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Avec Au sein des plus raides vertus, la chorégraphe Catherine Gaudet continue de résister à une représentation simpliste de l’humain, le pendule oscillant entre le divin et le monstrueux. À notre entrée en salle, les quatre interprètes (Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Annik Hamel) sont déjà sur scène, nous offrant la suggestion de leurs dos nus dans la pénombre. Une musique d’ambiance aux allures de trame sonore ralentie nous plonge dans un monde sous-marin. Les danseurs entament un chant choral.
Desjardins se pogne le paquet. La musique peut être aussi spirituelle que nous voulons, notre corps ne s’évapore pas pour autant. La beauté de leur chant contraste avec la déformation que les visages de Hamel et Ducharme subissent. L’extase crée la laideur. Ducharme s’assoit sur le sol, le bras tendu vers le haut, vers rien, vers la mort, comme s’il était le sujet d’une peinture classique implorant la clémence de Dieu. Les danseurs épousent souvent des poses dramatiques, comme s’ils étaient interrompus dans le mouvement. Les deux femmes se tapent à tour de rôle. La bassesse, la petitesse de l’humain commence à transparaître. Dans ces contrastes, Au sein n’est pas sans rappeler tauberbach d’Alain Platel, qui faisait aussi appel au chant choral. Toutefois, le portrait de l’humain que Gaudet propose nous paraît plus pessimiste. C’est que Platel illustre le côté sombre de l’humanité en situant ses personnages dans un dépotoir. La beauté de leur chant, provenant de l’intérieur, est contrastée avec la laideur de leur environnement. Dans Au sein, c’est l’inverse : la scène épurée consiste en un carré gris entouré de tubes de lumière blanche; c’est de l’intérieur que la noirceur émane. Cette petite scène carrée – nous nous remémorons celle vue une semaine plus tôt pour 4-OR de Manuel Roque – contribue à la dramatisation de l’espace. Les danseurs n’en sortent jamais, de sorte qu’ils demeurent constamment dans le centre de notre champ de vision, demandant toute notre attention. De chaque côté, quatre rideaux entrecoupent la scène, inutiles puisqu’il n’y a aucune entrée ou sortie de scène à dissimuler; ils ne servent qu’à signifier le théâtre. De plus, les spectateurs disparaissent dans le noir, l’éclairage ne tombant que sur les interprètes. Souvent, le regard de ces derniers se tourne vers le public. Chaque spectateur pourrait être convaincu que c’est lui qu’on regarde. « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » Cette question revient, d’abord alors que les danseurs manipulent le corps les uns des autres. Lorsqu’ils continuent de la répéter alors qu’ils ne se touchent même pas, nous nous rendons compte qu’elle s’adresse plutôt aux spectateurs. Nous pourrions parler de l’effet de la danse, mais la question pourrait aussi paraître comme une préoccupation morale; sauf que les interprètes ne semblent pas particulièrement intéressés par notre réponse. « On regarde avec les yeux du cœur, » rappelle Desjardins, comme si cette phrase n’était pas un non-sens, à ses bêtes rampantes qui accablent des spectateurs imaginaires d’insultes sur leur apparence. La relation n’est pas autant entre les interprètes qu’avec le public. Nous pourrions déduire que les quatre danseurs ne représentent en fait les tensions au sein d’un seul et même être. Au sein des plus raides vertus représente pour Gaudet une grande avancée vers la maîtrise de la mise en scène. Nous attendons l’entrée des boxeurs. Nous sommes assis des quatre côtés d’une scène carrée surélevée d’une dizaine de centimètres à peine, un pâturage vert pomme étroit. C’est un à un que les quatre interprètes de 4-OR, nouvelle création du chorégraphe Manuel Roque, foulent la scène : Lucie Vigneault, Indiana Escach, Mark Eden-Towle, Sophie Corriveau, chacun portant des vêtements de sport rivalisant de mauvais goût.
Leur danse se déploie dans une dizaine de positions répétées en canon, comme si la Levée des conflits de Boris Charmatz (FTA, 2013) se frottait au minimalisme de Nicolas Cantin. (Peter James, collaborateur de Cantin, signe d’ailleurs la dramaturgie de 4-OR.) La séquence initiale se reconstruit au gré des interprètes par la suite, conservant parfois le décalage du début, tombant par autres moments dans une synchronisation accidentelle ou voulue. Notre attention délaisse le spectacle pour un instant et, à notre retour quelques secondes plus tard, force est de constater que nous ne retrouvons pas ce que nous avons quitté. Confrontés à l’illusion que nous sommes toujours en train de regarder la même chose, nous sommes toujours en train de rater quelque chose. Les mouvements sont toujours les mêmes mais la chorégraphie n’est jamais pareille. Comme c’était le cas avec Charmatz, nous pensons à Wavelength, le film expérimental pseudo-minimaliste du cinéaste canadien Michael Snow. L’association est d’autant plus appropriée ici : comme trame sonore, Roque nous offre des enregistrements sur le terrain – souffles dans le micro inclus – dont un de vagues. Assistons-nous au spectacle le plus exigeant de Roque? Puis, de nulle part, la musique de la chanteuse d’origine cubaine Celia Cruz, tellement en décalé avec ce que nous regardons que certains spectateurs éclatent de rire. À peine deux semaines plus tôt, les chorégraphes Hanako Hoshimi-Caines et Maria Kefirova utilisaient la même technique pour The Paradise, proposition tout aussi minimaliste. Noir. Un nouvel éclairage offert par une seule ampoule suspendue au-dessus de la scène révèle de la fumée. Contraste avec l’univers précédent. Exit la danse, entre le théâtre. Corriveau, maintenant accoutrée d’un chandail angora rose, joue avec une vache et un dinosaure en plastique. Escach se dandine sous le tapis vert. Eden-Towle apparaît en caleçon et en veston. Portant un collant vert, torse nu, Vigneault applaudit au ralenti avec ses gigantesques gants de Mickey Mouse. De façon surprenante, Escach émerge de sous le tapis, arborant une robe qui reflète la lumière en pépites d’arcs-en-ciel. Dans une danse aguicheuse, son bassin décrit des cercles alors qu’il n’y a rien de séduisant à ce qui se passe autour d’elle. Nous sommes dans un monde d’apparence. La juxtaposition inexplicable d’éléments hétéroclites se manifeste telle une fracture psychique. Le moment qu’il nous séduit avec un brin de magie inattendu, Roque nous plonge dans le noir final. Le vilain. Je l’aime. 3-6 décembre www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Billets : 23$ / Étudiants : 19$ Le 13 octobre, j’étais invité à me joindre à la Tribune 840 du Département de danse de l’UQÀM pour tenter de répondre à la question « Comment passer du ‘regarder’ au ‘dire’ la danse? » Ce qui suit est le texte sur lequel ma présentation était basée.
Je n’ai aucune formation en danse. C’est donc à travers un corps de spectateur que je reçois la danse. L’auteur américain Henry David Thoreau a déclaré qu’il est inutile de s’asseoir pour écrire si on ne s’est pas levé pour vivre. C’est ce que j’avais en tête lorsque j’ai écrit qu’un critique de danse se devait 1) de méditer et 2) de consommer de la cocaïne. Évidemment, ce que je sous-entendais est que le plus d’expériences que le spectateur a vécus, le plus de portes d’entrée potentielles il a sur la danse. Permettez-moi aussi de citer Roland Barthes hors-contexte alors que dans S/Z, il écrit « pour nous qui cherchons à établir un pluriel, nous ne pouvons arrêter ce pluriel au porte de la lecture : il faut que la lecture soit elle aussi plurielle, c’est-à-dire sans ordre d’entrée […]. » La réception de la danse est un lieu de tension pour moi (et, j’imagine, pour tous ceux qui n’ont pas de formation en danse), un fil tendu entre l’évidence et l’ignorance. L’évidence émerge du fait que, comme la danseuse, je suis un corps et que le médium de la danse m’est donc d’une certaine façon familier. L’ignorance provient du fait que je suis inconscient des capacités de mon propre corps et que la danseuse se sert de ce médium d’une façon qui m’est donc souvent complètement étrangère. On reproche souvent aux critiques de danse de ne pas parler de danse et avec raison. Il est tellement plus facile de parler de tout ce qui l’entoure, dont le théâtre, par exemple. Si ça peut vous réconforter (ou vous inquiéter davantage), ce problème n’est pas limité au milieu de la danse. Ayant complété une maîtrise en études cinématographiques, je peux vous dire que c’est la même chose du côté du cinéma, entre autres parce que l’étude de ce médium a eu tendance à émerger des programmes de littérature plutôt que ceux d’arts visuels, par exemple. C’est ainsi que le réalisateur expérimental Michael Snow a remarqué que la plupart des auteurs qui ont écrit sur son film Wavelength (un zoom de 40 minutes dans un loft vide) ont tendance à se concentrer sur les sections où des acteurs sont présents dans le cadre, alors que ces sections ne composent qu’environ 10% du film. On peut donc voir que nos tendances androcentriques nous poussent à négliger le médium qui est supposé être le sujet même de nos préoccupations. Par contre, on pourrait se demander quel est la nature du problème du côté de la danse puisque conventionnellement l’humain en est lui-même le médium, donc notre androcentrisme devrait en théorie y être à notre avantage. Je pense que, ce qui complique notre tâche, c’est la nature même de la danse, c’est-à-dire si on considère que le mouvement devient dansé lorsqu’il est « détaché de son rôle utilitaire; il a une intention principalement esthétique » (Sondra Horton Fraleigh dans Dance and the Lived Body), ce qui me semble être une définition assez conventionnelle. La tyrannie du récit nous incite toutefois à ne trouver du sens que dans la causalité narrative, alors que l’aspect non-utilitaire de la danse fait qu’elle résiste à cette tyrannie. C’est à mon avis l’une de ses plus belles qualités. Ramsay Burt (dans The Male Dancer) a lui-même remarqué que l’une des raisons pour laquelle la danse n’a pas reçu autant d’attention que les autres disciplines est parce que la priorisation du verbal dans les sociétés occidentales logocentriques a mené à la marginalisation du corps. Nous vivons dans une culture du symbolique. Ceci est particulièrement visible dans la façon dont la littérature est souvent enseignée, soit en se concentrant sur la métaphore, et qui consiste essentiellement à dire qu’une œuvre a un sens parce qu’elle dit quelque chose d’autre (quelque chose de plus!) que ce qu’elle dit, ce qui représente une façon assez absurde de concevoir le sens. D’un autre côté, Fraleigh nous dit que « [le spectateur] voit ce que [la danseuse] fait et la pensée dans ce qu’elle fait, et non avant ou après. Si [la danseuse] bouge doucement, [le spectateur] perçoit la douceur; si elle bouge brusquement, c’est ce que [le spectateur] perçoit. » Le public a souvent tendance a qualifié la danse d’obscure; j’aurais tendance à dire que, si elle peut paraître obscure, c’est en fait parce qu’elle est d’une clarté aveuglante. La danse dit précisément ce qu’elle veut dire. Tout ça ne veut évidemment pas dire que l’on ne peut pas ou que l’on ne devrait pas parler de danse. Il y a incontestablement de la causalité en danse, mais elle se trouve ailleurs. Le critique littéraire Lewis Mumford (dans Art and Technics) affirme que « Dû à ses origines et à ses buts, le sens des arts diffère de celui des sciences; il ne se rapporte pas à des moyens et des conséquences externes, mais à des transformations internes. » Une pièce qui l’a intelligemment démontré pour moi est le solo de Caroline Gravel chorégraphié par Catherine Gaudet pour l’édition 2012 du Cabaret Gravel Cabaret au Lion d’Or. Gravel exécutait un mouvement en demandant « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » et comme le public riait ou restait bouche bée ou était mal à l’aise tout dépendant du geste, il devenait clair que la danse a un effet et donc qu’elle a un sens. La danse est la cause; c’est dans le corps du spectateur que la conséquence se fait sentir. Il y a certains chorégraphes qui nous forcent parfois à parler de mouvement en nous offrant de la danse pure et dure. Je pense à Anne Teresa De Keersmaeker, Trisha Brown, Brian Brooks, Merce Cunningham, et Édouard Lock, par exemple. Que faire lorsqu’on est confronté à ce défi? Évidemment, comme je l’ai mentionné en introduction, il n’y a pas d’ordre d’entrée; mais voici quelques portes d’entrée possibles :
Formée en danse à l’Université du Québec à Montréal, Karine Denault fonde sa compagnie, L’aune, en 2001. Cherchant à déstabiliser le corps dansant, elle développe une esthétique de la physicalité, et une singularité corporelle qui advient dans les gestes, les attitudes, les états de corps et les actions. Ses pièces, exemptes de théâtralité classique, intègrent diverses disciplines artistiques et questionnent les codes figés de la danse ainsi que ses modes de production de signes et de sens. Parallèlement à ses activités de création, elle a été codirectrice de la maison d’édition Le Quartanier et conseillère artistique pour le Festival TransAmériques. Pourquoi bouges-tu? Pour me sentir vivante. Cette réponse peut paraître un peu clichée, mais c’est la plus sincère. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? La littérature et les arts visuels m’accompagnent toujours. J’aime avoir la tête pleine de références, d’images, de liens de toutes sortes avant d’entrer en studio. Dans le quotidien, j’aime aussi observer les gens bouger, que ce soit les gens que je croise au restaurant ou dans la rue, pour essayer de comprendre des postures et des démarches qui me sont étrangères, ou encore les interprètes avec qui je travaille afin d’exacerber certaines attitudes corporelles. Pour L’échappée, le solo que je prépare en ce moment, il y a eu des recherches et des lectures préalables, mais pendant la création proprement dite je me suis laissée imprégnée de plein d’autres images et sensations. Je me suis par exemple beaucoup inspirée des musiques que j’ai choisies, des textures et des ambiances qu’elles évoquent, des images et des sensations qu’elles provoquent en moi. Pour mes précédentes pièces, j’invitais des musiciens à composer une musique originale et à la jouer live sur scène : danse et musique étaient créées en même temps. Cette fois-ci, j’ai plutôt choisi des musiques préenregistrées de groupes locaux et je les ai écoutées en boucle pendant la création. En fait, j’ai approché l’ensemble du projet de façon très sensorielle en m’inspirant de mon état du jour, de la force ou de la fatigue de mon corps, du sentiment de plénitude ressenti un soir en regardant les étoiles, de l’immensité d’un lac sur lequel j’ai fait du kayak pendant quatre heures, de la puissance émotive de ma voix... C’était important pour moi dans ce processus de laisser mon intuition guider mes choix, de cultiver qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre ni tout justifier. Que l’insaisissable – ce qui nous échappe – possède une force, une puissance que l’on ne peut pas expliquer rationnellement. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Un commentaire me suit depuis presque quinze ans. Une journaliste avait écrit à l’époque que j’avais une présence féline; d’autres l’ont repris par la suite, s’en servant pour m’introduire ou tout simplement pour faire image rapidement. C’est relativement stéréotypé comme commentaire mais il me plaît bien quand même. Encore aujourd’hui, je crois qu’il caractérise bien ma façon sinueuse de bouger parfois. De quoi es-tu le plus fière? Je suis fière d’être si bien entourée, de travailler depuis des années avec des artistes que j’admire et qui m’inspire. Leur confiance, leur implication, leur soutien sont hyper précieux. Sans eux, je ne serais pas où je suis et mes pièces ne seraient pas ce qu’elles sont. Quel a été ton premier amour en danse? Probablement ma professeure de ballet-jazz quand j’avais six ans. J’étais en admiration devant elle, je la trouvais si belle et si gentille. Je voulais lui ressembler, devenir danseuse moi aussi quand je serais grande. Elle m’a enseigné jusqu’à l’âge de dix ans environ. Elle nous faisait danser sur du Marvin Gaye, tout en déhanchés, en grands chassés et en catch step. Un vocabulaire pas toujours adapté à notre âge mais ouf… Des heures de plaisir que je prolongeais à la maison, seule ou avec mes amies à qui je montrais les mouvements que j’avais appris. Je ne crois pas qu’on soit très sérieux à cet âge quand on se projette dans l’avenir, mais à 13 ans j’avais encore en tête cette idée de devenir danseuse. J’imaginais aussi devenir joaillière : une joaillière qui danse. Quel est ton rapport à la critique? Mon rapport aux critiques publiées dans les journaux? Hum… Pas facile. Comme c’est le cas pour la plupart des artistes, je crois. Une critique négative peut me démolir, et en période de shows il n’est pas recommandé de s’effondrer. Sans blague, de façon générale je trouve qu’on accorde beaucoup trop d’importance à la critique. Elles nous donnent une visibilité, certes, mais le point de vue d’un journaliste n’est qu’une impression parmi plusieurs autres. Les commentaires de mes collègues, de mes amis, de gens que je ne connais pas qui osent m’aborder dans la rue pour me parler d’un de mes spectacles, sont beaucoup plus précieux. Quant aux commentaires critiques constructifs formulés lors d’une discussion, j’en ai besoin et je m’assure qu’ils fassent partie du processus de création. Ils peuvent m’aider à aller ailleurs, à chercher autrement, ou, au contraire, à réaffirmer une position ou un choix. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? Spontanément, ce sont des artistes en arts visuels qui me viennent en tête. Je suis totalement fascinée par le travail des artistes canadiens Shary Boyle (surtout ses figurines enchantées) et David Altmejd (sa pièce Le spectre et la main, avec les zèbres qui galopent, est totalement hallucinante!). Aucune idée comment une collaboration pourrait être possible ni quelle forme elle pourrait prendre, je me permets tout simplement de rêver. Plus près de moi, parce qu’elles vivent à Montréal et que je les connais, j’aimerais bien un jour collaborer avec les artistes Olivia Boudreau et Julie Favreau, qui travaillent toutes deux la vidéo. La façon dont elles abordent le corps et la présence me parle et m’intrigue. Je serais curieuse aussi de collaborer avec Yannick Desranleau et Chloë Lum (le duo Série Pop), qui ont commencé cette année une série de performances lentes et étranges avec leurs objets et installations. Avec mon amie Nadège Grebmeier Forget aussi, qui remet en question l’image de la femme dans ses performances. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Je continue parce que j’y crois encore. Je crois à l’importance de l’art dans l’absolu, et à l’importance de l’art dans ma propre vie. Il est essentiel aussi pour moi que les propositions artistiques que l’on met dans le monde ne soient pas uniquement des spectacles à grand déploiement et/ou du divertissement. Des expériences plus intimes, plus confrontantes aussi sont nécessaires. Un spectacle qui amuse mais qu’on oublie dans l’heure qui suit n’a pas une bien grande portée. Un spectacle qui dérange, qui fascine, qui fait réfléchir ou qu’on n’est pas certain d’avoir aimé, voire même qu’on a détesté, nous habitera plus longtemps. Je ne sais pas si les pièces que je crée fascinent ou dérangent, ni si elles font réfléchir, mais j’espère qu’elles ne laissent pas les gens indifférents. Quand je ne remets pas tout en question et ne me sens pas trop découragée par les obstacles (les subventions qui ne suivent pas toujours, les blessures qui adviennent ou refont surface, la compétition qui ronge notre milieu, etc.), je sais que je suis privilégiée de faire de la danse et de la création. L’échappée
21-23 octobre à 20h www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 22$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com
Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création?
Mes idées peuvent provenir autant de la culture populaire, du cinéma, des arts visuels, de la photographie que des multiples lectures que je fais. Pour ma pièce BLEACH, j’ai regardé des films (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Girl, Interrupted, etc.) et lu quelques livres sur la santé mentale. Ensuite, je crée un canevas de travail à partir des informations et d’idées afin de guider les improvisations en studio. Au final, le travail que font les interprètes me nourrit artistiquement et teinte la proposition finale tout en conservant la forte trace de mon énergie et de ma signature. Les interprètes sont en avant-plan durant le processus et, sans dire que ce sont des muses, il reste que leur façon de bouger est la plus importante source d’inspiration dans mon travail. Qu’est-ce qui caractérise ton travail?
Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Ce qui ressort, c’est le mot « assumé ». Je crois que ce commentaire est le plus important d’entre tous et c’est celui qui reste avec moi. Pour moi, c’est ce qui différencie le vrai du fake. Je peux recevoir des commentaires négatifs, mais si on mentionne le verbe « assumer », je crois que mon travail a été accompli et que je suis resté fidèle à moi-même. De quoi es-tu le plus fier? Je ne sais pas si on peut davantage parler de satisfaction que de fierté, mais je suis particulièrement heureux d’être entouré d’une gang d’interprètes talentueux avec qui j’ai travaillé à l’université et qui me suivent encore dans ma folie à travers mes multiples projets. Je suis transparent avec mes interprètes et je crois que cette sincérité apporte une certaine sécurité pour eux en ce qui a trait aux choix chorégraphiques que je prends. Je retire de la fierté de cette relation de complicité et de collaboration que j’ai su développer avec les gens qui travaillent avec moi. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? Je rêve d’une communauté de la danse sans hiérarchie, où l’on respecte et considère l’apport, l’histoire et la richesse de nos prédécesseurs, qui ont chacun à leur façon changé le visage de la danse et agit pour améliorer nos conditions de travail. D’un autre côté, il serait important que la nouvelle génération obtienne le même respect de la part de cette communauté en ce qui a trait à sa voix et sa pertinence dans le paysage chorégraphique québécois. Il serait faux de croire que l’aspect de compétition n’est pas présent lorsque vient le moment d’obtenir du financement dans un monde aussi contingenté que la danse contemporaine mais, entretemps, est-il possible de cohabiter avec une réelle convivialité? Quel est ton rapport à la critique? J’ai un côté très réactif à ce que je reçois comme critique et ma première impulsion est de toujours faire le contraire de ce qui a été dit afin de faire acte de rébellion. Par exemple, si on me dit que ma pièce est trash (je déteste ce mot, beaucoup trop galvaudé), je me dis que je vais faire encore plus trash. En plus, quand on débute dans le métier, les critiques ont tendance à comparer notre travail avec des chorégraphes aguerris même si on peut être à mille lieux l’un de l’autre dans nos préoccupations. Quand je reçois ce type de commentaires, j’ai juste le goût de faire un pied de nez à la critique en copiant sur scène tout ce qui pourrait être reproduit. Bref, j’ai ma première frustration et je vis ma première impulsion, mais ensuite j’agis passivement et je me dis que je n’en ai rien à foutre, que c’est seulement l’opinion d’une seule personne et que celle-ci ne détient pas la vérité. En conclusion, je continue à créer comme j’ai toujours fait, en me souciant de ma propre satisfaction avant de penser au regard extérieur. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? Dans mon projet le plus fou, j’aimerais collaborer avec le photographe David LaChapelle, que ce soit pour réaliser une chorégraphie pour un vidéoclip, un spot commercial ou un film. Plus près de chez nous, j’aimerais collaborer avec une chorégraphe qui m’anime mais qui est diamétralement opposée à mon type de gestuelle. Je suis interpellé par les défis et je crois qu’une collaboration avec Catherine Gaudet me permettrait de sortir de ma zone de confort tout en élargissant ma vision artistique. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? C’est ma curiosité, ma soif d’aller au bout des choses, de me questionner sur ce qui m’entoure et de vouloir transmettre quelque chose; non pas un message, mais laisser une trace. C’est la volonté de vouloir me retrouver à travers ce que je mets en scène, performe, et chorégraphie. C’est de penser que l’art n’a pas de limites, de barrières, de tabous, et que tout se doit d’être abordé, même ce qui trouble notre confort. Je crois que de faire ma propre thérapie à travers l’art peut engendrer en partie une catharsis collective et c’est pourquoi je continue de faire ce que je fais. L’humain a un besoin viscéral de se libérer de certaines pulsions et quoi de mieux que de canaliser ces instincts à travers la création? BLEACH (Danses Buissonnières) 1-3 octobre à 19h30 & 4 octobre à 16h www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Billets : 23$ / Étudiants : 19$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com Nicolas Cantin crée des environnements chorégraphiques dans lesquels il sonde les multiples possibilités dramatiques du mouvement. Son univers penche entre intimité et sauvagerie. À ses débuts, il crée trois spectacles : Grand singe, Belle manière, et Mygale, qui forment une trilogie sous le titre Trois romances. Il bricole ensuite « deux pièces anglaises », CHEESE et Klumzy, qui traitent de la mémoire. Il flirte avec le cirque en cosignant pour les 7 doigts de la main la mise en scène de Patinoire, un solo pour Patrick Léonard, et se commet à intervalles réguliers dans différents projets collectifs qui ont tous en commun de naviguer aux frontières des genres.
Pourquoi bouges-tu? Je ne bouge pas à priori. Je suis assis sur une chaise dans un studio de répétition à regarder des personnes bouger à ma place. La question que tu devrais me poser est donc : pourquoi ne bouges-tu pas? La réponse que je peux te donner est qu’il est plus facile pour moi de regarder l’autre bouger. J’ai besoin de mettre mon corps à distance à travers le corps de l’autre pour pouvoir travailler. D’une certaine façon, je cherche ce qui caractérise ma relation à mon propre corps à travers le corps de l'autre. Mon travail est de regarder l’autre dans sa relation à ce qui le constitue intimement. Je travaille à creuser dans l’autre la question de l’intime pour toucher et questionner ma propre intimité. Cette relation qui agit comme un effet de balancier entre le bougeur et le spectateur est la pierre angulaire de mon travail. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? Chaque projet est différent. Je cherche obstinément la grande inspiration, comme tout bon noyé. Je travaille à chercher l’endroit où ÇA veut respirer. Je me souviens d’une promenade au bord de l'océan avec ma mère il y a quelques années. Je la regardais marcher sur la plage et, l’espace d’un instant, je me suis demandé avec émotion qui était cette femme. Ce qui me fascine, c’est le mystère que nous sommes à nous-même et pour les autres. Ce sont les mots d’Antonioni : Nous savons que sous l’image révélée, il en existe une autre plus fidèle à la réalité et sous cette autre encore et ainsi de suite, jusqu’à l’image de la réalité absolue, mystérieuse que personne ne verra jamais. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? Je ne sais pas. J’espère retrouver dans mon travail quelque chose de l’ordre de l’enfance qui a trait à mon obsession de l’intime. Il y a dans l’intime quelque chose qui me bouleverse, peut-être parce cela renvoie au début de la vie, à quelque chose d’insondable et mystérieux. Il y a une phrase magnifique que j’aime bien et qui dit tout : L’intimité est mondiale. Ce matin, justement, j’ai vu deux personnes faire l’amour dans une voiture. C’était beau comme une promesse faite à la vie, d’exister coûte que coûte. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel t’a le plus marqué? Je me souviens d’un long et bel email d’une personne, après un spectacle qui avait été mal reçu. Cet email m’avait fait l'effet d’un chat qui s’installe sur ton thorax lorsque tu as le cœur ouvert en deux. De quoi es-tu le plus fier? Il y a pas de quoi être fier, comme dirait l’autre. Je fais ce que je peux. La plupart du temps, c’est la honte qui domine, parce qu’un spectacle, c’est comme un château de sable, ni plus ni moins. C’est rarement satisfaisant. Il n’y a pas de réelle fierté ou peut-être par moment la fierté, grâce à l’art, de sentir dans mon corps quelque chose de l’enfance retrouvée. La victoire de Samothrace au Louvre, par exemple, est une œuvre magnifique. Ce n’est plus du marbre, même si, oui, c’est du marbre. Ma fierté, peut-être, par instant, viens de là, de trouver une forme de complicité joyeuse (si ce n’est amoureuse) avec une statue qui date du début de la civilisation. Que serais-tu content de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? Ne jamais dire plus jamais. J’aimerais au contraire voir un spectacle de danse qui me ferait l’effet d’un camion renversé. Voir un spectacle devrait être ÇA, assister à un accident. Quelque chose au plus près de la vie renversée. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? On devrait, avec la plus grande douceur, tout brûler et tout recommencer. Nous vivons tous dans la peur. Nous devrions apprendre à avoir moins peur. Brûlons les théâtres et dansons dans leurs ruines. Quel est ton rapport à la critique? Je ne sais pas. Comme tout le monde j’imagine. Être dans le journal, la première fois, est un sentiment particulier. Tu lis l’article et le relis jusqu’à l’abstraction, jusqu’à ce que les mots ne veulent plus rien dire. C’est comme de lire une lettre d’amour ou de rupture : pur affect. La critique, c’est ÇA, en gros, une affaire d’affect et d’intellect. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? J’aimerais collaborer avec des amateurs, peut-être du côté de la chanson folk, de l'art visuel ou du cinéma. Des personnes qui fabriquent des choses dans leur garage, comme mon grand-père qui jouait de l’accordéon et composait en secret dans son grenier. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Ce qui me pousse à continuer à faire de l’art est simple, c’est la nature du dialogue qui me lie au travail. Avec le temps, ma relation au travail évolue. Récemment, je suis allé dans un musée et je me surprenais à être plus intéressé par les visiteurs que par les œuvres et c’était un sentiment merveilleux. La vie m’intéresse de plus en plus. Bien sûr, il n’y a pas d'opposition à faire entre l’art et la vie, mais peut-être qu’il y a quelques années j’avais une tendance à considérer l’art comme un abri atomique et la vie comme une menace nucléaire, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. CHEESE (Pluton) 16-18 septembre à 19h & 19 septembre à 15h Agora de la danse www.agoradanse.com / www.danse-cite.org 514.525.1500 / 514.844.2172 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com Andréane Leclerc obtient son diplôme de l’École nationale de cirque en 2001. Concevant la contorsion comme une technique corporelle malléable capable de générer un monde de sensations et d’imageries mentales au-delà du spectaculaire, elle crée aujourd’hui des pièces expérimentales circassiennes ainsi que des performances conceptuelles (Di(x)parue, Cherepaka, Insuccube, Mange-moi, Corps sculptural). Elle continue son travail d’interprète auprès de chorégraphes et metteurs en scène tels que Dave St-Pierre, Angela Konrad et Peter James. En 2013, elle termine une maîtrise sur la dramaturgie de la prouesse au département de théâtre de l’Université du Québec à Montréal. La même année, elle met sur pied la compagnie Nadère arts vivants, dont elle assure la direction artistique. Question Chanti Wadge : Pourquoi bouges-tu? Parce que c’est la vie, parce que « pourquoi pas? » C’est une pulsion de vie. Parce que tout le monde bouge, puis c’est une valse avec l’atmosphère et l’univers. On fait partie de l’univers. Il n’y a rien qui ne bouge pas dans l’univers. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? C’est tout, sauf ce que je suis en train de faire. Le vide. L’espace, l’entre-deux, la relation. C’est l’observation, donc tout ce qui se passe autour, ce que tu rencontres, ce qui te fait bouger. C’est la relation et comment tu te positionnes face à tout ce qui t’entoure et comment tu interagis avec ça ou comment les choses interagissent entre elles. Il n’y a pas une chose en particulier, c’est tout, ça peut être une roche à terre. Si elle te parle, tant mieux. Sinon, ça peut être quelqu’un, une conversation que tu as eue, ton rêve, une lecture, la façon dont tu vois ton foulard en te levant… Ça peut être tout ce qui t’entoure. Parce que, de toute façon, une création n’a pas un début et une fin. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? C’est sûr que je viens du cirque, je travaille avec des gens de cirque beaucoup, mais je déteste particulièrement le spectaculaire et l’égo, donc j’essaie d’aller au-delà de ça. Aller au-delà de ça, ce n’est pas tant essayer de l’abolir… J’essaie de déconstruire la prouesse, le spectaculaire, l’égo, mais je suis plus dans une écriture scénique pour essayer de laisser parler une relation à l’espace et aux objets entre eux. Après ça, je pense que l’interprétation vient de l’intérieur, le feeling de l’interprète, ce qu’il peut vivre ou a envie de vivre à ce moment-là. Je pense qu’il va toujours y avoir une certaine logique là-dedans qui en ressort. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Pour La Putain de Babylone, j’ai eu des commentaires comme quoi que c’était vraiment dégradant pour la femme de voir encore des femmes nues, jolies. C’est drôle, je pense que j’ai tellement une démarche féministe et j’ai tellement été proche du Studio 303. Il y a Nathalie Claude avec qui j’ai travaillé… La scène féministe m’appelle vraiment beaucoup. C’est là que j’ai fait mes premiers pas de création. Pour moi, la femme, c’est une femme forte. Ce n’est pas tant son enveloppe, mais plus comment une femme habite son corps. Après ça, que les interprètes aient des beaux corps, je me dis, « Tant mieux, câlisse! Sommes-nous toujours obligés d’avoir des corps pas beaux? » Non, au contraire, un corps beau, c’est le fun aussi de pouvoir le manipuler, de le sortir de ses zones et de ne pas juste l’utiliser. Comme je travaille beaucoup l’écriture scénique, les corps deviennent à quelque part des objets, mais l’objet de la représentation, un objet au soutien d’une œuvre, au sein d’un propos. D’être capable de le manipuler, d’utiliser ton corps pour pouvoir soutenir quelque chose qui est au-delà de toi… Il y a quelque chose qui doit juste te transpercer de l’imagerie mentale que tu supportes pour pouvoir le donner au spectateur. Le spectateur prend ça et il se recrée quelque chose. Ton corps est un véhicule. Donc, si je vois le corps comme véhicule, c’est sûr qu’à quelque part, c’est un corps objet, mais ce n’est pas un corps objet soumis ou dégradé. Je ne le place pas dans une zone comme ça. En fait, s’il-vous-plaît, dites-moi le si je suis là-dedans, mais je ne pense pas. Au contraire, je pense que j’essaie d’être empowered. Dans Mange-moi, on parle d’empowerment à travers la sexualisation des corps en scène. J’ai été dans le burlesque, dans la performance, j’ai essayé de mettre le corps de contorsion à nu, justement pour sortir la contorsion de moi, pour me réapproprier mon corps, pour sortir de cet objet sexuel que le spectateur a le goût de voir, de renverser la relation avec le spectateur, puis d’être en pleine possession de ce que moi j’ai envie de dire et que j’essaie d’offrir au public. Je fais, « Oui, je suis nue, et qu’est-ce que je peux suggérer là-dedans? Toi, tu t’attends à quoi? » Souvent, la première fois, les gens trouvent la monstruosité hallucinante, de voir les os et les côtes sortir… Dans le fond, j’espère juste que je donne le bon message dans ce que je fais. Ça a été un commentaire qui m’a bien marqué. J’ai trouvé que ça a été un jugement un peu trop facile, un peu trop vite, avant d’aller voir plus loin. En même temps, les gens peuvent bien penser ce qu’ils veulent… Ça va juste m’aider à être un peu plus convaincue de comment j’aborde les corps. Après ça, on a le corps qu’on a… Ça a été un de mes plus grands complexes d’avoir des seins, en cirque, depuis que je suis petite. Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse? S’il y a une chose que j’ai bien comprise, c’est que dans une contorsion hyper traditionnelle, c’était dans la façon que tu donnes tout en cirque, que tu n’as aucune conscience de ce que tu es en train de mettre en scène. Tu fais juste suivre un peu la tradition et tout donner ce que tu es capable de faire. Non… Gardes-en un peu pour toi et donnes-en un peu moins et essaie d’emmener le spectateur ailleurs que ce que lui pense ou ce que lui a hâte de voir justement, contourne ça… « C’est à ça que tu t’attendais? Bien, moi, je t’emmène ailleurs. » De quoi es-tu le plus fière? C’est quelque chose que j’essaie de garder enfoui en moi. Je suis fière, je suis bien avec ce que je fais, mais j’aime et je déteste toutes mes pièces. C’est une relation amour-haine. De quoi suis-je le plus fière? Je pense d’avoir réussi ma maîtrise, d’avoir passé à travers. Que serais-tu contente de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? De la censure. J’espère juste que les gens ne se censurent pas et qu’ils vont juste aller au bout de ce qu’ils ont le besoin et le goût de faire. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? De plus de soutien et de reconnaissance, d’un public plus large. Je trouve ça plate que des fois ça reste trop entre nous. Ou les gens ont une idée que la danse, c’est juste pour les initiés, tandis que c’est tellement pas ça, surtout au Québec. Quel est ton rapport à la critique? En cirque, au Québec, j’aimerais ça que les critiques aient plus de chien, qu’ils disent ce qu’ils pensent vraiment, qu’ils aient plus de sens critique justement, qu’ils aillent voir un peu au-delà de ce qui est toujours présenté. En cirque, je trouve la critique trop gentille. Le cirque est tellement spectaculaire, tellement « grand public »… Le cirque est assez large à Montréal. C’est correct, sauf qu’ils restent beaucoup dans une zone très sécure, qu’ils ont peur de s’aventurer et je trouve que la critique reste aussi beaucoup là-dedans. Je pense qu’on a peur d’aller plus en profondeur, autant au niveau des spectacles que des critiques. C’est dommage parce que je trouve que la critique est là pour faire réfléchir, pour amener un autre point de vue. Je suis écœurée aussi des critiques qui font juste relater ce que les artistes disent dans leur dossier de presse. Ce n’est pas tout le monde, on s’entend, mais j’aime les critiques aussi qui n’ont pas peur, qui ont vraiment une voix et un goût personnels, qu’on ait une certaine relation… Il y en a beaucoup qu’ils l’ont, mais pas tous. Encore une fois, j’aimerais mieux qu’il y en ait des plus fortes par rapport au cirque et qu’ils amènent une réflexion, d’autres points de vue. C’est ça un peu leur rôle aussi, non? Ce n’est pas encore de dire, « c’est bon/ce n’est pas bon » et de juger. Une critique, ça va plus loin; ça va mettre en lumière, ça va questionner des choses, ça vient relater. C’est quand même un œil pour le spectateur, mais c’est vraiment une source de réflexion aussi et de débat, puis je pense qu’encore une fois, au Québec, on a peur de débattre des idées. Le rôle du critique est extrêmement important. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Parce que j’y crois. La Putain de Babylone
8-12 septembre à 20h Mange-moi 15-17 septembre à 20h Théâtre La Chapelle www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 29$ / 30 ans et moins : 25$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com
Je trouve dommage que ce débat ne se développe pas davantage pour nous rejoindre anglophones et francophones dans une vaste réflexion sur la question de la critique en danse au Canada.
SYLVAIN VERSTRICHT Ce qui cause la réticence de certains à exprimer leur point de vue sur la critique dépend sûrement de la position de chacun, mais – oui – ce doit être très délicat pour plusieurs. Par exemple, tous tes malaises critiques (si je ne m’abuse) concernent des critiques plutôt négatives. Tu spécifies que ton malaise n’a rien à voir avec le fait que la critique est négative (chose que tu défends bien), mais tout de même… Pourquoi est-ce que tous tes exemples concernent des critiques négatives (ce qui me semble d’ailleurs le cas presque chaque fois que quelqu’un se prononce contre la critique)? C’est d’autant plus intéressant que les critiques négatives en danse se font plutôt rares (beaucoup plus qu’en cinéma ou en musique, par exemple). À mon avis, les danseurs et chorégraphes sont particulièrement choyés à ce point de vue. Pourtant, il y a plein de critiques positives auxquelles on pourrait sûrement reprocher les mêmes choses. Pourquoi ne pas exprimer ton malaise critique face à celles-là? Parce que c’est délicat? Les artistes semblent beaucoup plus conciliants face à la critique positive. Ils font même régulièrement la promotion de critiques positives autrement embarrassantes sur les médias sociaux. Pourquoi le silence face à la critique positive médiocre alors qu’elle est encore plus prépondérante? KATYA MONTAIGNAC Je n'ai absolument rien contre les critiques négatives du moment qu’elles sont argumentées. La critique n'engage que son auteur qui assume une lecture personnelle et non une vérité absolue. Elle pose des questions sur l'œuvre, la démarche du chorégraphe, la pratique même de la danse. Mes malaises critiques s'attaquent en effet plus facilement aux mauvaises critiques (souvent négatives) car celles-ci soulignent, au-delà d’une certaine incompétence, une forme de mépris. Il m'est plus délicat de critiquer des critiques médiocres qui encensent certaines œuvres car : 1) je me trouverais moi-même très méprisante envers quelqu'un qui, en l'occurrence, semble avoir adoré la pièce (et il en a bien le droit même s'il n'y connait pas grand chose ou que son regard frise la naïveté). 2) le chorégraphe (ou son travail) n'est jamais affecté par une bonne critique médiocre. Ni la danse en général. Les critiques auxquelles je m'attaque en revanche me semblent faire de l'ombre à la pratique même de la danse, pas juste à un chorégraphe. Cela ne me dérange absolument pas que l'on critique négativement un chorégraphe dans un journal – s’il fait de l'art, j'estime que cela fait partie du « jeu ». Et s'il ne sait pas prendre la critique, tant pis pour lui. Je souligne les critiques qui pour moi légitiment – ou consacrent – de manière implicite UN point de vue sur la danse, souvent archaïque, sans jamais le nommer. Je n'ai pas de problème à ce qu'un critique ait des goûts conservateurs, mais qu'il l’énonce clairement. Après, ça va me faire plaisir de le lire, de « comprendre » SA lecture. Qu'il cesse d'écrire comme s'il était une référence absolue en matière de goût pour « la » Danse (surtout quand il n'y connait pas grand chose). J'ai un problème foncièrement politique face à ces (pseudo-)critiques qui entérinent inconsciemment un certain monolithisme de l'art. SYLVAIN VERSTRICHT Que veux-tu dire lorsque tu affirmes que « le chorégraphe (ou son travail) n’est jamais affecté par une bonne critique médiocre. Ni la danse en général »? Qu’en est-il du lecteur? Pour moi, il s’agit là d’un des problèmes de la critique traditionnelle. Souvent, je ne suis même pas sûr si je suis moi-même ultimement intéressé par le fait qu’un spectacle m’ait personnellement plu ou non. Je peux penser pendant des mois à un spectacle que j’ai détesté et oublier un spectacle que j’ai aimé en moins d’une semaine. Qu’est-ce que ça change pour moi en tant que lecteur ou spectateur qu’un critique ait aimé un spectacle ou non? Si oui, tant mieux pour lui; si non, tant pis! Ça n’affecte en aucune façon ma propre expérience. Toutefois, si la critique parle de ce qu’elle a vu dans le spectacle, ceci peut enrichir ma propre expérience durant le spectacle ou même rétroactivement (ou même juste à la lecture du texte), et ce même si je ne suis pas en accord avec la lecture. Par exemple, si je revois le film The Hot Spot de Dennis Hopper avec le texte féministe de This Recording en tête, je peux voir ce que l’auteur a vu. Toutefois, même si je suis en désaccord avec la lecture, le point de vue de l’auteur enrichit tout de même mon expérience parce que je me devrai de remarquer des détails que l’auteur a négligés ou mal interprétés (selon moi). [On dit souvent que] le milieu a besoin de plus de support. Il me semble que la critique juste est le signe d’une discipline en santé; la critique racoleuse, celle d’une discipline dans un état précaire. KATYA MONTAIGNAC La bonne critique médiocre n'affecte jamais un chorégraphe parce qu'il peut anyway l'utiliser pour faire valoir son travail tant dans ses demandes de sub que dans la com et la promotion de ses shows. De plus, elle peut attirer le chaland néophyte (au risque de le décevoir)… Tu soulignes une résistance particulièrement québécoise face à la critique négative. On réclame une critique éclairée mais est-on capable de recevoir la moindre critique? Si jamais la critique s'avère négative, alors on dira qu'elle n'a rien compris car elle n'est pas spécialiste. Facile! J'ai tendance à questionner ce besoin viscéral de renforcement positif, comme si l'artiste avait avant tout besoin d'être caressé dans le sens du poil pour s'épanouir. D'où cette drôle de tension critique/artiste au Québec où on dirait que le critique s'en voudrait de causer la « perte » d'un artiste. Le milieu étant si petit... Les conditions étant si précaires... Tout le monde se sent « responsable » : il en va quasiment de la culture québécoise. Une légende urbaine prétend ainsi que les artistes devraient absolument « être visibles » aux yeux des Conseils des arts et produire à tout prix pour aspirer au financement. D'une part, siégeant régulièrement sur des comités, je n'ai jamais vu un jury refuser le dossier d'un artiste sous prétexte qu'on n'avait pas entendu parler [de lui] depuis 2 ans ou plus. (Bien au contraire!) D'autre part, les « méchants » conseils des arts, ce sont avant tout les comités de pairs, donc les artistes eux-mêmes (ce qui, à mes yeux d’Européenne, est à la fois une chance et une énorme responsabilité confiée aux artistes). Enfin, combien de fois après avoir critiqué une pièce, on me sort l'argument suivant (et parfois dans la bouche même du critique!) : « il n'a pas eu les moyens pour faire sa pièce » (ou il n'a pas eu sa sub, ou il a créé sa « pièce » en 3 semaines)… Cette malheureuse habitude précarise énormément le milieu chorégraphique. Le danger avec les généralistes (ou non spécialistes), c’est quand ils rejettent l’œuvre car ils ne « comprennent » pas (et ré-ouvrent assez gauchement le vieux débat du financement public de l'art). Quant aux spécialistes, ils ont tellement conscience de la précarité du milieu qu'ils se sentent parfois obligés de justifier les faiblesses d'un travail, voire de les excuser. (Ce que tu nommes une « critique racoleuse » peut aussi s'avérer une critique flagorneuse...) Que faire pour sortir de ce cercle vicieux calqué sur la logique de vente (tant pour la création artistique que pour la critique)? (On essaie d'attirer le public au théâtre exactement comme on tente d'attirer les lecteurs d’un journal à lire un texte.) SYLVAIN VERSTRICHT Plusieurs ne considèreraient pas ce que je fais comme de la critique. C’est justement ce que Kathleen Smith écrit sur moi dans The Dance Current : « Bloggers such as Catherine Viau and Sylvain Verstricht provide observations on both shows and on issues in the dance world, but without necessarily or always getting into actual reviewing. » J’ai l’impression que plusieurs termineraient la lecture de mes textes en demandant, « Oui, mais est-ce que ça vaut la peine d’être vu? » Pour moi, c’est une question sans réponse. Ça dépend des champs d’intérêt de chacun. KATYA MONTAIGNAC Qu'est-ce que le spectateur de danse préfère lire aujourd’hui? Je crois que c'est plutôt une lecture – parfois différente de la sienne – car celle-ci enrichit son regard et son souvenir. Il serait intéressant de définir ce que serait une « vraie » critique? Est-ce qu'un journaliste généraliste qui ne contextualise pas le travail d'un chorégraphe peut être considérée comme un critique? Est-ce qu'un bloggeur qui offre une lecture érudite d'un spectacle n'est pas critique parce qu'il ne donne pas son avis? Attendons-nous encore de la critique un avis? Le problème concerne davantage le ton ou la posture que prend le critique. On a le droit d'écrire ce que l'on veut, on a le droit d'avoir des goûts particuliers, orientés, inavoués, on a le droit d'éprouver ce que l'on veut face à la danse. Mais se placer comme si, dans notre posture de « critique », on devenait un regard absolu, ça me gêne beaucoup. C'est une posture critique d'un autre temps. Celui où le critique décrétait ce qui avait une valeur artistique ou non. En vertu de modèles ou du « bon goût ». Nous sommes désormais dans une ère radicalement différente : que cela nous plaise ou non, tout peut faire ART aujourd'hui (pour le meilleur comme pour le pire). La posture du critique tend dorénavant – il me semble – à offrir une lecture singulière de l'œuvre (et pas forcément un « verdict »). Depuis 1998, Katya Montaignac collabore en tant que critique de danse à plusieurs publications et en particulier à la revue JEU depuis 2004. Elle enseigne et donne des conférences sur l’esthétique de la danse (RQD, UQAM, Réseau Scène...). Membre de La 2e Porte à Gauche depuis 2006, elle signe régulièrement la direction artistique de ses productions. Depuis 2007, Katya crée des Objets Dansants Non identifiés (Danses invisibles en 2007, Corps anonymes en 2009). Depuis 2008, elle fait partie du comité artistique du festival OFFTA en tant que commissaire en danse. Elle achève présentement une recherche de doctorat en Études et pratiques des arts à l’UQAM et collabore en tant que dramaturge auprès de plusieurs chorégraphes (dont Marie Béland, Milan Gervais et Frédérick Gravel). Le 14 avril, la contorsionniste Andréane Leclerc présente Mange-moi, l'une des pièces phares de 2014, au Festival Vue sur la relève. Voici une entrevue téléphonique réalisée avec l'artiste.
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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