Local Gestures
because the personal is cultural
Why so serious? Les installations chorégraphiques en galerie d’art se font quand même rares, mais j’ai remarqué un point commun à toutes celles que j’ai vues : elles sont d’un sérieux inhumain. L’absence/la ausencia d’Hinda Essadiqi et Aladino Rivera Blanca est peut-être l’exception, mais il s’agissait là plus d’un déambulatoire que d’une installation. Le corps en question(s) d’Isabelle Van Grimde, c’est l’antithèse de (M)IMOSA, vu il y a quelques jours à peine. C’est le respect démesuré de l’espace où l’art est exposé qui fait tout chavirer dans le rituel religieux. Pourtant il y a beaucoup d’humour dans la danse et les arts visuels contemporains, mais mettez la danse dans le site des arts visuels et tout devient constipé. Dans Le corps en question(s), la grande partie de l’énergie des danseurs semble être utilisée pour contrôler leur expression faciale. Oui, ils n’en ont qu’une. Pourquoi une œuvre qui se questionne sur le corps humain se limite-t-elle ainsi? On aurait plutôt dit des spectres. Une des manières dont l’humain s’est démarqué des autres animaux a été de se spiritualiser, comme pour dénier sa chair, celle qui fait la danse. C’est peut-être dans cet espace paradoxal que les interprètes se trouvent. Ils « flottent » sur des cubes transparents. C’est plus convaincant du côté de Dreamcatcher, la sculpture de Marilene Oliver où une forme humaine faite d’acrylique coupée en minces tranches est suspendue dans l’espace au-dessus de plumes d’autruche blanches. Peut-être retrouve-t-on aussi l’humain dans les costumes couleur peau que les danseurs portent. La nudité non assumée, c’est aussi notre affaire. Comme Mark Twain l’a dit, l’Homme est le seul animal qui rougit. Ou qui se doit de rougir. À l’entrée de la galerie, on retrouve la vidéo Delicate Issue (1979) de Kate Craig, une série de gros plans du corps. Dans le contexte de Corps en question(s), c’est la trame sonore qui devient utile : une respiration forte, un peu trop près de nous. Enfilez les écouteurs, n’hésitez pas à tourner le dos à la projection vidéo, et regardez plutôt l’action live. Ça l’enrichit l’expérience en atténuant l’atmosphère fantomatique de la galerie. Car, ultimement, c’est quoi la différence entre l’humain et les autres animaux? L’humain est le seul qui modifie son comportement lorsqu’il se retrouve entre les murs d’une galerie d’art. Le corps en question(s) 28 mai-1 juin à 18h30 Galerie de l’UQAM www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 1.866.984.3822 Billets à partir de 18$
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Hier soir, à l’Agora de la danse, je n’arrêtais pas de penser au monologue d’Étienne Lepage interprété par Francis Ducharme lors du Cabaret Gravel Cabaret. Dans ce texte, Ducharme se plaignait des spectacles qui l’emmerdent, surtout qu’il n’en demande pas tant que ça. Il veut juste une idée, nous disait-il. Si je me souviens bien, il continuait : parfois, je regarde, puis j’en trouve pas une crisse. Et voilà. Chutes incandescentes de Clara Furey et Benoît Lachambre, c’est deux artistes à la recherche d’un concept. Dans le programme, on parle d’hommage « aux racines orientales de l’individu occidental. » Une idée intéressante, certes, mais elle n’est pas sur scène et il n’y a rien pour la remplacer. On a l’impression qu’on en est encore au stade du travail en studio. La proposition n’est pas claire, mais on ne peut même pas dire qu’elle est floue ou ambiguë. Elle n’est juste pas là. Les interprètes se démènent sur scène, et pourtant rien ne se passe là où c’est important : à l’intérieur du spectateur. Autour de moi, les soupirs se faisaient entendre, comme si les spectateurs cherchaient à laisser échapper le vide que le spectacle laissait en eux. Pourtant, je suis sensible. Je pleure à rien, je ris quand je songe à un chat qui essaie de se gratter sans y parvenir, et je n’ai qu’à penser à Jean Charest pour me fâcher. Mais là, rien. Le mouvement des interprètes dans l’espace est limité et on fait une mauvaise utilisation de la scène. On dirait que la salle a été choisie pour le nombre de spectateurs et non pour les besoins de la pièce. Il y a un tableau qui aurait pu être intéressant, alors que Lachambre en avant-scène tape des pieds en tremblant de tout son corps et en levant ses bras graduellement, une lumière l’éclairant de dessous. C’est visuellement étrange, mais la musique de Furey, malgré son talent, demeure restreinte et ne complémente pas l’action. Autrement, les clichés de danse contemporaine s’enfilent. Les deux éléments positifs du spectacle : le son et l’éclairage. Est-ce la directrice technique Karine Gauthier que l’on doit remercier? Le critique de cinéma Gene Siskel avait l’habitude de se poser la question, « Est-ce que ce film est plus intéressant qu’un documentaire sur les mêmes acteurs qui dîneraient ensemble? » En danse, on pourrait se demander, « Est-ce que cette pièce est plus intéressante qu’un spectacle où les mêmes interprètes ne feraient qu’improviser? » J’en doute. Chutes incandescentes 25-27 mai à 19h Agora de la danse www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 1.866.984.3822 Billets à partir de 30$ C’est bien d’avoir un groupe d’adolescentes dans un spectacle de danse. On peut souvent se fier à leurs réactions pour savoir si quelque chose d’intéressant se passe. Si elles se regardent constamment pour savoir comment elles devraient réagir (car on sait que, lorsqu’on est adolescent, les réactions individuelles sont interdites), c’est bon signe. C’est bien l’art qui laisse perplexe, face auquel même notre réaction ne peut être simpliste. C’est ce qui s’est passé lors de la représentation de (M)IMOSA: Twenty Looks or Paris Is Burning at the Judson Church (M) en cette deuxième journée du Festival TransAmériques. Ce n’est peut-être pas surprenant étant donné que, comme le sous-titre l’indique, le chorégraphe new-yorkais Trajal Harrell croise la culture queer avec la vision démocratique du mouvement des chorégraphes postmodernes. Et il n’est pas le seul chorégraphe-interprète. Il y en a trois de plus, rassemblant aussi Paris et Lisbonne : Cecilia Bengolea, François Chaignaud et Marlene Monteiro Freitas. On pourrait avoir peur que ce soit chaotique, et ce l’est, mais non pas à cause du nombre de chorégraphes, mais bien dû à l’esthétique postmoderne. Ironiquement, c’est aussi celle-ci qui permet au spectacle de faire preuve de cohésion. Le courant postmoderne a donné de la fraicheur à la danse. (« Ça respire, » j’ai écrit dans mes notes.) Il y a quelque chose de libérateur lorsque les gens cessent de se soucier du beau, du sexy. Ça fait du bien être laid ou ridicule de temps en temps. On retrouve dans (M)IMOSA le mouvement au quotidien, comme si les interprètes ne faisaient que danser dans leur chambre à coucher en chantant leur chanson du moment, sans trop se forcer, et que nous avions la chance de les espionner. D’un autre côté, il y a la performance « all eyes on me » des voguers et drag queens et kings. On peut d’abord se rappeler Spoken Word/Body de Martin Bélanger, et ensuite Pow Wow de Dany Desjardins, mais (M)IMOSA réussit mieux la transition au théâtre. Peut-être que la relation avec le public en est la raison. Les lumières continuent d’éclairer les spectateurs durant la pièce, comme pour nous faire sentir qu’on fait partie intégrale du spectacle. On fait fi de la religiosité conventionnelle de la performance théâtrale, et c’est ce qui finit par théâtraliser le tout. Les interprètes se promènent parmi le public et cherchent leurs accessoires dans les rangées sans se soucier du bruit qu’ils font. Il y a aussi quelque chose de rafraichissant à voir des interprètes de talent refuser la virtuosité, en faire moins qu’ils en sont clairement capables. Le talent se laisse alors deviner ici et là, et il n’en ait que plus réjouissant. En tout cas, leur confusion initiale passée, les adolescentes ont eu l’air de vraiment tripper. (M)IMOSA 25-26 mai à 21h Cinquième Salle www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 1.866.984.3822 Billets à partir de 35$ Vous pouvez toujours vous arrêter, ça n’arrête rien. C’est la vie qui bouge et vous ne faites que bouger avec elle. À votre plus immobile, il demeure toujours un petit balancement, un petit tremblement, un petit battement. Avec Sideways Rain, le chorégraphe de Genève Guilherme Botelho s’impose une contrainte claire : les quatorze danseurs se déplacent (presque) toujours sur scène de gauche à droite. Leurs corps deviennent des mots qui déferlent sous nos yeux tel sur un écran électronique, simultanément reconnaissables et insaisissables. Ce qui fait la richesse de Sideways Rain, c’est qu’à la longue, ça devient plus qu’un exercice artistique; ça vire dans le métaphorique. Il y a la linéarité apparente, mais aussi la boucle devinée. Pour revenir par la gauche, les danseurs doivent bien retourner sur leurs pas. Il est donc évidemment question de vie, ce thème qui n’échappe jamais à la danse. La danse, c’est le mouvement. Le mouvement, c’est la vie. Certaines phrases chorégraphiques des danseurs sont elles aussi des boucles qui permettent aux corps un mouvement ininterrompu, plus glissant que dansant. D’autres sont comme des respirations, oscillant entre l’inspiration et l’expiration. Lorsque la marche apparaît enfin sur scène, ce déplacement commun paraît aussi étrange que simple. Les danseurs qui ont l’air bien sont ceux qui marchent tranquillement en regardant droit devant eux. À force de répétition, le mouvement linéaire finit par créer des illusions d’optique. Lorsqu’un couple s’arrête soudainement en milieu de scène, leurs corps semblent glisser vers l’arrière au milieu de tous les autres qui continuent de rouler vers la droite autour d’eux. Être immobile, c’est reculer; la vie n’attend personne. Parfois, on aurait même juré que le plancher bougeait, tel un tapis roulant. Le mouvement va au-delà des corps qui bougent et infuse d’énergie les objets inertes qui l’entourent. Ce qu’il y a devant, dans l’espace et dans le temps, est autant une force motrice dans le corps des danseurs qu’une force magnétique au-delà d’eux. On pourrait en dire autant de leurs bras tendus vers l’avant; ils pourraient s’étendre vers quelque chose, même si ce n’est que le vide, mais ils pourraient aussi être l’extension d’un sentiment, d’un désir pour l’autre. Ils finissent même par laisser une trace visible, un fil d’araignée, une ligne de vie. La vie n’a peut-être pas arrêté pour eux, mais ils ont été ici. Au-delà de la durée du spectacle, Sideways Rain demeure aussi. À la sortie de la salle, j’en éprouvais même de la difficulté à marcher. Mon corps semblait se balancer d’un côté et de l’autre. C’est encore le cas alors que j’écris ces mots. C’est la marque d’un grand spectacle : il refuse de vous quitter. Sideways Rain 24-25 mai à 20h Théâtre Jean-Duceppe www.fta.qc.ca 514.844.3822 / 1.866.984.3822 Billets à partir de 35$ Commençons par le commencement : le vestiaire. Si c’est obligatoire, ce doit être gratuit. Si c’est payant, ce doit être volontaire. Je pense qu’Emily Post serait d’accord. Maintenant, passons aux vraies choses. L’artiste Frédérick Gravel a commandé des numéros à ses consœurs et frères bien-aimés pour son Cabaret Gravel Cabaret, dont le titre révèle la formule. Plus d’une quinzaine d’artistes qu’on ne mentionnera malheureusement pas tous, pour avoir la chance de dire quelque chose. Comme on peut l’imaginer, le spectacle se balance entre bon et moins bon, alors focusons sur les quelques morceaux de viande. La chorégraphe Catherine Gaudet ouvre le spectacle côté danse avec un numéro interprété par sa fidèle collaboratrice Caroline Gravel. Gaudet utilise les restrictions de la formule pour créer une courte pièce toute simple, mais riche en idées. Gravel exécute un mouvement et demande « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » De cette façon, Gaudet indique le site du sens en danse. Il s’agit peut-être d’un langage non verbal, mais indéniablement la danse fait quelque chose (elle fait rire, elle rend mal à l’aise, elle rend triste) et donc elle a un sens. C’est pour cette raison que lorsque Gravel termine sa série de mouvements en ajoutant « Ça te fait rien, hein? », elle peut le faire convaincue de l’ironie de cette dernière phrase. Les réactions vocales ou même silencieuses du public lui donnent raison. Le maître de cérémonie offre aussi l’une des pièces dont l’impact émotionnel est des plus accrus. Sur une musique de Pierre Lapointe, les interprètes Francis Ducharme et Jamie Wright se paient un slow dance. Tout bascule lorsque leurs corps se détachent. Ils essaient de se défaire de l’autre sans jamais complètement le vouloir, donc sans jamais le faire vraiment. À la limite de l’ensemble et du seul, ils demeurent connectés par le vide qui les sépare. Pour répondre à la question de Gaudet, ça fait mal. Ducharme se retrouve sur scène pour interpréter un court texte d’Étienne Lepage qui, un peu comme la pièce de Gaudet, a des tendances méta. Ducharme y joue le rôle d’un spectateur qui songe à voix haute sur les spectacles qui l’emmerdent malgré toutes ses bonnes intentions. Il n’en demande pourtant pas beaucoup, nous dit-il. Il demande juste une idée. Question d’exposer mes propres dispositions de critique, je profite de l’occasion pour dire que cette pensée est toute proche de la mienne. Toutefois, je demande que cette idée, quelle qu’elle soit, soit menée jusqu’au bout (d’elle-même). C’est pour cette raison que c’est des numéros de Gaudet et Gravel dont j’ai parlés. Sans vouloir gâcher des surprises, mentionnons tout de même quelques autres moments qui ont donné de la saveur à cette soirée : le baiser entre Ducharme et Normand Marcy; Ducharme enfermé dans une machine à toutous; le duo chanté homoamoureux, vulnérable, et assumé de Lapointe et Frédérick Gravel. C’est donc à voir ce que Gravel aura concocté dans un spectacle de son cru l’an prochain. Cabaret Gravel Cabaret 1-4 mai à 20h30 Lion d’Or www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 28$ / Réduit : 23$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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