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Je trouve dommage que ce débat ne se développe pas davantage pour nous rejoindre anglophones et francophones dans une vaste réflexion sur la question de la critique en danse au Canada.
SYLVAIN VERSTRICHT Ce qui cause la réticence de certains à exprimer leur point de vue sur la critique dépend sûrement de la position de chacun, mais – oui – ce doit être très délicat pour plusieurs. Par exemple, tous tes malaises critiques (si je ne m’abuse) concernent des critiques plutôt négatives. Tu spécifies que ton malaise n’a rien à voir avec le fait que la critique est négative (chose que tu défends bien), mais tout de même… Pourquoi est-ce que tous tes exemples concernent des critiques négatives (ce qui me semble d’ailleurs le cas presque chaque fois que quelqu’un se prononce contre la critique)? C’est d’autant plus intéressant que les critiques négatives en danse se font plutôt rares (beaucoup plus qu’en cinéma ou en musique, par exemple). À mon avis, les danseurs et chorégraphes sont particulièrement choyés à ce point de vue. Pourtant, il y a plein de critiques positives auxquelles on pourrait sûrement reprocher les mêmes choses. Pourquoi ne pas exprimer ton malaise critique face à celles-là? Parce que c’est délicat? Les artistes semblent beaucoup plus conciliants face à la critique positive. Ils font même régulièrement la promotion de critiques positives autrement embarrassantes sur les médias sociaux. Pourquoi le silence face à la critique positive médiocre alors qu’elle est encore plus prépondérante? KATYA MONTAIGNAC Je n'ai absolument rien contre les critiques négatives du moment qu’elles sont argumentées. La critique n'engage que son auteur qui assume une lecture personnelle et non une vérité absolue. Elle pose des questions sur l'œuvre, la démarche du chorégraphe, la pratique même de la danse. Mes malaises critiques s'attaquent en effet plus facilement aux mauvaises critiques (souvent négatives) car celles-ci soulignent, au-delà d’une certaine incompétence, une forme de mépris. Il m'est plus délicat de critiquer des critiques médiocres qui encensent certaines œuvres car : 1) je me trouverais moi-même très méprisante envers quelqu'un qui, en l'occurrence, semble avoir adoré la pièce (et il en a bien le droit même s'il n'y connait pas grand chose ou que son regard frise la naïveté). 2) le chorégraphe (ou son travail) n'est jamais affecté par une bonne critique médiocre. Ni la danse en général. Les critiques auxquelles je m'attaque en revanche me semblent faire de l'ombre à la pratique même de la danse, pas juste à un chorégraphe. Cela ne me dérange absolument pas que l'on critique négativement un chorégraphe dans un journal – s’il fait de l'art, j'estime que cela fait partie du « jeu ». Et s'il ne sait pas prendre la critique, tant pis pour lui. Je souligne les critiques qui pour moi légitiment – ou consacrent – de manière implicite UN point de vue sur la danse, souvent archaïque, sans jamais le nommer. Je n'ai pas de problème à ce qu'un critique ait des goûts conservateurs, mais qu'il l’énonce clairement. Après, ça va me faire plaisir de le lire, de « comprendre » SA lecture. Qu'il cesse d'écrire comme s'il était une référence absolue en matière de goût pour « la » Danse (surtout quand il n'y connait pas grand chose). J'ai un problème foncièrement politique face à ces (pseudo-)critiques qui entérinent inconsciemment un certain monolithisme de l'art. SYLVAIN VERSTRICHT Que veux-tu dire lorsque tu affirmes que « le chorégraphe (ou son travail) n’est jamais affecté par une bonne critique médiocre. Ni la danse en général »? Qu’en est-il du lecteur? Pour moi, il s’agit là d’un des problèmes de la critique traditionnelle. Souvent, je ne suis même pas sûr si je suis moi-même ultimement intéressé par le fait qu’un spectacle m’ait personnellement plu ou non. Je peux penser pendant des mois à un spectacle que j’ai détesté et oublier un spectacle que j’ai aimé en moins d’une semaine. Qu’est-ce que ça change pour moi en tant que lecteur ou spectateur qu’un critique ait aimé un spectacle ou non? Si oui, tant mieux pour lui; si non, tant pis! Ça n’affecte en aucune façon ma propre expérience. Toutefois, si la critique parle de ce qu’elle a vu dans le spectacle, ceci peut enrichir ma propre expérience durant le spectacle ou même rétroactivement (ou même juste à la lecture du texte), et ce même si je ne suis pas en accord avec la lecture. Par exemple, si je revois le film The Hot Spot de Dennis Hopper avec le texte féministe de This Recording en tête, je peux voir ce que l’auteur a vu. Toutefois, même si je suis en désaccord avec la lecture, le point de vue de l’auteur enrichit tout de même mon expérience parce que je me devrai de remarquer des détails que l’auteur a négligés ou mal interprétés (selon moi). [On dit souvent que] le milieu a besoin de plus de support. Il me semble que la critique juste est le signe d’une discipline en santé; la critique racoleuse, celle d’une discipline dans un état précaire. KATYA MONTAIGNAC La bonne critique médiocre n'affecte jamais un chorégraphe parce qu'il peut anyway l'utiliser pour faire valoir son travail tant dans ses demandes de sub que dans la com et la promotion de ses shows. De plus, elle peut attirer le chaland néophyte (au risque de le décevoir)… Tu soulignes une résistance particulièrement québécoise face à la critique négative. On réclame une critique éclairée mais est-on capable de recevoir la moindre critique? Si jamais la critique s'avère négative, alors on dira qu'elle n'a rien compris car elle n'est pas spécialiste. Facile! J'ai tendance à questionner ce besoin viscéral de renforcement positif, comme si l'artiste avait avant tout besoin d'être caressé dans le sens du poil pour s'épanouir. D'où cette drôle de tension critique/artiste au Québec où on dirait que le critique s'en voudrait de causer la « perte » d'un artiste. Le milieu étant si petit... Les conditions étant si précaires... Tout le monde se sent « responsable » : il en va quasiment de la culture québécoise. Une légende urbaine prétend ainsi que les artistes devraient absolument « être visibles » aux yeux des Conseils des arts et produire à tout prix pour aspirer au financement. D'une part, siégeant régulièrement sur des comités, je n'ai jamais vu un jury refuser le dossier d'un artiste sous prétexte qu'on n'avait pas entendu parler [de lui] depuis 2 ans ou plus. (Bien au contraire!) D'autre part, les « méchants » conseils des arts, ce sont avant tout les comités de pairs, donc les artistes eux-mêmes (ce qui, à mes yeux d’Européenne, est à la fois une chance et une énorme responsabilité confiée aux artistes). Enfin, combien de fois après avoir critiqué une pièce, on me sort l'argument suivant (et parfois dans la bouche même du critique!) : « il n'a pas eu les moyens pour faire sa pièce » (ou il n'a pas eu sa sub, ou il a créé sa « pièce » en 3 semaines)… Cette malheureuse habitude précarise énormément le milieu chorégraphique. Le danger avec les généralistes (ou non spécialistes), c’est quand ils rejettent l’œuvre car ils ne « comprennent » pas (et ré-ouvrent assez gauchement le vieux débat du financement public de l'art). Quant aux spécialistes, ils ont tellement conscience de la précarité du milieu qu'ils se sentent parfois obligés de justifier les faiblesses d'un travail, voire de les excuser. (Ce que tu nommes une « critique racoleuse » peut aussi s'avérer une critique flagorneuse...) Que faire pour sortir de ce cercle vicieux calqué sur la logique de vente (tant pour la création artistique que pour la critique)? (On essaie d'attirer le public au théâtre exactement comme on tente d'attirer les lecteurs d’un journal à lire un texte.) SYLVAIN VERSTRICHT Plusieurs ne considèreraient pas ce que je fais comme de la critique. C’est justement ce que Kathleen Smith écrit sur moi dans The Dance Current : « Bloggers such as Catherine Viau and Sylvain Verstricht provide observations on both shows and on issues in the dance world, but without necessarily or always getting into actual reviewing. » J’ai l’impression que plusieurs termineraient la lecture de mes textes en demandant, « Oui, mais est-ce que ça vaut la peine d’être vu? » Pour moi, c’est une question sans réponse. Ça dépend des champs d’intérêt de chacun. KATYA MONTAIGNAC Qu'est-ce que le spectateur de danse préfère lire aujourd’hui? Je crois que c'est plutôt une lecture – parfois différente de la sienne – car celle-ci enrichit son regard et son souvenir. Il serait intéressant de définir ce que serait une « vraie » critique? Est-ce qu'un journaliste généraliste qui ne contextualise pas le travail d'un chorégraphe peut être considérée comme un critique? Est-ce qu'un bloggeur qui offre une lecture érudite d'un spectacle n'est pas critique parce qu'il ne donne pas son avis? Attendons-nous encore de la critique un avis? Le problème concerne davantage le ton ou la posture que prend le critique. On a le droit d'écrire ce que l'on veut, on a le droit d'avoir des goûts particuliers, orientés, inavoués, on a le droit d'éprouver ce que l'on veut face à la danse. Mais se placer comme si, dans notre posture de « critique », on devenait un regard absolu, ça me gêne beaucoup. C'est une posture critique d'un autre temps. Celui où le critique décrétait ce qui avait une valeur artistique ou non. En vertu de modèles ou du « bon goût ». Nous sommes désormais dans une ère radicalement différente : que cela nous plaise ou non, tout peut faire ART aujourd'hui (pour le meilleur comme pour le pire). La posture du critique tend dorénavant – il me semble – à offrir une lecture singulière de l'œuvre (et pas forcément un « verdict »). Depuis 1998, Katya Montaignac collabore en tant que critique de danse à plusieurs publications et en particulier à la revue JEU depuis 2004. Elle enseigne et donne des conférences sur l’esthétique de la danse (RQD, UQAM, Réseau Scène...). Membre de La 2e Porte à Gauche depuis 2006, elle signe régulièrement la direction artistique de ses productions. Depuis 2007, Katya crée des Objets Dansants Non identifiés (Danses invisibles en 2007, Corps anonymes en 2009). Depuis 2008, elle fait partie du comité artistique du festival OFFTA en tant que commissaire en danse. Elle achève présentement une recherche de doctorat en Études et pratiques des arts à l’UQAM et collabore en tant que dramaturge auprès de plusieurs chorégraphes (dont Marie Béland, Milan Gervais et Frédérick Gravel).
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Comment malaxer? On commence avec le poing droit près de la hanche gauche, et la jambe droite – genou à peine plié – pivote un peu plus de 90 degrés, suivie de la gauche, tout en relâchant le poing. C’est du moins ce que Katya Montaignac, dramaturge du projet 4quART de La 2e Porte à Gauche, m’a enseigné avant le spectacle. Elle a aussi capté mon move sur vidéo. 4quART pour quatre chorégraphes (Marie Béland, Alain Francoeur, Frédérick Gravel, Catherine Tardif) et quatre danseurs (Sophie Corriveau, Manuel Roque, Peter Trosztmer, Lucie Vigneault). Leurs hoodies annoncent l’aspect ludique du spectacle avec leurs couleurs LEGO : rouge, jaune, bleu, vert. On dirait des participants à un game show pour enfants. Le but du jeu : articuler en mouvement différents verbes reliés à la cuisine, comme « malaxer. » La gestuelle est alors pop, voire enfantine. Ces exercices révèlent parfois l’incapacité de la danse à traduire le littéraire… littéralement. On peut bien dire à Trosztmer « More hands, » n’empêche que son oiseau ne peut décoller du sol peu importe la vélocité de ses ailes improvisées. On peut dire à Roque « More Dead, » mais à part demeurer étendu immobile sur le sol, il ne peut que crier à ses interlocuteurs « I’m not dead! » Dans l’une des sections les plus réussies, Corriveau parvient à déshabiller Trosztmer tout en demeurant suspendue à son corps, sans jamais toucher le sol. Et il réussit à la dévêtir à son tour tout en la gardant dans ses bras. C’est une contrainte qui engendre un exercice impressionnant sur le plan physique. D’ailleurs et comme à l’habitude, Trosztmer se démarque de par son intensité. On fait souvent dans la violence, même si elle aussi se veut parfois infantile. Les trois camarades de Trosztmer s’amusent à le frapper tels des lutteurs de la WWE. Roque épouse des positions de combat, les muscles tendus, les poings levés. Trosztmer tient Vigneault par ses longs cheveux, la traîne, soulève, lance au sol. Elle facilite évidemment le mouvement, mais l’illusion est convaincante. Ils se jettent sur le dos les uns des autres et dansent ensemble que pour se laisser tomber. C’est sûrement à cause de cette violence qu’on croit surtout reconnaître la signature chorégraphique de Gravel. Ce n’est que vers la fin que l’espace est utilisé d’une façon qui satisfait pleinement l’aspect déambulatoire de la pièce. Car, oui, il n’y a pas de position fixe pour le spectateur, un point qui se veut crucial mais dont mon omission jusqu’à maintenant devrait indiquer le manque d’importance. Toutefois, lorsque les danseurs sont répartis aux quatre coins du deuxième étage du Studio Hydro-Québec du Monument-National et qu’au premier on retrouve une projection vidéo sur un grand écran courbé, on approche enfin un univers assez riche pour justifier le déambulatoire. (On pense entre autre à Corps intérieur de David Pressault, un autre spectacle de Danse-Cité, qui avait relevé ce défi l’an dernier.) Je demeure similairement peu convaincu par presque tous les éléments de 4quART. L’inclusion du spectateur (par la vidéo captée avant le spectacle et ensuite diffusée dans la salle) et l’interaction avec lui (en lui offrant des POGOs, entre autres) ne peuvent être que superficielles. S’il est difficile d’intégrer les éléments de quatre chorégraphes lors d’un travail qui s’étale sur plusieurs mois, comment y parvenir avec des spectateurs rencontrés moins de cinq minutes avant le spectacle? La vidéo ne fait la plupart du temps que charger l’espace plutôt que l’enrichir. La longueur du spectacle ne semble elle non plus justifiée. Quinze minutes devraient être coupées. La 2e Porte à Gauche se donne comme mission de « rendre la danse contemporaine appétissante. » Un but admirable, sans doute, mais c’est une ligne mince entre populaire et populiste. Je dois avouer que, dans ce cas-ci, j’avais l’impression qu’on m’adressait comme si j’étais un enfant. 4quART 24-26 mars et 29 mars-2 avril à 20h30 Monument-National www.danse-cite.org 514.871.2224 Billets : 26$ / Étudiants : 20$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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