Local Gestures
because the personal is cultural
Une tournée qui a failli être abandonnée, alors qu’elle n’en était qu’à sa deuxième édition. Le tremblement de terre au Japon en aura presque eu raison. Mais artistes et administrateurs ont décidé de surmonter les difficultés. Heureusement, parce que si on a prouvé quelque chose la semaine dernière à Tangente, c’est la capacité de l’art à panser les plaies. La Montréalaise Erin Flynn ouvrait le bal avec From Ashes Comes the Day, dans laquelle elle danse aux côtés de George Stamos. On retrouvait le style de Flynn, qui ne fait pas dans l’excès physique ou conceptuel. Elle recherche plutôt à habiter pleinement des états d’âme, ce qui enduit ses pièces d’une belle simplicité. Elles sont remplies d’hésitations, de frustrations, de non-dits emphatiques, comme si elle voulait se délivrer d’un lourd poids sans trouver les mots pour y parvenir. De là tous ces petits mouvements qui révèlent de grands bouleversements internes. Sur la scène, théière, tasse, fleur, téléphone, mais tous faits de bois mince, presque bidimensionnel. On fait dans la représentation, mais pas seulement au niveau théâtral; cette image est aussi celle que l’on se fait de la domesticité, de l’intimité, des relations. Inévitablement, une tension émerge entre cet idéal, ce rêve, cette illusion, et la réalité de ces individus en trois dimensions, en chair et en os. Cette tension se trouve aussi dans les costumes de départ : elle en robe et collier, lui en pyjama. Les changements de costumes dotent la pièce d’une durée qui excède celle de la performance (l’équivalent du crossfade au cinéma), comme si nous étions témoins de plusieurs jours dans la vie du couple, mais aussi des différents rôles, des différentes façades que chacun assume. La fin atteint des sommets au niveau de l’image auxquels Flynn n’est jamais parvenu auparavant. C’est à mon humble avis sa meilleure pièce depuis Alcôve (2006). Et peut-être encore… Les Coréens Park Young-Cool et In Jung-Ju présentaient eux aussi un duo homme-femme (Lee Su Jung remplaçait In Jung-Ju comme danseuse pour la tournée). Leurs corps se tiennent tout d’abord immobiles au son de musique classique dans la pénombre. Et puis ils sautent et retombent les pieds lourds contre le sol, en position accroupie, les poings serrés de chaque côté. Et encore. Et encore… Les mouvements sont souvent répétés ainsi. La sueur s’en trouve propulsée à grosses goûtes du front de Park. L’interaction des danseurs est combative, mais coopérative. Pour cette raison, il en ressort un air de jeu. Toutefois, comme les jeux d’enfants, le but (si but il y a) demeure obscur et changeant. Côte à côte, ils sautent et dans leur chute se laissent rouler sur le dos avant de recommencer la séquence jusqu’à ce que l’épuisement les cloue au sol. Ils se relèvent ensuite pour retrouver leurs positions initiales aux extrémités de la scène. Ils sont toujours immobiles, mais notre perception de leurs corps diffère tout de même. Leurs corps sont maintenant imbus de leurs actions, inscrits de marques autant physiques que symboliques. Tout corps qui a vécu est meurtri. La soirée se terminait avec Tokyo Flat (Koshitsu) de la Japonaise Maki Morishita. C’est une pièce bien contemporaine, marquée d’une schizophrénie moderne. Maki entre sur scène en trainant sa valise derrière elle et se change dans la noirceur. Elle démarque un carré d’une craie blanche, grand comme un ascenseur. C’est dans cet espace restreint que sa chorégraphie prend place. Un espace trop petit pour le corps, qui devient agité. La modernité lui demande moins d’énergie que ce dont il a besoin. L’ennui est autant corporel que mental. L’imagination doit compenser. Elle déborde du corps. Le divertir, c’est demeurer sain d’esprit. Il faut bouger. Il faut jouer. Il faut danser. À travers les murs invisibles de cet ascenseur, on devient témoin des débordements corporels auxquels on s’abandonne tous lorsqu’on se retrouve seul, et qu’habituellement seul un garde de sécurité aurait la chance d’observer sur vidéo en se bidonnant. On se rend compte que, pour garder la boule, il faut souvent se laisser aller à des actions qui nous donnent tout l’air de l’avoir complètement perdue. C’est pour cette raison que, malgré son humour ludique, Tokyo Flat demeure angoissant. Quel espace reste-t-il pour l’art et l’imagination dans notre monde contemporain? On doit s’y adonner en privé dans le peu de temps et d’espace qui nous est alloué lors de notre pause de quinze minutes au travail : sous notre bureau, dans un ascenseur, dans une cage d’escalier, à la toilette. Mika se mouche et laisse tomber son mouchoir derrière elle en quittant son ascenseur imaginaire. C’est la trace que nous laisserons de notre art privé : un mouchoir souillé. Une vision comique, mais noire, de la vie moderne. La tournée clôturait aussi les vingt-et-un ans que Tangente aura passés sur la rue Cherrier. Pour suivre Tangente au cours de ses prochaines saisons, joignez-vous à eux sur Facebook ou visitez leur site web à tangente.qc.ca.
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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