Local Gestures
because the personal is cultural
En tant que chorégraphe, je cherche à garder un lien avec la danse et donc avec le mouvement « dansé. » Cependant, en tant qu'artiste, je cherche une liberté. Je suis donc prise entre les deux. C'est pourquoi quelque part je fuis l'idée d'avoir un filtre quelconque, mais d'autre part je m'impose une stylisation des formes et des gestes afin de me relier au mouvement dansé. Au niveau de l'imaginaire, j'essaie de me laisser aller dans n'importe quelle direction. Par la suite, j'ai tendance à travailler un peu comme un dessinateur ou un sculpteur, voulant modeler et remodeler les détails d'un geste et d'un mouvement en quête de sa valeur esthétique, mais aussi en quête des émotions et de l'humanité retenues dans ces formes. Donc, oui, toute forme et toute séquence de formes sont valables comme matière de travail. Au fond, j'avoue que je trouve les étapes de recherche et le processus de travail de création très stimulants et inspirants, souvent même plus que le fait de donner un spectacle. C'est dans les moments où on fouille dans le corps, comme dans le fond d'un tiroir, et qu'on explore les objets disparates qu'on y retrouve que je sens qu'un filtre serait malvenu. Par contre, on finit par la suite par trier de plus en plus et par altérer les objets choisis d'une telle façon et à un tel degré qu'une sorte de filtre finit tout de même par s'installer. En plus on est limité par nos tendances personnelles, par notre façon personnelle de faire. C'est ce filtre-là qui est difficile à éviter!
SYLVAIN VERSTRICHT Qu’est-ce qui ne pourrait pas se retrouver dans un spectacle de Lina Cruz? LINA CRUZ Il doit y avoir plusieurs « choses » que je n'inclurais pas, j'imagine, dans un spectacle, mais je n'arrive pas à dire radicalement « non » à quoique ce soit ou à dire que « jamais je ne ferai ceci ou cela. » Je crois que si j'avais la possibilité de manipuler et transposer les éléments potentiels d'un spectacle pour leur donner une ambivalence et une ouverture à plusieurs interprétations, je serais intéressée par pratiquement tout. J'ai de la difficulté à dire que ceci ou cela, non, jamais je ne l'utiliserai, car au moment même de dire « non, » je m'entends penser : « mais pourquoi pas? » Cela m'arrive aussi en tant que public ou spectatrice. Je crois que je suis un très bon public car j'ai du plaisir à aimer les spectacles que je vois, j'aime apprécier toutes sortes de propositions, que ce soit le travail d'artistes qui se rapprochent de mon esthétique autant que ceux qui sont à des pôles opposés. Je dirais que ce qui pourrait me déranger dans un spectacle serait probablement une proposition quelconque que j'interprèterais comme étant une atteinte aux droits de l'homme/la femme, surtout si je n'y perçois pas de deuxième degré (mais comme tout est subjectif…). J'ai du plaisir à découvrir des artistes d'une grande diversité et j'ai peur de la pensée unique. C'est pourquoi, en réfléchissant à votre question et en l'appliquant à ma pratique artistique, j'ai de la difficulté à identifier ce que je ne ferais pas. En attendant, heureusement que je n'ai pas tant d'occasions de présenter mon travail et ainsi prouver que je me trompe et qu'au fond mes choix sont très limités! SYLVAIN VERSTRICHT Il y a une certaine porosité dans les rôles qu’occupent les interprètes dans vos pièces. Les danseurs créent souvent de la musique et les musiciens peuvent se retrouver à exécuter quelques pas de danse. Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce choix? LINA CRUZ En 2000, j'ai été invitée par le Canadian Electronic Ensemble à créer des solos pour moi-même et à les présenter à Toronto, accompagnée par eux sur scène. Cette expérience a été super stimulante pour moi et déterminante dans ma démarche. Les musiciens étaient sur scène, dans un coin, avec leurs instruments et leurs machines. Il n'y avait pas d'implication physique de leur part ni de travail sonore de la mienne. Le fait d'être cependant si proches les uns les autres sur une même scène, eux en train de produire de la musique et moi de livrer des images, a été très inspirant pour nous tous. Depuis, j'ai ressenti le besoin de créer des spectacles avec des musiciens sur scène. J'ai créé ainsi plusieurs solos. Très vite, j'ai réalisé que le fait d'avoir des musiciens sur scène signifiait pour moi qu'ils faisaient partie du paysage vivant et du contenu esthétique du travail. C'est pourquoi j'ai commencé à explorer la manière de les intégrer. Je ne voulais pas qu'ils soient simplement « exécuteurs » de son et de musique. J'ai compris aussi très vite qu'il fallait trouver des façons très faciles de les intégrer, concevoir des propositions accessibles pour eux. Je savais qu'il fallait ne pas trop leur compliquer la vie! Ce, pour plusieurs raisons… D'abord, en général ils n'ont pas l'habitude de bouger, d'habiter un personnage. Cela représente donc beaucoup d'heures de répétition, mais je dois aussi respecter mon budget et, de toute façon, leur disponibilité est limitée car ils sont souvent très occupés! D'un autre côté, ils ont besoin d'avoir leur attention disponible plutôt pour la musique que pour la performance physique… sinon ils capotent! Afin d'établir d'avantage cette complicité entre musiciens et danseurs, j'ai commencé aussi à donner aux danseurs des participations à l'espace sonore. Dans mes pièces de groupe, il y a un côté tribal, célébratoire, parfois rituel, et l'utilisation de la voix devient pour moi donc naturelle. J'aime explorer la ponctuation sonore des actions des danseurs sur scène. J'ai l'impression que le mouvement devient ainsi plus vivant. Sur une scène, je vois un petit univers commun, une expérience à partager au-delà de la musique et de la danse. Il me semble que ce dialogue et cette complicité entre danseurs et musiciens nous aident à être dans un même univers. Puis, je crois que les musiciens sont curieux mais timides à l'idée d'être physiquement actifs sur scène (sauf évidemment les vedettes de rock et du heavy métal). D'autre part, en règle générale, les danseurs sont excités à l'idée de participer musicalement, peu importe leur niveau d'expérience en musique. Je dirais que la plupart de gens aiment secrètement faire de la musique et s'exprimer avec le corps, peu importe leur degré de facilité dans ces matières. C'est aussi dans cette direction que j'aime amener les musiciens et les danseurs à visiter ainsi le terrain de l'autre, même en tant que néophytes, pourvu qu'ils soient des néophytes assez rêveurs pour se permettre de visiter l'univers de l'autre avec plaisir. Imaginarium, ne pas nourrir les animaux! 21-23 janvier à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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