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Le 13 octobre, j’étais invité à me joindre à la Tribune 840 du Département de danse de l’UQÀM pour tenter de répondre à la question « Comment passer du ‘regarder’ au ‘dire’ la danse? » Ce qui suit est le texte sur lequel ma présentation était basée.
Je n’ai aucune formation en danse. C’est donc à travers un corps de spectateur que je reçois la danse. L’auteur américain Henry David Thoreau a déclaré qu’il est inutile de s’asseoir pour écrire si on ne s’est pas levé pour vivre. C’est ce que j’avais en tête lorsque j’ai écrit qu’un critique de danse se devait 1) de méditer et 2) de consommer de la cocaïne. Évidemment, ce que je sous-entendais est que le plus d’expériences que le spectateur a vécus, le plus de portes d’entrée potentielles il a sur la danse. Permettez-moi aussi de citer Roland Barthes hors-contexte alors que dans S/Z, il écrit « pour nous qui cherchons à établir un pluriel, nous ne pouvons arrêter ce pluriel au porte de la lecture : il faut que la lecture soit elle aussi plurielle, c’est-à-dire sans ordre d’entrée […]. » La réception de la danse est un lieu de tension pour moi (et, j’imagine, pour tous ceux qui n’ont pas de formation en danse), un fil tendu entre l’évidence et l’ignorance. L’évidence émerge du fait que, comme la danseuse, je suis un corps et que le médium de la danse m’est donc d’une certaine façon familier. L’ignorance provient du fait que je suis inconscient des capacités de mon propre corps et que la danseuse se sert de ce médium d’une façon qui m’est donc souvent complètement étrangère. On reproche souvent aux critiques de danse de ne pas parler de danse et avec raison. Il est tellement plus facile de parler de tout ce qui l’entoure, dont le théâtre, par exemple. Si ça peut vous réconforter (ou vous inquiéter davantage), ce problème n’est pas limité au milieu de la danse. Ayant complété une maîtrise en études cinématographiques, je peux vous dire que c’est la même chose du côté du cinéma, entre autres parce que l’étude de ce médium a eu tendance à émerger des programmes de littérature plutôt que ceux d’arts visuels, par exemple. C’est ainsi que le réalisateur expérimental Michael Snow a remarqué que la plupart des auteurs qui ont écrit sur son film Wavelength (un zoom de 40 minutes dans un loft vide) ont tendance à se concentrer sur les sections où des acteurs sont présents dans le cadre, alors que ces sections ne composent qu’environ 10% du film. On peut donc voir que nos tendances androcentriques nous poussent à négliger le médium qui est supposé être le sujet même de nos préoccupations. Par contre, on pourrait se demander quel est la nature du problème du côté de la danse puisque conventionnellement l’humain en est lui-même le médium, donc notre androcentrisme devrait en théorie y être à notre avantage. Je pense que, ce qui complique notre tâche, c’est la nature même de la danse, c’est-à-dire si on considère que le mouvement devient dansé lorsqu’il est « détaché de son rôle utilitaire; il a une intention principalement esthétique » (Sondra Horton Fraleigh dans Dance and the Lived Body), ce qui me semble être une définition assez conventionnelle. La tyrannie du récit nous incite toutefois à ne trouver du sens que dans la causalité narrative, alors que l’aspect non-utilitaire de la danse fait qu’elle résiste à cette tyrannie. C’est à mon avis l’une de ses plus belles qualités. Ramsay Burt (dans The Male Dancer) a lui-même remarqué que l’une des raisons pour laquelle la danse n’a pas reçu autant d’attention que les autres disciplines est parce que la priorisation du verbal dans les sociétés occidentales logocentriques a mené à la marginalisation du corps. Nous vivons dans une culture du symbolique. Ceci est particulièrement visible dans la façon dont la littérature est souvent enseignée, soit en se concentrant sur la métaphore, et qui consiste essentiellement à dire qu’une œuvre a un sens parce qu’elle dit quelque chose d’autre (quelque chose de plus!) que ce qu’elle dit, ce qui représente une façon assez absurde de concevoir le sens. D’un autre côté, Fraleigh nous dit que « [le spectateur] voit ce que [la danseuse] fait et la pensée dans ce qu’elle fait, et non avant ou après. Si [la danseuse] bouge doucement, [le spectateur] perçoit la douceur; si elle bouge brusquement, c’est ce que [le spectateur] perçoit. » Le public a souvent tendance a qualifié la danse d’obscure; j’aurais tendance à dire que, si elle peut paraître obscure, c’est en fait parce qu’elle est d’une clarté aveuglante. La danse dit précisément ce qu’elle veut dire. Tout ça ne veut évidemment pas dire que l’on ne peut pas ou que l’on ne devrait pas parler de danse. Il y a incontestablement de la causalité en danse, mais elle se trouve ailleurs. Le critique littéraire Lewis Mumford (dans Art and Technics) affirme que « Dû à ses origines et à ses buts, le sens des arts diffère de celui des sciences; il ne se rapporte pas à des moyens et des conséquences externes, mais à des transformations internes. » Une pièce qui l’a intelligemment démontré pour moi est le solo de Caroline Gravel chorégraphié par Catherine Gaudet pour l’édition 2012 du Cabaret Gravel Cabaret au Lion d’Or. Gravel exécutait un mouvement en demandant « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » et comme le public riait ou restait bouche bée ou était mal à l’aise tout dépendant du geste, il devenait clair que la danse a un effet et donc qu’elle a un sens. La danse est la cause; c’est dans le corps du spectateur que la conséquence se fait sentir. Il y a certains chorégraphes qui nous forcent parfois à parler de mouvement en nous offrant de la danse pure et dure. Je pense à Anne Teresa De Keersmaeker, Trisha Brown, Brian Brooks, Merce Cunningham, et Édouard Lock, par exemple. Que faire lorsqu’on est confronté à ce défi? Évidemment, comme je l’ai mentionné en introduction, il n’y a pas d’ordre d’entrée; mais voici quelques portes d’entrée possibles :
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Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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