Local Gestures
because the personal is cultural
0 Comments
Avec Au sein des plus raides vertus, la chorégraphe Catherine Gaudet continue de résister à une représentation simpliste de l’humain, le pendule oscillant entre le divin et le monstrueux. À notre entrée en salle, les quatre interprètes (Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Annik Hamel) sont déjà sur scène, nous offrant la suggestion de leurs dos nus dans la pénombre. Une musique d’ambiance aux allures de trame sonore ralentie nous plonge dans un monde sous-marin. Les danseurs entament un chant choral.
Desjardins se pogne le paquet. La musique peut être aussi spirituelle que nous voulons, notre corps ne s’évapore pas pour autant. La beauté de leur chant contraste avec la déformation que les visages de Hamel et Ducharme subissent. L’extase crée la laideur. Ducharme s’assoit sur le sol, le bras tendu vers le haut, vers rien, vers la mort, comme s’il était le sujet d’une peinture classique implorant la clémence de Dieu. Les danseurs épousent souvent des poses dramatiques, comme s’ils étaient interrompus dans le mouvement. Les deux femmes se tapent à tour de rôle. La bassesse, la petitesse de l’humain commence à transparaître. Dans ces contrastes, Au sein n’est pas sans rappeler tauberbach d’Alain Platel, qui faisait aussi appel au chant choral. Toutefois, le portrait de l’humain que Gaudet propose nous paraît plus pessimiste. C’est que Platel illustre le côté sombre de l’humanité en situant ses personnages dans un dépotoir. La beauté de leur chant, provenant de l’intérieur, est contrastée avec la laideur de leur environnement. Dans Au sein, c’est l’inverse : la scène épurée consiste en un carré gris entouré de tubes de lumière blanche; c’est de l’intérieur que la noirceur émane. Cette petite scène carrée – nous nous remémorons celle vue une semaine plus tôt pour 4-OR de Manuel Roque – contribue à la dramatisation de l’espace. Les danseurs n’en sortent jamais, de sorte qu’ils demeurent constamment dans le centre de notre champ de vision, demandant toute notre attention. De chaque côté, quatre rideaux entrecoupent la scène, inutiles puisqu’il n’y a aucune entrée ou sortie de scène à dissimuler; ils ne servent qu’à signifier le théâtre. De plus, les spectateurs disparaissent dans le noir, l’éclairage ne tombant que sur les interprètes. Souvent, le regard de ces derniers se tourne vers le public. Chaque spectateur pourrait être convaincu que c’est lui qu’on regarde. « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » Cette question revient, d’abord alors que les danseurs manipulent le corps les uns des autres. Lorsqu’ils continuent de la répéter alors qu’ils ne se touchent même pas, nous nous rendons compte qu’elle s’adresse plutôt aux spectateurs. Nous pourrions parler de l’effet de la danse, mais la question pourrait aussi paraître comme une préoccupation morale; sauf que les interprètes ne semblent pas particulièrement intéressés par notre réponse. « On regarde avec les yeux du cœur, » rappelle Desjardins, comme si cette phrase n’était pas un non-sens, à ses bêtes rampantes qui accablent des spectateurs imaginaires d’insultes sur leur apparence. La relation n’est pas autant entre les interprètes qu’avec le public. Nous pourrions déduire que les quatre danseurs ne représentent en fait les tensions au sein d’un seul et même être. Au sein des plus raides vertus représente pour Gaudet une grande avancée vers la maîtrise de la mise en scène. Nous attendons l’entrée des boxeurs. Nous sommes assis des quatre côtés d’une scène carrée surélevée d’une dizaine de centimètres à peine, un pâturage vert pomme étroit. C’est un à un que les quatre interprètes de 4-OR, nouvelle création du chorégraphe Manuel Roque, foulent la scène : Lucie Vigneault, Indiana Escach, Mark Eden-Towle, Sophie Corriveau, chacun portant des vêtements de sport rivalisant de mauvais goût.
Leur danse se déploie dans une dizaine de positions répétées en canon, comme si la Levée des conflits de Boris Charmatz (FTA, 2013) se frottait au minimalisme de Nicolas Cantin. (Peter James, collaborateur de Cantin, signe d’ailleurs la dramaturgie de 4-OR.) La séquence initiale se reconstruit au gré des interprètes par la suite, conservant parfois le décalage du début, tombant par autres moments dans une synchronisation accidentelle ou voulue. Notre attention délaisse le spectacle pour un instant et, à notre retour quelques secondes plus tard, force est de constater que nous ne retrouvons pas ce que nous avons quitté. Confrontés à l’illusion que nous sommes toujours en train de regarder la même chose, nous sommes toujours en train de rater quelque chose. Les mouvements sont toujours les mêmes mais la chorégraphie n’est jamais pareille. Comme c’était le cas avec Charmatz, nous pensons à Wavelength, le film expérimental pseudo-minimaliste du cinéaste canadien Michael Snow. L’association est d’autant plus appropriée ici : comme trame sonore, Roque nous offre des enregistrements sur le terrain – souffles dans le micro inclus – dont un de vagues. Assistons-nous au spectacle le plus exigeant de Roque? Puis, de nulle part, la musique de la chanteuse d’origine cubaine Celia Cruz, tellement en décalé avec ce que nous regardons que certains spectateurs éclatent de rire. À peine deux semaines plus tôt, les chorégraphes Hanako Hoshimi-Caines et Maria Kefirova utilisaient la même technique pour The Paradise, proposition tout aussi minimaliste. Noir. Un nouvel éclairage offert par une seule ampoule suspendue au-dessus de la scène révèle de la fumée. Contraste avec l’univers précédent. Exit la danse, entre le théâtre. Corriveau, maintenant accoutrée d’un chandail angora rose, joue avec une vache et un dinosaure en plastique. Escach se dandine sous le tapis vert. Eden-Towle apparaît en caleçon et en veston. Portant un collant vert, torse nu, Vigneault applaudit au ralenti avec ses gigantesques gants de Mickey Mouse. De façon surprenante, Escach émerge de sous le tapis, arborant une robe qui reflète la lumière en pépites d’arcs-en-ciel. Dans une danse aguicheuse, son bassin décrit des cercles alors qu’il n’y a rien de séduisant à ce qui se passe autour d’elle. Nous sommes dans un monde d’apparence. La juxtaposition inexplicable d’éléments hétéroclites se manifeste telle une fracture psychique. Le moment qu’il nous séduit avec un brin de magie inattendu, Roque nous plonge dans le noir final. Le vilain. Je l’aime. 3-6 décembre www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Billets : 23$ / Étudiants : 19$
The Paradise
November 19-22 www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Tickets: 23$ / Students: 19$ About the photographer: Meryem Yildiz was born in Montreal. She is found in translation, writing and photography. www.meryemyildiz.com In September 2015, Montreal choreographer Gérard Reyes presented his solo The Principle of Pleasure at Théâtre La Chapelle. What follows are excerpts from a conversation Reyes and I had after the end of the show’s run.
SYLVAIN VERSTRICHT The section of The Principle of Pleasure where you danced for the person sitting on the chair was especially potent for me because in that moment we (the audience) became voyeurs, which oddly I didn’t feel we were before that point. A question that kept popping up in my mind during the show, which might sound absurd though I don’t think it actually is, was “Are we just spectators?” What is the role of the audience in The Principle of Pleasure? GÉRARD REYES From my experience as a seasoned concert dancer, I was sick of the conventional separation between audience and performer in a theatre, whereby the audience places primacy on the artist, yet the artist refuses to truly acknowledge the audience until the end of the show. There is a latent potential for exchange there! While I was conceiving The Principle of Pleasure, I was attending various performative events and spaces that were new to me – trans bars, female strip clubs, BDSM/fetish events, queer parties, vogue balls – each with its own code of conduct. These codes opened me up to consider a more equitable and fulfilling relationship between the ‘audience’ and ‘performer’ that is based on shared responsibility and communication. I propose a situation, encourage the audience to choose a role/perspective which speaks to them within it and hope that it will mutate over the course of the show: spectator, client, voyeur, performer, lover, dom, sub, friend, person, etc. There is another dimension to the audience. It is both inside (live participants) and outside the theatre (i.e. on social media such as Facebook, Instagram, Twitter and wherever else people decide to post photos and videos they take during the show). VERSTRICHT Speaking of Instagram, the image is a huge part of the show; there are two mirrors onstage, two photographers, one videographer, and – as you mentioned – audience members are also invited to take pictures with their cell phones. Why did you decide to set the performance in that environment? REYES Yes, image is a part of the show, but it is only the most superficial layer of the work. I use the elements you mentioned as well as others (mirrors, chairs, cameras, lighting, humans) to create images, define space and create proximity in order to allow for more intimate relationships to emerge between the audience and myself. That is where my greater interest lies. The reason I allow photos during the show is four-fold: 1) to give the audience the freedom to make choices; 2) to invite the audience to enter into a more active relationship with me and their surroundings; 3) to subvert conventions; and 4) to play with the idea of celebrity. I want to make the theatre a more inviting place to be, where people can relax and be themselves. One of my strategies is to allow the audience to do what they do all the time when they’re not in the theatre – talk, move around, stand, sit, use their phones. I want to address the audience as individuals and encourage them to express themselves. Hopefully some will come to the realization that behaviour is a choice. We have more control than we think over ourselves and any given space. Our individual choices help inform the choices of those around us. VERSTRICHT A big part of the way you also play with celebrity is by using Janet Jackson songs throughout the show, not to mention that she also provides you with the title for the piece. There have been quite a few works recently where queer and/or fem men have emulated pop stars (Beyonce is a particularly popular one these days). I’ve been wondering if it’s because, as a fem man in our culture, the highest level of celebrity one can seemingly aspire to is to be on RuPaul's Drag Race. It sort of makes me think about karaoke and how it’s an opportunity for people, if only for a moment, to sing as if they were their favourite pop star. It also plays into ball culture and how people who had really hard lives could act like divas for a day. This is a difficult question because it extends beyond you, but I was wondering if you could talk about what your personal reasons were for playing with the idea of celebrity... REYES We feel we “know” celebrities by their regular appearances on magazine covers and the banal details they share about their lives. But the physical and emotional distance they maintain from their fans actually gives them a power that makes them appear elusive, unique and desirable. I play with the cliché of this kind of celebrity at the beginning of my piece by presenting an extroverted character who is not embarrassed about displaying his body or showing self-appreciation or being filmed or photographed. But I want the external image of celebrity that opens my piece to fade to the background of the more multidimensional personas who the audience encounters once we are all on stage together. These personas I created embody the deeper layers of my sexuality, imagination, pleasure and desire that I have discovered and cultivated over the last few years. They are glamorous and physically attractive, nevertheless they are not shallow. Rather they are personable, generous and open to sharing their intimacy with whoever is willing to come along. VERSTRICHT Do you know Robert St-Amour? He's basically the best dance spectator. He goes to see a lot of shows and almost always writes a little something about them on Facebook after. After seeing your piece, he wrote “Les premiers moments sont inconfortables (pour moi), mais peu à peu, ‘j’apprivoise la bête’ ou je dirais plutôt que ‘la bête m’a appprivoisé’. La suite devient agréable et je suis presque déçu de reprendre ma place pour la fin de la présentation.” When I read that, I realized how important queer performance still is. Maybe sometimes, as queer people, we take it for granted. REYES I want to respond to St-Amour’s comment about my solo – that he was uncomfortable at first but then “the beast” (i.e. I) tamed him. It is indeed my intention to softly confront the audience but with the hope that they will overcome their fear. If they feel uncomfortable with my revealing costume or being on stage with me or in a moment when my eyes meet theirs, then the non-judgemental environment that I create is propitious for them to feel their discomfort and let go of it (if they so choose). Le 13 octobre, j’étais invité à me joindre à la Tribune 840 du Département de danse de l’UQÀM pour tenter de répondre à la question « Comment passer du ‘regarder’ au ‘dire’ la danse? » Ce qui suit est le texte sur lequel ma présentation était basée.
Je n’ai aucune formation en danse. C’est donc à travers un corps de spectateur que je reçois la danse. L’auteur américain Henry David Thoreau a déclaré qu’il est inutile de s’asseoir pour écrire si on ne s’est pas levé pour vivre. C’est ce que j’avais en tête lorsque j’ai écrit qu’un critique de danse se devait 1) de méditer et 2) de consommer de la cocaïne. Évidemment, ce que je sous-entendais est que le plus d’expériences que le spectateur a vécus, le plus de portes d’entrée potentielles il a sur la danse. Permettez-moi aussi de citer Roland Barthes hors-contexte alors que dans S/Z, il écrit « pour nous qui cherchons à établir un pluriel, nous ne pouvons arrêter ce pluriel au porte de la lecture : il faut que la lecture soit elle aussi plurielle, c’est-à-dire sans ordre d’entrée […]. » La réception de la danse est un lieu de tension pour moi (et, j’imagine, pour tous ceux qui n’ont pas de formation en danse), un fil tendu entre l’évidence et l’ignorance. L’évidence émerge du fait que, comme la danseuse, je suis un corps et que le médium de la danse m’est donc d’une certaine façon familier. L’ignorance provient du fait que je suis inconscient des capacités de mon propre corps et que la danseuse se sert de ce médium d’une façon qui m’est donc souvent complètement étrangère. On reproche souvent aux critiques de danse de ne pas parler de danse et avec raison. Il est tellement plus facile de parler de tout ce qui l’entoure, dont le théâtre, par exemple. Si ça peut vous réconforter (ou vous inquiéter davantage), ce problème n’est pas limité au milieu de la danse. Ayant complété une maîtrise en études cinématographiques, je peux vous dire que c’est la même chose du côté du cinéma, entre autres parce que l’étude de ce médium a eu tendance à émerger des programmes de littérature plutôt que ceux d’arts visuels, par exemple. C’est ainsi que le réalisateur expérimental Michael Snow a remarqué que la plupart des auteurs qui ont écrit sur son film Wavelength (un zoom de 40 minutes dans un loft vide) ont tendance à se concentrer sur les sections où des acteurs sont présents dans le cadre, alors que ces sections ne composent qu’environ 10% du film. On peut donc voir que nos tendances androcentriques nous poussent à négliger le médium qui est supposé être le sujet même de nos préoccupations. Par contre, on pourrait se demander quel est la nature du problème du côté de la danse puisque conventionnellement l’humain en est lui-même le médium, donc notre androcentrisme devrait en théorie y être à notre avantage. Je pense que, ce qui complique notre tâche, c’est la nature même de la danse, c’est-à-dire si on considère que le mouvement devient dansé lorsqu’il est « détaché de son rôle utilitaire; il a une intention principalement esthétique » (Sondra Horton Fraleigh dans Dance and the Lived Body), ce qui me semble être une définition assez conventionnelle. La tyrannie du récit nous incite toutefois à ne trouver du sens que dans la causalité narrative, alors que l’aspect non-utilitaire de la danse fait qu’elle résiste à cette tyrannie. C’est à mon avis l’une de ses plus belles qualités. Ramsay Burt (dans The Male Dancer) a lui-même remarqué que l’une des raisons pour laquelle la danse n’a pas reçu autant d’attention que les autres disciplines est parce que la priorisation du verbal dans les sociétés occidentales logocentriques a mené à la marginalisation du corps. Nous vivons dans une culture du symbolique. Ceci est particulièrement visible dans la façon dont la littérature est souvent enseignée, soit en se concentrant sur la métaphore, et qui consiste essentiellement à dire qu’une œuvre a un sens parce qu’elle dit quelque chose d’autre (quelque chose de plus!) que ce qu’elle dit, ce qui représente une façon assez absurde de concevoir le sens. D’un autre côté, Fraleigh nous dit que « [le spectateur] voit ce que [la danseuse] fait et la pensée dans ce qu’elle fait, et non avant ou après. Si [la danseuse] bouge doucement, [le spectateur] perçoit la douceur; si elle bouge brusquement, c’est ce que [le spectateur] perçoit. » Le public a souvent tendance a qualifié la danse d’obscure; j’aurais tendance à dire que, si elle peut paraître obscure, c’est en fait parce qu’elle est d’une clarté aveuglante. La danse dit précisément ce qu’elle veut dire. Tout ça ne veut évidemment pas dire que l’on ne peut pas ou que l’on ne devrait pas parler de danse. Il y a incontestablement de la causalité en danse, mais elle se trouve ailleurs. Le critique littéraire Lewis Mumford (dans Art and Technics) affirme que « Dû à ses origines et à ses buts, le sens des arts diffère de celui des sciences; il ne se rapporte pas à des moyens et des conséquences externes, mais à des transformations internes. » Une pièce qui l’a intelligemment démontré pour moi est le solo de Caroline Gravel chorégraphié par Catherine Gaudet pour l’édition 2012 du Cabaret Gravel Cabaret au Lion d’Or. Gravel exécutait un mouvement en demandant « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » et comme le public riait ou restait bouche bée ou était mal à l’aise tout dépendant du geste, il devenait clair que la danse a un effet et donc qu’elle a un sens. La danse est la cause; c’est dans le corps du spectateur que la conséquence se fait sentir. Il y a certains chorégraphes qui nous forcent parfois à parler de mouvement en nous offrant de la danse pure et dure. Je pense à Anne Teresa De Keersmaeker, Trisha Brown, Brian Brooks, Merce Cunningham, et Édouard Lock, par exemple. Que faire lorsqu’on est confronté à ce défi? Évidemment, comme je l’ai mentionné en introduction, il n’y a pas d’ordre d’entrée; mais voici quelques portes d’entrée possibles :
Formée en danse à l’Université du Québec à Montréal, Karine Denault fonde sa compagnie, L’aune, en 2001. Cherchant à déstabiliser le corps dansant, elle développe une esthétique de la physicalité, et une singularité corporelle qui advient dans les gestes, les attitudes, les états de corps et les actions. Ses pièces, exemptes de théâtralité classique, intègrent diverses disciplines artistiques et questionnent les codes figés de la danse ainsi que ses modes de production de signes et de sens. Parallèlement à ses activités de création, elle a été codirectrice de la maison d’édition Le Quartanier et conseillère artistique pour le Festival TransAmériques. Pourquoi bouges-tu? Pour me sentir vivante. Cette réponse peut paraître un peu clichée, mais c’est la plus sincère. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? La littérature et les arts visuels m’accompagnent toujours. J’aime avoir la tête pleine de références, d’images, de liens de toutes sortes avant d’entrer en studio. Dans le quotidien, j’aime aussi observer les gens bouger, que ce soit les gens que je croise au restaurant ou dans la rue, pour essayer de comprendre des postures et des démarches qui me sont étrangères, ou encore les interprètes avec qui je travaille afin d’exacerber certaines attitudes corporelles. Pour L’échappée, le solo que je prépare en ce moment, il y a eu des recherches et des lectures préalables, mais pendant la création proprement dite je me suis laissée imprégnée de plein d’autres images et sensations. Je me suis par exemple beaucoup inspirée des musiques que j’ai choisies, des textures et des ambiances qu’elles évoquent, des images et des sensations qu’elles provoquent en moi. Pour mes précédentes pièces, j’invitais des musiciens à composer une musique originale et à la jouer live sur scène : danse et musique étaient créées en même temps. Cette fois-ci, j’ai plutôt choisi des musiques préenregistrées de groupes locaux et je les ai écoutées en boucle pendant la création. En fait, j’ai approché l’ensemble du projet de façon très sensorielle en m’inspirant de mon état du jour, de la force ou de la fatigue de mon corps, du sentiment de plénitude ressenti un soir en regardant les étoiles, de l’immensité d’un lac sur lequel j’ai fait du kayak pendant quatre heures, de la puissance émotive de ma voix... C’était important pour moi dans ce processus de laisser mon intuition guider mes choix, de cultiver qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre ni tout justifier. Que l’insaisissable – ce qui nous échappe – possède une force, une puissance que l’on ne peut pas expliquer rationnellement. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Un commentaire me suit depuis presque quinze ans. Une journaliste avait écrit à l’époque que j’avais une présence féline; d’autres l’ont repris par la suite, s’en servant pour m’introduire ou tout simplement pour faire image rapidement. C’est relativement stéréotypé comme commentaire mais il me plaît bien quand même. Encore aujourd’hui, je crois qu’il caractérise bien ma façon sinueuse de bouger parfois. De quoi es-tu le plus fière? Je suis fière d’être si bien entourée, de travailler depuis des années avec des artistes que j’admire et qui m’inspire. Leur confiance, leur implication, leur soutien sont hyper précieux. Sans eux, je ne serais pas où je suis et mes pièces ne seraient pas ce qu’elles sont. Quel a été ton premier amour en danse? Probablement ma professeure de ballet-jazz quand j’avais six ans. J’étais en admiration devant elle, je la trouvais si belle et si gentille. Je voulais lui ressembler, devenir danseuse moi aussi quand je serais grande. Elle m’a enseigné jusqu’à l’âge de dix ans environ. Elle nous faisait danser sur du Marvin Gaye, tout en déhanchés, en grands chassés et en catch step. Un vocabulaire pas toujours adapté à notre âge mais ouf… Des heures de plaisir que je prolongeais à la maison, seule ou avec mes amies à qui je montrais les mouvements que j’avais appris. Je ne crois pas qu’on soit très sérieux à cet âge quand on se projette dans l’avenir, mais à 13 ans j’avais encore en tête cette idée de devenir danseuse. J’imaginais aussi devenir joaillière : une joaillière qui danse. Quel est ton rapport à la critique? Mon rapport aux critiques publiées dans les journaux? Hum… Pas facile. Comme c’est le cas pour la plupart des artistes, je crois. Une critique négative peut me démolir, et en période de shows il n’est pas recommandé de s’effondrer. Sans blague, de façon générale je trouve qu’on accorde beaucoup trop d’importance à la critique. Elles nous donnent une visibilité, certes, mais le point de vue d’un journaliste n’est qu’une impression parmi plusieurs autres. Les commentaires de mes collègues, de mes amis, de gens que je ne connais pas qui osent m’aborder dans la rue pour me parler d’un de mes spectacles, sont beaucoup plus précieux. Quant aux commentaires critiques constructifs formulés lors d’une discussion, j’en ai besoin et je m’assure qu’ils fassent partie du processus de création. Ils peuvent m’aider à aller ailleurs, à chercher autrement, ou, au contraire, à réaffirmer une position ou un choix. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? Spontanément, ce sont des artistes en arts visuels qui me viennent en tête. Je suis totalement fascinée par le travail des artistes canadiens Shary Boyle (surtout ses figurines enchantées) et David Altmejd (sa pièce Le spectre et la main, avec les zèbres qui galopent, est totalement hallucinante!). Aucune idée comment une collaboration pourrait être possible ni quelle forme elle pourrait prendre, je me permets tout simplement de rêver. Plus près de moi, parce qu’elles vivent à Montréal et que je les connais, j’aimerais bien un jour collaborer avec les artistes Olivia Boudreau et Julie Favreau, qui travaillent toutes deux la vidéo. La façon dont elles abordent le corps et la présence me parle et m’intrigue. Je serais curieuse aussi de collaborer avec Yannick Desranleau et Chloë Lum (le duo Série Pop), qui ont commencé cette année une série de performances lentes et étranges avec leurs objets et installations. Avec mon amie Nadège Grebmeier Forget aussi, qui remet en question l’image de la femme dans ses performances. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Je continue parce que j’y crois encore. Je crois à l’importance de l’art dans l’absolu, et à l’importance de l’art dans ma propre vie. Il est essentiel aussi pour moi que les propositions artistiques que l’on met dans le monde ne soient pas uniquement des spectacles à grand déploiement et/ou du divertissement. Des expériences plus intimes, plus confrontantes aussi sont nécessaires. Un spectacle qui amuse mais qu’on oublie dans l’heure qui suit n’a pas une bien grande portée. Un spectacle qui dérange, qui fascine, qui fait réfléchir ou qu’on n’est pas certain d’avoir aimé, voire même qu’on a détesté, nous habitera plus longtemps. Je ne sais pas si les pièces que je crée fascinent ou dérangent, ni si elles font réfléchir, mais j’espère qu’elles ne laissent pas les gens indifférents. Quand je ne remets pas tout en question et ne me sens pas trop découragée par les obstacles (les subventions qui ne suivent pas toujours, les blessures qui adviennent ou refont surface, la compétition qui ronge notre milieu, etc.), je sais que je suis privilégiée de faire de la danse et de la création. L’échappée
21-23 octobre à 20h www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 22$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com
Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création?
Mes idées peuvent provenir autant de la culture populaire, du cinéma, des arts visuels, de la photographie que des multiples lectures que je fais. Pour ma pièce BLEACH, j’ai regardé des films (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Girl, Interrupted, etc.) et lu quelques livres sur la santé mentale. Ensuite, je crée un canevas de travail à partir des informations et d’idées afin de guider les improvisations en studio. Au final, le travail que font les interprètes me nourrit artistiquement et teinte la proposition finale tout en conservant la forte trace de mon énergie et de ma signature. Les interprètes sont en avant-plan durant le processus et, sans dire que ce sont des muses, il reste que leur façon de bouger est la plus importante source d’inspiration dans mon travail. Qu’est-ce qui caractérise ton travail?
Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Ce qui ressort, c’est le mot « assumé ». Je crois que ce commentaire est le plus important d’entre tous et c’est celui qui reste avec moi. Pour moi, c’est ce qui différencie le vrai du fake. Je peux recevoir des commentaires négatifs, mais si on mentionne le verbe « assumer », je crois que mon travail a été accompli et que je suis resté fidèle à moi-même. De quoi es-tu le plus fier? Je ne sais pas si on peut davantage parler de satisfaction que de fierté, mais je suis particulièrement heureux d’être entouré d’une gang d’interprètes talentueux avec qui j’ai travaillé à l’université et qui me suivent encore dans ma folie à travers mes multiples projets. Je suis transparent avec mes interprètes et je crois que cette sincérité apporte une certaine sécurité pour eux en ce qui a trait aux choix chorégraphiques que je prends. Je retire de la fierté de cette relation de complicité et de collaboration que j’ai su développer avec les gens qui travaillent avec moi. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? Je rêve d’une communauté de la danse sans hiérarchie, où l’on respecte et considère l’apport, l’histoire et la richesse de nos prédécesseurs, qui ont chacun à leur façon changé le visage de la danse et agit pour améliorer nos conditions de travail. D’un autre côté, il serait important que la nouvelle génération obtienne le même respect de la part de cette communauté en ce qui a trait à sa voix et sa pertinence dans le paysage chorégraphique québécois. Il serait faux de croire que l’aspect de compétition n’est pas présent lorsque vient le moment d’obtenir du financement dans un monde aussi contingenté que la danse contemporaine mais, entretemps, est-il possible de cohabiter avec une réelle convivialité? Quel est ton rapport à la critique? J’ai un côté très réactif à ce que je reçois comme critique et ma première impulsion est de toujours faire le contraire de ce qui a été dit afin de faire acte de rébellion. Par exemple, si on me dit que ma pièce est trash (je déteste ce mot, beaucoup trop galvaudé), je me dis que je vais faire encore plus trash. En plus, quand on débute dans le métier, les critiques ont tendance à comparer notre travail avec des chorégraphes aguerris même si on peut être à mille lieux l’un de l’autre dans nos préoccupations. Quand je reçois ce type de commentaires, j’ai juste le goût de faire un pied de nez à la critique en copiant sur scène tout ce qui pourrait être reproduit. Bref, j’ai ma première frustration et je vis ma première impulsion, mais ensuite j’agis passivement et je me dis que je n’en ai rien à foutre, que c’est seulement l’opinion d’une seule personne et que celle-ci ne détient pas la vérité. En conclusion, je continue à créer comme j’ai toujours fait, en me souciant de ma propre satisfaction avant de penser au regard extérieur. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? Dans mon projet le plus fou, j’aimerais collaborer avec le photographe David LaChapelle, que ce soit pour réaliser une chorégraphie pour un vidéoclip, un spot commercial ou un film. Plus près de chez nous, j’aimerais collaborer avec une chorégraphe qui m’anime mais qui est diamétralement opposée à mon type de gestuelle. Je suis interpellé par les défis et je crois qu’une collaboration avec Catherine Gaudet me permettrait de sortir de ma zone de confort tout en élargissant ma vision artistique. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? C’est ma curiosité, ma soif d’aller au bout des choses, de me questionner sur ce qui m’entoure et de vouloir transmettre quelque chose; non pas un message, mais laisser une trace. C’est la volonté de vouloir me retrouver à travers ce que je mets en scène, performe, et chorégraphie. C’est de penser que l’art n’a pas de limites, de barrières, de tabous, et que tout se doit d’être abordé, même ce qui trouble notre confort. Je crois que de faire ma propre thérapie à travers l’art peut engendrer en partie une catharsis collective et c’est pourquoi je continue de faire ce que je fais. L’humain a un besoin viscéral de se libérer de certaines pulsions et quoi de mieux que de canaliser ces instincts à travers la création? BLEACH (Danses Buissonnières) 1-3 octobre à 19h30 & 4 octobre à 16h www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Billets : 23$ / Étudiants : 19$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com Nicolas Cantin crée des environnements chorégraphiques dans lesquels il sonde les multiples possibilités dramatiques du mouvement. Son univers penche entre intimité et sauvagerie. À ses débuts, il crée trois spectacles : Grand singe, Belle manière, et Mygale, qui forment une trilogie sous le titre Trois romances. Il bricole ensuite « deux pièces anglaises », CHEESE et Klumzy, qui traitent de la mémoire. Il flirte avec le cirque en cosignant pour les 7 doigts de la main la mise en scène de Patinoire, un solo pour Patrick Léonard, et se commet à intervalles réguliers dans différents projets collectifs qui ont tous en commun de naviguer aux frontières des genres.
Pourquoi bouges-tu? Je ne bouge pas à priori. Je suis assis sur une chaise dans un studio de répétition à regarder des personnes bouger à ma place. La question que tu devrais me poser est donc : pourquoi ne bouges-tu pas? La réponse que je peux te donner est qu’il est plus facile pour moi de regarder l’autre bouger. J’ai besoin de mettre mon corps à distance à travers le corps de l’autre pour pouvoir travailler. D’une certaine façon, je cherche ce qui caractérise ma relation à mon propre corps à travers le corps de l'autre. Mon travail est de regarder l’autre dans sa relation à ce qui le constitue intimement. Je travaille à creuser dans l’autre la question de l’intime pour toucher et questionner ma propre intimité. Cette relation qui agit comme un effet de balancier entre le bougeur et le spectateur est la pierre angulaire de mon travail. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? Chaque projet est différent. Je cherche obstinément la grande inspiration, comme tout bon noyé. Je travaille à chercher l’endroit où ÇA veut respirer. Je me souviens d’une promenade au bord de l'océan avec ma mère il y a quelques années. Je la regardais marcher sur la plage et, l’espace d’un instant, je me suis demandé avec émotion qui était cette femme. Ce qui me fascine, c’est le mystère que nous sommes à nous-même et pour les autres. Ce sont les mots d’Antonioni : Nous savons que sous l’image révélée, il en existe une autre plus fidèle à la réalité et sous cette autre encore et ainsi de suite, jusqu’à l’image de la réalité absolue, mystérieuse que personne ne verra jamais. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? Je ne sais pas. J’espère retrouver dans mon travail quelque chose de l’ordre de l’enfance qui a trait à mon obsession de l’intime. Il y a dans l’intime quelque chose qui me bouleverse, peut-être parce cela renvoie au début de la vie, à quelque chose d’insondable et mystérieux. Il y a une phrase magnifique que j’aime bien et qui dit tout : L’intimité est mondiale. Ce matin, justement, j’ai vu deux personnes faire l’amour dans une voiture. C’était beau comme une promesse faite à la vie, d’exister coûte que coûte. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel t’a le plus marqué? Je me souviens d’un long et bel email d’une personne, après un spectacle qui avait été mal reçu. Cet email m’avait fait l'effet d’un chat qui s’installe sur ton thorax lorsque tu as le cœur ouvert en deux. De quoi es-tu le plus fier? Il y a pas de quoi être fier, comme dirait l’autre. Je fais ce que je peux. La plupart du temps, c’est la honte qui domine, parce qu’un spectacle, c’est comme un château de sable, ni plus ni moins. C’est rarement satisfaisant. Il n’y a pas de réelle fierté ou peut-être par moment la fierté, grâce à l’art, de sentir dans mon corps quelque chose de l’enfance retrouvée. La victoire de Samothrace au Louvre, par exemple, est une œuvre magnifique. Ce n’est plus du marbre, même si, oui, c’est du marbre. Ma fierté, peut-être, par instant, viens de là, de trouver une forme de complicité joyeuse (si ce n’est amoureuse) avec une statue qui date du début de la civilisation. Que serais-tu content de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? Ne jamais dire plus jamais. J’aimerais au contraire voir un spectacle de danse qui me ferait l’effet d’un camion renversé. Voir un spectacle devrait être ÇA, assister à un accident. Quelque chose au plus près de la vie renversée. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? On devrait, avec la plus grande douceur, tout brûler et tout recommencer. Nous vivons tous dans la peur. Nous devrions apprendre à avoir moins peur. Brûlons les théâtres et dansons dans leurs ruines. Quel est ton rapport à la critique? Je ne sais pas. Comme tout le monde j’imagine. Être dans le journal, la première fois, est un sentiment particulier. Tu lis l’article et le relis jusqu’à l’abstraction, jusqu’à ce que les mots ne veulent plus rien dire. C’est comme de lire une lettre d’amour ou de rupture : pur affect. La critique, c’est ÇA, en gros, une affaire d’affect et d’intellect. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? J’aimerais collaborer avec des amateurs, peut-être du côté de la chanson folk, de l'art visuel ou du cinéma. Des personnes qui fabriquent des choses dans leur garage, comme mon grand-père qui jouait de l’accordéon et composait en secret dans son grenier. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Ce qui me pousse à continuer à faire de l’art est simple, c’est la nature du dialogue qui me lie au travail. Avec le temps, ma relation au travail évolue. Récemment, je suis allé dans un musée et je me surprenais à être plus intéressé par les visiteurs que par les œuvres et c’était un sentiment merveilleux. La vie m’intéresse de plus en plus. Bien sûr, il n’y a pas d'opposition à faire entre l’art et la vie, mais peut-être qu’il y a quelques années j’avais une tendance à considérer l’art comme un abri atomique et la vie comme une menace nucléaire, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. CHEESE (Pluton) 16-18 septembre à 19h & 19 septembre à 15h Agora de la danse www.agoradanse.com / www.danse-cite.org 514.525.1500 / 514.844.2172 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com Andréane Leclerc obtient son diplôme de l’École nationale de cirque en 2001. Concevant la contorsion comme une technique corporelle malléable capable de générer un monde de sensations et d’imageries mentales au-delà du spectaculaire, elle crée aujourd’hui des pièces expérimentales circassiennes ainsi que des performances conceptuelles (Di(x)parue, Cherepaka, Insuccube, Mange-moi, Corps sculptural). Elle continue son travail d’interprète auprès de chorégraphes et metteurs en scène tels que Dave St-Pierre, Angela Konrad et Peter James. En 2013, elle termine une maîtrise sur la dramaturgie de la prouesse au département de théâtre de l’Université du Québec à Montréal. La même année, elle met sur pied la compagnie Nadère arts vivants, dont elle assure la direction artistique. Question Chanti Wadge : Pourquoi bouges-tu? Parce que c’est la vie, parce que « pourquoi pas? » C’est une pulsion de vie. Parce que tout le monde bouge, puis c’est une valse avec l’atmosphère et l’univers. On fait partie de l’univers. Il n’y a rien qui ne bouge pas dans l’univers. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? C’est tout, sauf ce que je suis en train de faire. Le vide. L’espace, l’entre-deux, la relation. C’est l’observation, donc tout ce qui se passe autour, ce que tu rencontres, ce qui te fait bouger. C’est la relation et comment tu te positionnes face à tout ce qui t’entoure et comment tu interagis avec ça ou comment les choses interagissent entre elles. Il n’y a pas une chose en particulier, c’est tout, ça peut être une roche à terre. Si elle te parle, tant mieux. Sinon, ça peut être quelqu’un, une conversation que tu as eue, ton rêve, une lecture, la façon dont tu vois ton foulard en te levant… Ça peut être tout ce qui t’entoure. Parce que, de toute façon, une création n’a pas un début et une fin. Qu’est-ce qui caractérise ton travail? C’est sûr que je viens du cirque, je travaille avec des gens de cirque beaucoup, mais je déteste particulièrement le spectaculaire et l’égo, donc j’essaie d’aller au-delà de ça. Aller au-delà de ça, ce n’est pas tant essayer de l’abolir… J’essaie de déconstruire la prouesse, le spectaculaire, l’égo, mais je suis plus dans une écriture scénique pour essayer de laisser parler une relation à l’espace et aux objets entre eux. Après ça, je pense que l’interprétation vient de l’intérieur, le feeling de l’interprète, ce qu’il peut vivre ou a envie de vivre à ce moment-là. Je pense qu’il va toujours y avoir une certaine logique là-dedans qui en ressort. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Pour La Putain de Babylone, j’ai eu des commentaires comme quoi que c’était vraiment dégradant pour la femme de voir encore des femmes nues, jolies. C’est drôle, je pense que j’ai tellement une démarche féministe et j’ai tellement été proche du Studio 303. Il y a Nathalie Claude avec qui j’ai travaillé… La scène féministe m’appelle vraiment beaucoup. C’est là que j’ai fait mes premiers pas de création. Pour moi, la femme, c’est une femme forte. Ce n’est pas tant son enveloppe, mais plus comment une femme habite son corps. Après ça, que les interprètes aient des beaux corps, je me dis, « Tant mieux, câlisse! Sommes-nous toujours obligés d’avoir des corps pas beaux? » Non, au contraire, un corps beau, c’est le fun aussi de pouvoir le manipuler, de le sortir de ses zones et de ne pas juste l’utiliser. Comme je travaille beaucoup l’écriture scénique, les corps deviennent à quelque part des objets, mais l’objet de la représentation, un objet au soutien d’une œuvre, au sein d’un propos. D’être capable de le manipuler, d’utiliser ton corps pour pouvoir soutenir quelque chose qui est au-delà de toi… Il y a quelque chose qui doit juste te transpercer de l’imagerie mentale que tu supportes pour pouvoir le donner au spectateur. Le spectateur prend ça et il se recrée quelque chose. Ton corps est un véhicule. Donc, si je vois le corps comme véhicule, c’est sûr qu’à quelque part, c’est un corps objet, mais ce n’est pas un corps objet soumis ou dégradé. Je ne le place pas dans une zone comme ça. En fait, s’il-vous-plaît, dites-moi le si je suis là-dedans, mais je ne pense pas. Au contraire, je pense que j’essaie d’être empowered. Dans Mange-moi, on parle d’empowerment à travers la sexualisation des corps en scène. J’ai été dans le burlesque, dans la performance, j’ai essayé de mettre le corps de contorsion à nu, justement pour sortir la contorsion de moi, pour me réapproprier mon corps, pour sortir de cet objet sexuel que le spectateur a le goût de voir, de renverser la relation avec le spectateur, puis d’être en pleine possession de ce que moi j’ai envie de dire et que j’essaie d’offrir au public. Je fais, « Oui, je suis nue, et qu’est-ce que je peux suggérer là-dedans? Toi, tu t’attends à quoi? » Souvent, la première fois, les gens trouvent la monstruosité hallucinante, de voir les os et les côtes sortir… Dans le fond, j’espère juste que je donne le bon message dans ce que je fais. Ça a été un commentaire qui m’a bien marqué. J’ai trouvé que ça a été un jugement un peu trop facile, un peu trop vite, avant d’aller voir plus loin. En même temps, les gens peuvent bien penser ce qu’ils veulent… Ça va juste m’aider à être un peu plus convaincue de comment j’aborde les corps. Après ça, on a le corps qu’on a… Ça a été un de mes plus grands complexes d’avoir des seins, en cirque, depuis que je suis petite. Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse? S’il y a une chose que j’ai bien comprise, c’est que dans une contorsion hyper traditionnelle, c’était dans la façon que tu donnes tout en cirque, que tu n’as aucune conscience de ce que tu es en train de mettre en scène. Tu fais juste suivre un peu la tradition et tout donner ce que tu es capable de faire. Non… Gardes-en un peu pour toi et donnes-en un peu moins et essaie d’emmener le spectateur ailleurs que ce que lui pense ou ce que lui a hâte de voir justement, contourne ça… « C’est à ça que tu t’attendais? Bien, moi, je t’emmène ailleurs. » De quoi es-tu le plus fière? C’est quelque chose que j’essaie de garder enfoui en moi. Je suis fière, je suis bien avec ce que je fais, mais j’aime et je déteste toutes mes pièces. C’est une relation amour-haine. De quoi suis-je le plus fière? Je pense d’avoir réussi ma maîtrise, d’avoir passé à travers. Que serais-tu contente de ne plus jamais voir dans un spectacle de danse? De la censure. J’espère juste que les gens ne se censurent pas et qu’ils vont juste aller au bout de ce qu’ils ont le besoin et le goût de faire. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? De plus de soutien et de reconnaissance, d’un public plus large. Je trouve ça plate que des fois ça reste trop entre nous. Ou les gens ont une idée que la danse, c’est juste pour les initiés, tandis que c’est tellement pas ça, surtout au Québec. Quel est ton rapport à la critique? En cirque, au Québec, j’aimerais ça que les critiques aient plus de chien, qu’ils disent ce qu’ils pensent vraiment, qu’ils aient plus de sens critique justement, qu’ils aillent voir un peu au-delà de ce qui est toujours présenté. En cirque, je trouve la critique trop gentille. Le cirque est tellement spectaculaire, tellement « grand public »… Le cirque est assez large à Montréal. C’est correct, sauf qu’ils restent beaucoup dans une zone très sécure, qu’ils ont peur de s’aventurer et je trouve que la critique reste aussi beaucoup là-dedans. Je pense qu’on a peur d’aller plus en profondeur, autant au niveau des spectacles que des critiques. C’est dommage parce que je trouve que la critique est là pour faire réfléchir, pour amener un autre point de vue. Je suis écœurée aussi des critiques qui font juste relater ce que les artistes disent dans leur dossier de presse. Ce n’est pas tout le monde, on s’entend, mais j’aime les critiques aussi qui n’ont pas peur, qui ont vraiment une voix et un goût personnels, qu’on ait une certaine relation… Il y en a beaucoup qu’ils l’ont, mais pas tous. Encore une fois, j’aimerais mieux qu’il y en ait des plus fortes par rapport au cirque et qu’ils amènent une réflexion, d’autres points de vue. C’est ça un peu leur rôle aussi, non? Ce n’est pas encore de dire, « c’est bon/ce n’est pas bon » et de juger. Une critique, ça va plus loin; ça va mettre en lumière, ça va questionner des choses, ça vient relater. C’est quand même un œil pour le spectateur, mais c’est vraiment une source de réflexion aussi et de débat, puis je pense qu’encore une fois, au Québec, on a peur de débattre des idées. Le rôle du critique est extrêmement important. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Parce que j’y crois. La Putain de Babylone
8-12 septembre à 20h Mange-moi 15-17 septembre à 20h Théâtre La Chapelle www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 29$ / 30 ans et moins : 25$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
All
|