. En 2013, elle termine une maîtrise sur la dramaturgie de la prouesse au département de théâtre de l’Université du Québec à Montréal. La même année, elle met sur pied la compagnie Nadère arts vivants, dont elle assure la direction artistique. Question Chanti Wadge : Pourquoi bouges-tu? Parce que c’est la vie, parce que « pourquoi pas? » C’est une pulsion de vie. Parce que tout le monde bouge, puis c’est une valse avec l’atmosphère et l’univers. On fait partie de l’univers. Il n’y a rien qui ne bouge pas dans l’univers. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? C’est tout, sauf ce que je suis en train de faire. Le vide. L’espace, l’entre-deux, la relation. C’est l’observation, donc tout ce qui se passe autour, ce que tu rencontres, ce qui te fait bouger. C’est la relation et comment tu te positionnes face à tout ce qui t’entoure et comment tu interagis avec ça ou comment les choses interagissent entre elles. Il n’y a pas une chose en particulier, c’est tout, ça peut être une roche à terre. Si elle te parle, tant mieux. Sinon, ça peut être quelqu’un, une conversation que tu as eue, ton rêve, une lecture, la façon dont tu vois ton foulard en te levant… Ça peut être tout ce qui t’entoure. Parce que, de toute façon, une création n’a pas un début et une fin. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? C’est sûr que je viens du cirque, je travaille avec des gens de cirque beaucoup, mais je déteste particulièrement le spectaculaire et l’égo, donc j’essaie d’aller au-delà de ça. Aller au-delà de ça, ce n’est pas tant essayer de l’abolir… J’essaie de déconstruire la prouesse, le spectaculaire, l’égo, mais je suis plus dans une écriture scénique pour essayer de laisser parler une relation à l’espace et aux objets entre eux. Après ça, je pense que l’interprétation vient de l’intérieur, le feeling de l’interprète, ce qu’il peut vivre ou a envie de vivre à ce moment-là. Je pense qu’il va toujours y avoir une certaine logique là-dedans qui en ressort. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Pour La Putain de Babylone, j’ai eu des commentaires comme quoi que c’était vraiment dégradant pour la femme de voir encore des femmes nues, jolies. C’est drôle, je pense que j’ai tellement une démarche féministe et j’ai tellement été proche du Studio 303. Il y a Nathalie Claude avec qui j’ai travaillé… La scène féministe m’appelle vraiment beaucoup. C’est là que j’ai fait mes premiers pas de création. Pour moi, la femme, c’est une femme forte. Ce n’est pas tant son enveloppe, mais plus comment une femme habite son corps. Après ça, que les interprètes aient des beaux corps, je me dis, « Tant mieux, câlisse! Sommes-nous toujours obligés d’avoir des corps pas beaux? » Non, au contraire, un corps beau, c’est le fun aussi de pouvoir le manipuler, de le sortir de ses zones et de ne pas juste l’utiliser. Comme je travaille beaucoup l’écriture scénique, les corps deviennent à quelque part des objets, mais l’objet de la représentation, un objet au soutien d’une œuvre, au sein d’un propos. D’être capable de le manipuler, d’utiliser ton corps pour pouvoir soutenir quelque chose qui est au-delà de toi… Il y a quelque chose qui doit juste te transpercer de l’imagerie mentale que tu supportes pour pouvoir le donner au spectateur. Le spectateur prend ça et il se recrée quelque chose. Ton corps est un véhicule. Donc, si je vois le corps comme véhicule, c’est sûr qu’à quelque part, c’est un corps objet, mais ce n’est pas un corps objet soumis ou dégradé. Je ne le place pas dans une zone comme ça. En fait, s’il-vous-plaît, dites-moi le si je suis là-dedans, mais je ne pense pas. Au contraire, je pense que j’essaie d’être empowered. Dans Mange-moi, on parle d’empowerment à travers la sexualisation des corps en scène. J’ai été dans le burlesque, dans la performance, j’ai essayé de mettre le corps de contorsion à nu, justement pour sortir la contorsion de moi, pour me réapproprier mon corps, pour sortir de cet objet sexuel que le spectateur a le goût de voir, de renverser la relation avec le spectateur, puis d’être en pleine possession de ce que moi j’ai envie de dire et que j’essaie d’offrir au public. Je fais, « Oui, je suis nue, et qu’est-ce que je peux suggérer là-dedans? Toi, tu t’attends à quoi? » Souvent, la première fois, les gens trouvent la monstruosité hallucinante, de voir les os et les côtes sortir… Dans le fond, j’espère juste que je donne le bon message dans ce que je fais. Ça a été un commentaire qui m’a bien marqué. J’ai trouvé que ça a été un jugement un peu trop facile, un peu trop vite, avant d’aller voir plus loin. En même temps, les gens peuvent bien penser ce qu’ils veulent… Ça va juste m’aider à être un peu plus convaincue de comment j’aborde les corps. Après ça, on a le corps qu’on a… Ça a été un de mes plus grands complexes d’avoir des seins, en cirque, depuis que je suis petite. Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse? S’il y a une chose que j’ai bien comprise, c’est que dans une contorsion hyper traditionnelle, c’était dans la façon que tu donnes tout en cirque, que tu n’as aucune conscience de ce que tu es en train de mettre en scène. Tu fais juste suivre un peu la tradition et tout donner ce que tu es capable de faire. Non… Gardes-en un peu pour toi et donnes-en un peu moins et essaie d’emmener le spectateur ailleurs que ce que lui pense ou ce que lui a hâte de voir justement, contourne ça… « C’est à ça que tu t’attendais? Bien, moi, je t’emmène ailleurs. » De quoi es-tu le plus fière? C’est quelque chose que j’essaie de garder enfoui en moi. Je suis fière, je suis bien avec ce que je fais, mais j’aime et je déteste toutes mes pièces. C’est une relation amour-haine. De quoi suis-je le plus fière? Je pense d’avoir réussi ma maîtrise, d’avoir passé à travers. Que serais-tu contente de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? De la censure. J’espère juste que les gens ne se censurent pas et qu’ils vont juste aller au bout de ce qu’ils ont le besoin et le goût de faire. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? De plus de soutien et de reconnaissance, d’un public plus large. Je trouve ça plate que des fois ça reste trop entre nous. Ou les gens ont une idée que la danse, c’est juste pour les initiés, tandis que c’est tellement pas ça, surtout au Québec. Quel est ton rapport à la critique? En cirque, au Québec, j’aimerais ça que les critiques aient plus de chien, qu’ils disent ce qu’ils pensent vraiment, qu’ils aient plus de sens critique justement, qu’ils aillent voir un peu au-delà de ce qui est toujours présenté. En cirque, je trouve la critique trop gentille. Le cirque est tellement spectaculaire, tellement « grand public »… Le cirque est assez large à Montréal. C’est correct, sauf qu’ils restent beaucoup dans une zone très sécure, qu’ils ont peur de s’aventurer et je trouve que la critique reste aussi beaucoup là-dedans. Je pense qu’on a peur d’aller plus en profondeur, autant au niveau des spectacles que des critiques. C’est dommage parce que je trouve que la critique est là pour faire réfléchir, pour amener un autre point de vue. Je suis écœurée aussi des critiques qui font juste relater ce que les artistes disent dans leur dossier de presse. Ce n’est pas tout le monde, on s’entend, mais j’aime les critiques aussi qui n’ont pas peur, qui ont vraiment une voix et un goût personnels, qu’on ait une certaine relation… Il y en a beaucoup qu’ils l’ont, mais pas tous. Encore une fois, j’aimerais mieux qu’il y en ait des plus fortes par rapport au cirque et qu’ils amènent une réflexion, d’autres points de vue. C’est ça un peu leur rôle aussi, non? Ce n’est pas encore de dire, « c’est bon/ce n’est pas bon » et de juger. Une critique, ça va plus loin; ça va mettre en lumière, ça va questionner des choses, ça vient relater. C’est quand même un œil pour le spectateur, mais c’est vraiment une source de réflexion aussi et de débat, puis je pense qu’encore une fois, au Québec, on a peur de débattre des idées. Le rôle du critique est extrêmement important. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Parce que j’y crois. La Putain de Babylone
8-12 septembre à 20h Mange-moi 15-17 septembre à 20h Théâtre La Chapelle www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 29$ / 30 ans et moins : 25$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com
1 Comment
Robert St-Amour
9/9/2015 08:00:06 pm
Un portrait intéressant qui va là où c'est sensible. Réponses justes à des questions fondamentales d'aujourd'hui dans le monde de la danse, au sens large. Bref, j'ai beaucoup aimé.
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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