Local Gestures
because the personal is cultural
2011 tire à sa fin. Heure des bilans. Retour sur les œuvres et artistes qui ont marqué le paysage de la danse à Montréal. Encore une fois cette année, le Festival TransAmériques s’est démarqué grâce à la programmation audacieuse de Marie-Hélène Falcon. C’est ici qu’on aura trouvé le show de l’année, Still Standing You de Pieter Ampe et Guilherme Garrido, une pièce sans musique, sans éclairage théâtral, et éventuellement sans costume, où on ne peut que créditer la performance des deux chorégraphes-interprètes pour avoir créer un show des plus prenants. Derrière une grosse couche trash à la Jackass, ils ont composé le spectacle le plus dense de l’année. De son côté, la chorégraphe Cindy Van Acker a présenté non pas une, deux, ou trois pièces, mais bien quatre qui démontraient toutes un engagement total dans la poursuite d’idées chorégraphiques claires et simples, mais riches : Lanx, Obvie, Nixe, et Obtus. À partir de séquences de mouvements souvent élémentaires, elle composait une danse si pure qu’elle en devenait graphisme et parfois même voyage initiatique parmi un éclairage sculptural de néons. Du côté du Québec, la chorégraphe Chanti Wadge a quant à elle créer un univers magique aux côtés du magnifique danseur David Rancourt avec o deer! Inspirée par les rituels autochtones et le règne animal, elle a réussi à invoquer les esprits ancestraux et transformer les corps, occasionnant l’émergence de la nature en plein milieu de la ville. Aussi digne d’être mentionné : Bodies in Urban Spaces de Willi Dorner, pour laquelle une douzaine de jeunes danseurs se sont adonnés à un mélange de parkour et de planking pour s’insinuer dans des racoins du centre-ville qui auraient autrement paru hors de notre portée. La masse spectatrice déambulatoire devenait elle-même un objet de spectacle pour les passants qui n’avaient aucune idée de ce qui se passait. On avait le sourire collé au visage et on regarde encore la ville d’un autre œil. Pour clore cette longue parenthèse FTA, finissons avec la chorégraphe Lia Rodrigues qui a trouvé son inspiration dans le chaos pour Pororoca. De la parade initiale des multiples interprètes qui fait du plancher un dégât jusqu’à leur installation en une ligne verticale en milieu de scène où ils exécuteront la majorité de leur danse dans cette formation hors du commun, le désordre permet aux danseurs de repenser le mouvement et de se rencontrer dans un corps-à-corps qui peut être autant empreint de violence que d’amour. Côté diffuseur, c’est toujours Tangente qui mène la danse contemporaine de l’avant avec une programmation éclectique et ouverte à l’innovation. On retient surtout deux pièces. La première : Costing not less than everything de Susanna Hood. Dans ce solo interprété de façon magistrale par Holly Bright, la lumière qui frappe le corps vulnérable de la danseuse est celle qui illumine aussi son chemin, au bout duquel elle dira oui à tout ce qui s’offre à elle, puisque tout passe par la vie. Profondément touchant. Deuxième coup de cœur chez Tangente : Tokyo Loft (Koshitsu) de Maki Morishita. Pour cette pièce, la chorégraphe-interprète a limité sa danse à un carré grand comme un ascenseur pour aborder de façon ludique la place réservée à l’art dans nos vies occupées et la nécessité de l’imagination pour surmonter une certaine passivité intellectuelle et physique moderne. C’était aussi drôle qu’inquiétant. À l’Agora de la danse, c’est Ame Henderson qui a une fois de plus fasciné avec sa pièce de groupe relay. La chorégraphe a équipé ses interprètes d’une structure précise qui leur permettait de danser en synchro n’importe quelles séries de mouvements qu’ils avaient apprises au cours de leurs carrières de danseurs; donc chaque représentation était complètement différente. Quand on pense que l’an dernier c’était Michael Trent qui nous avait surpris avec It’s about time, c’est à se demander si c’est maintenant à Toronto que la danse conceptuelle se fait. À Montréal, Sarah Dell’Ava est à peu près la seule à porter ce flambeau. Avec Esquisse 3 : Dans les plis, elle a une fois de plus prouvé qu’elle demeure la chorégraphe émergente à surveiller. Elle démontre l’intérêt qu’il y a à danser avec sa tête et non pas juste avec son corps. Elle remontera Dans les plis pour Tangente au Monument-National du 9 au 12 février. C’est évidemment à ne pas manquer. Un autre chorégraphe émergent qui mérite qu’on parle de lui : Patrick Lloyd Brennan, qui n’a pas attendu après les diffuseurs pour montrer son travail; il a présenté sa nouvelle création dans son propre loft. The New Bourjoiesie était un portrait satirique décapant d’une génération éduquée, nourrie de références culturelles, mais autrement incapable d’accomplir quoi que ce soit. L’art comme miroir déstabilisant. 2011, c’était aussi évidemment l’année de Marie Chouinard, qui fêtait les vingt ans de sa compagnie avec une longue série de spectacles. On se remémore Étude No 1, solo reposant presque entièrement sur les… pieds de Lucie Mongrain, qui dansait la claquette sur un plancher bourré de micros. Chouinard a un don pour la dramatisation de l’espace et c’était ici à son apogée. Avec son nouveau spectacle, LE NOMBRE D’OR (LIVE), elle a créé un monde étrange peuplé de créatures qui (du moins au début) ne semblaient rien avoir en commun avec nous. Une réflexion originale sur l’altérité de l’humain. Il faudrait aussi noter que plus de la moitié des pièces mentionnées ici (celles de Cindy Van Acker, Susanna Hood, Maki Morishita, Sarah Dell’Ava, et une de Marie Chouinard) sont des soli. Je ne suis pas sûr quelle conclusion en tirer… Peut-être qu’à défaut de quantité elles osent nous offrir la qualité? Habituellement, je ne mentionne pas de mauvais coups parce qu’on s’entend que, contrairement au cinéma ou à la musique, il est difficile d’argumenter que les artisans de la danse essaient de nous faire avaler de la merde pour faire des profits. Toutefois, cette année, je dois avouer être d’accord avec Fabienne Cabado du Voir et Aline Apostolska et Stéphanie Brody de La Presse; je commence moi aussi à être un peu tanné de la programmation du Théâtre La Chapelle, qui semble de plus en plus déterminée par leur marketing. Ils capitalisent un peu trop sur l’excitation des organes génitaux et pas assez sur celle de l’esprit. En espérant que ça change en 2012… Sur ce, Bonne et heureuse année!
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Une tournée qui a failli être abandonnée, alors qu’elle n’en était qu’à sa deuxième édition. Le tremblement de terre au Japon en aura presque eu raison. Mais artistes et administrateurs ont décidé de surmonter les difficultés. Heureusement, parce que si on a prouvé quelque chose la semaine dernière à Tangente, c’est la capacité de l’art à panser les plaies. La Montréalaise Erin Flynn ouvrait le bal avec From Ashes Comes the Day, dans laquelle elle danse aux côtés de George Stamos. On retrouvait le style de Flynn, qui ne fait pas dans l’excès physique ou conceptuel. Elle recherche plutôt à habiter pleinement des états d’âme, ce qui enduit ses pièces d’une belle simplicité. Elles sont remplies d’hésitations, de frustrations, de non-dits emphatiques, comme si elle voulait se délivrer d’un lourd poids sans trouver les mots pour y parvenir. De là tous ces petits mouvements qui révèlent de grands bouleversements internes. Sur la scène, théière, tasse, fleur, téléphone, mais tous faits de bois mince, presque bidimensionnel. On fait dans la représentation, mais pas seulement au niveau théâtral; cette image est aussi celle que l’on se fait de la domesticité, de l’intimité, des relations. Inévitablement, une tension émerge entre cet idéal, ce rêve, cette illusion, et la réalité de ces individus en trois dimensions, en chair et en os. Cette tension se trouve aussi dans les costumes de départ : elle en robe et collier, lui en pyjama. Les changements de costumes dotent la pièce d’une durée qui excède celle de la performance (l’équivalent du crossfade au cinéma), comme si nous étions témoins de plusieurs jours dans la vie du couple, mais aussi des différents rôles, des différentes façades que chacun assume. La fin atteint des sommets au niveau de l’image auxquels Flynn n’est jamais parvenu auparavant. C’est à mon humble avis sa meilleure pièce depuis Alcôve (2006). Et peut-être encore… Les Coréens Park Young-Cool et In Jung-Ju présentaient eux aussi un duo homme-femme (Lee Su Jung remplaçait In Jung-Ju comme danseuse pour la tournée). Leurs corps se tiennent tout d’abord immobiles au son de musique classique dans la pénombre. Et puis ils sautent et retombent les pieds lourds contre le sol, en position accroupie, les poings serrés de chaque côté. Et encore. Et encore… Les mouvements sont souvent répétés ainsi. La sueur s’en trouve propulsée à grosses goûtes du front de Park. L’interaction des danseurs est combative, mais coopérative. Pour cette raison, il en ressort un air de jeu. Toutefois, comme les jeux d’enfants, le but (si but il y a) demeure obscur et changeant. Côte à côte, ils sautent et dans leur chute se laissent rouler sur le dos avant de recommencer la séquence jusqu’à ce que l’épuisement les cloue au sol. Ils se relèvent ensuite pour retrouver leurs positions initiales aux extrémités de la scène. Ils sont toujours immobiles, mais notre perception de leurs corps diffère tout de même. Leurs corps sont maintenant imbus de leurs actions, inscrits de marques autant physiques que symboliques. Tout corps qui a vécu est meurtri. La soirée se terminait avec Tokyo Flat (Koshitsu) de la Japonaise Maki Morishita. C’est une pièce bien contemporaine, marquée d’une schizophrénie moderne. Maki entre sur scène en trainant sa valise derrière elle et se change dans la noirceur. Elle démarque un carré d’une craie blanche, grand comme un ascenseur. C’est dans cet espace restreint que sa chorégraphie prend place. Un espace trop petit pour le corps, qui devient agité. La modernité lui demande moins d’énergie que ce dont il a besoin. L’ennui est autant corporel que mental. L’imagination doit compenser. Elle déborde du corps. Le divertir, c’est demeurer sain d’esprit. Il faut bouger. Il faut jouer. Il faut danser. À travers les murs invisibles de cet ascenseur, on devient témoin des débordements corporels auxquels on s’abandonne tous lorsqu’on se retrouve seul, et qu’habituellement seul un garde de sécurité aurait la chance d’observer sur vidéo en se bidonnant. On se rend compte que, pour garder la boule, il faut souvent se laisser aller à des actions qui nous donnent tout l’air de l’avoir complètement perdue. C’est pour cette raison que, malgré son humour ludique, Tokyo Flat demeure angoissant. Quel espace reste-t-il pour l’art et l’imagination dans notre monde contemporain? On doit s’y adonner en privé dans le peu de temps et d’espace qui nous est alloué lors de notre pause de quinze minutes au travail : sous notre bureau, dans un ascenseur, dans une cage d’escalier, à la toilette. Mika se mouche et laisse tomber son mouchoir derrière elle en quittant son ascenseur imaginaire. C’est la trace que nous laisserons de notre art privé : un mouchoir souillé. Une vision comique, mais noire, de la vie moderne. La tournée clôturait aussi les vingt-et-un ans que Tangente aura passés sur la rue Cherrier. Pour suivre Tangente au cours de ses prochaines saisons, joignez-vous à eux sur Facebook ou visitez leur site web à tangente.qc.ca. |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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