Local Gestures
because the personal is cultural
Tout est à inventer tout le temps. Dans [mes] pièces, souvent les personnages ont le nom des acteurs qui les jouent parce qu’ils sont écrits sur mesure. Ce sont eux qui m’inspirent et ils ont aussi un gros mot à dire sur le texte, sur ce qu’ils livrent. J’écris des bases, mais on en discute beaucoup et il y a toujours place aux modifications. Le texte, ce n’est pas mon bébé. Beaucoup d’auteurs, c’est leur texte et c’est très précieux. Pour moi, c’est comme un chantier, le texte. Il est modifiable tout le temps. Même aujourd’hui (moins de deux semaines avant la première) on en a changé beaucoup pendant les répétitions pour qu’il soit plus précis et plus juste.
Il y a beaucoup de « peut-être » [dans mes textes]. Il y a souvent des « possible ». Mais ça dépend… Orphée Karaoké, c’était autre chose. C’était un texte compliqué. Quelqu’un qui recevait le scénario d’Orphée Karaoké ne comprenait rien parce que c’était tellement avec les spectateurs et tout ça. (Orphée Karaoké était un spectacle sans acteur.) On se construisait une machine. C’était plus des tableaux. Par exemple, pour Les Dévoilement simples, toute la pièce était écrite dans un tableau Excel. On avait fait la même chose sur Le sacre du printemps. C’était plus une partition qu’un texte. On invente à chaque fois comment écrire les affaires. Je travaille beaucoup sur le rituel. Il y a beaucoup d’actions performatives sur scène. Je ne sens pas de réticence [de la part des acteurs], mais je sens une difficulté, parce que c’est rare. Souvent, au théâtre, on parle et on fait les actions; tandis que dans mon théâtre, on présente l’action qu’on va faire, on lui donne du sens, ça devient une action poétique très codifiée et les acteurs ne sont pas habitués de faire ça. Ils y trouvent un plaisir, mais ce n’est pas une habitude ancrée dans la création québécoise. En ce moment [au théâtre], on évacue beaucoup le texte. Les années 90 ont été très sur le texte, 2000 aussi; puis, depuis 2010, le texte est évacué au profit de la performance ou du théâtre d’images, avec [Romeo] Castellucci et tout ça; ce qui est très bien, une influence plus européenne, mais je pense qu’on va avoir besoin d’un retour au texte, au moins pour que ce soit égal, en fait. On est bon là-dedans ici : c’est tout ou rien. Pour moi, ça dépend des spectacles. Nos spectacles muets, j’en suis très fier, je suis content, je trouve qu’il y a une dramaturgie importante, mais c’est bien aussi qu’il reste une écriture au théâtre, qu’il reste une parole. Ce n’est pas dépassé. [Un animal (mort)] est parti d’une réflexion; en ce moment, on essaie beaucoup de se bâtir une identité et on nous pousse vraiment à ça : devenir quelqu’un, définir notre identité, notre individu, ce qu’on est, et brandir ça comme quelque chose dont on est fier. Il peut y avoir quelque chose de très beau là-dedans, mais moi, je ne peux pas dire que je me connais, que je me comprends totalement. Au début du processus d’écriture, j’étais dans un vertige; c’était un blues de Noël où je sentais que je ne m’habitais pas. Il y avait une distance entre ce que j’étais et ce que je pensais être, puis je me sentais vraiment déphasé. Je pense que c’est le genre de sentiment qu’on peut tous vivre des fois, de perte, de vertige. C’est faux qu’on a une identité définie. On est chargé de toutes les rencontres qu’on fait. On est plus acquis qu’inné, j’ai l’impression. On reçoit des affaires, puis ça nous forge. Je trouve qu’on est plus malléable qu’on dit qu’on est. Pour moi, c’était important de parler de ça parce que je trouve qu’on n’en parle pas assez sur nos scènes. On brandit souvent notre identité, même notre identité québécoise – « c’est quoi l’identité? » – on est vraiment sur des grosses questions identitaires en ce moment au Québec, et je trouve qu’on n’est pas capable de se définir non plus et c’est normal. On est malléable. On vit dans un monde malléable. De donner la chance à des personnages de mourir et de se réinventer et de renaître, je trouvais ça beau. En même temps, on a assumé que ça ne marchait pas. Dans le texte, il y a une faille. On n’a pas construit l’utopie parce qu’on ne se détache jamais totalement de nos défauts et de nos obsessions. On reste toujours un peu le même; l’enfant qu’on a été et l’adulte qui essaie de se construire par-dessus. Mais j’aime les petites failles et les petits trous, la faille de ne pas réussir totalement et d’être pris dans cette espèce de crise. On est parti d’un conte indochinois où les personnages mourraient tous quatre fois et ce n’était pas quelque chose de grave. La mort et la renaissance était une action dramatique simple. Je trouvais ça vraiment intéressant et c’est pas mal juste ce qu’on a gardé du conte, ce mouvement-là. Ça ressemble aussi un peu à nous. On tue toujours une partie de nous pour devenir quelque chose d’autre. C’est comme ça qu’on grandit et qu’on vieillit. On cherchait à avoir un espace scénographique pour recréer la nature, où il y a ce processus de vie et de mort qui coexistent. Ce système de vie et de mort qui se réengendre, on a essayé de le placer dans la scénographie, dans la mise en scène. C’est pour ça qu’on est arrivé à un espace d’herbes hautes, à la ligne des yeux des spectateurs. C’est un espace où les choses peuvent émerger et naître facilement, et en même temps les choses peuvent mourir avec calme. On peut avoir des disparitions où tu te couches dans le foin et tu es mort, puis c’est quelque chose d’autre qui peut émerger. Comme dans la nature, ce n’est pas trop violent. D’avoir à écrire ça m’a permis d’avoir une réflexion sur ce qui m’entoure et de délaisser ce stress-là de « devenir ». On dirait que ça laisse un peu plus d’espace… Pas besoin de rentrer dans les petites boîtes qu’on essaie de nous faire rentrer dedans. Pour moi, on est expansif et c’est beau. Un animal (mort) 8-26 mars www.theatredaujourdhui.qc.ca 514.282.3900 Billets : 27$ / 30 ans et moins : 23$
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Audrey Rochette mène une carrière parallèle de chorégraphe et d'interprète. Depuis sa sortie de l'École de Danse Contemporaine de Montréal, ses pièces Poros (2010), In Vitraux (2013), A Rift in the Wall (2013) et CAKE (2012 et 2014) ont été diffusées à Tangente, au Festival Phenomena, au Théâtre Mainline et à Zone Homa. En tant qu'interprète, Audrey collabore aux projets de Kondition Pluriel pour European/ Mobile/ Dome/ Lab et Enjeux. Elle a dansé pour Lucie Grégoire, Isabelle Boulanger, Rosie Contant, Bruno Dufort et Vanessa Bousquet.
Quel a été ton premier amour en danse? Meg Stuart. Je me rappelle du sentiment innommable que j'ai eu en regardant une captation sur VHS de sa performance solo soft wear au FIND... Ça a tout changé. Et, fait intéressant, les artistes qui ont influencé ma pratique et avec qui je sens un lien filial très puissant ont souvent travaillé soit directement avec elle ou avec des artistes qui ont gravité autour d'elle, comme Benoît Lachambre, sans que je ne le sache en premier lieu. Je trouve fascinants les liens indicibles qui se tissent entre des artistes, les pratiques qui se répondent, l'effet papillon que ça crée. C'est complètement abstrait et si concret en même temps. De quoi es-tu le plus fière? D'avoir suivi mon instinct. D'avoir réuni cette belle et folle équipe-là. D'avoir gardé ma tête de cochon malgré les obstacles quant à la faisabilité de la production de CAKE, même si parfois je me trouvais cinglée de continuer. D'y avoir cru, même si ce projet-là, sur papier, ne se peut pas d'un point de vue rationnel et n'entre dans aucune case. Quel est ton rapport à la critique? La critique est essentielle, l'art vivant étant éphémère. Ça reste une des preuves que l'œuvre a existé et de l'accueil qui lui a été réservé. La critique est à prendre avec un recul historique. Après, je trouve qu'aujourd'hui, on a perdu une part d'analyse au profit d'une promotion déguisée. La critique devrait pour moi avoir comme vocation première de positionner l'œuvre dans le paysage culturel. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd'hui? De ponts; à la fois entre les générations d'artistes, les individus qui les composent et leurs démarches, mais aussi entre ses différentes sphères et structures. La danse a besoin de solidarité. De courage et de fierté aussi. Parce qu'il faut continuer de défendre notre place dans le monde et éduquer les gens sur l'importance de la culture. Mais ça, on ne peut pas le faire en se regardant les pieds, tête baissée, chacun dans son coin. Je rêve d'un mouvement rassembleur où on cesse de protéger son patrimoine personnel au profit d'un plus grand bien commun, pour bâtir de nouvelles bases. Si on t'en donnait les moyens, quel fantasme de danse te paierais-tu? J'en ai plusieurs... Une masse de gens sur scène. 30 personnes au moins. Un centre d'artistes, un grand local bien fenêtré pour répéter, qui accueillerait des artistes locaux et internationaux. Qu'est-ce qui te motive à continuer à faire de l'art? L'urgence. D'agir sur le monde, de rencontrer l'autre à travers l'œuvre. L'art est l'une des rares manifestations de la libre-pensée, et ça, ça vaut très cher ces temps-ci. C'est encore le seul moyen que j'ai trouvé de vivre en paix avec l'absurdité du monde. A minimalist at heart, Dorian Nuskind-Oder’s compositions emerge from a process that emphasizes economy of means and physical precision. Conceptual, but not cold, her work searches for poetic complexity through the cultivation of simple but ambiguous images. After completing her training at New York University and the Merce Cunningham Studio, Dorian worked as a freelance dancer and video editor in New York from 2004 until 2009, when she relocated to Montreal. Upon her arrival in Quebec, Dorian began collaborating with visual artist Simon Grenier-Poirier under the company name Delicate Beast. Supported by organizations like the Conseil des Arts de Montréal, Circuit-Est Centre Chorégraphique, Studio 303, and Tangente, the company has created four works, which have been presented in Montreal, Quebec City, Halifax, Boston, and Nottingham (UK).
Why do you move? It's pretty simple, actually: I move because it feels good and connects me to my body and the bodies of those around me. Also, it's virtually impossible for me to be dancing and thinking about my e-mail at the same time. What are you most proud of? In general, I have a lot of admiration for my own and other artists’ capacity to continue to create in the face of frequent rejection. I recently told someone that this sense of resilience is our superpower, and I totally believe that. What or who was your first dance love? I remember seeing John Jasperse's work for the first time at the American Dance Festival in 1999. I was sixteen. Up to that point, my training had been in classical ballet, and I had always felt like a bit of an outsider. Seeing John's work – which is really meticulous and prickly and sensual and cerebral – that was the first time I looked at a choreography and felt genuinely engaged. What does dance most need today? More time, less product. How do you feel about dance criticism? It is a process I am a part of, not something that is being done to me. Given the means, which dance fantasy would you fulfill? I'd build an Art Farm, a retreat in the woods where artists can come and work for intensive periods of time, while also hanging out with horses and dogs, and taking walks through wide open fields. I like living in the city, but I create more productively in places where I can see the horizon. I also like the idea of having a space that I could share with many other people. What motivates you to keep making art? The social nature of performance-making and performance-watching are super important to me. Both require a level of vulnerability and risk-taking that I otherwise would not experience in my day-to-day life. Looking at and making art requires a practice of remaining open and curious in the face of strangeness or not understanding. This practice feels important both to my own life and to society as a whole. Memory Palace February 25-28 www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Tickets: 23$ / Students: 19$ Marie Béland a complété un baccalauréat en danse à l’UQÀM, où elle a reçu la bourse d’excellence William Douglas. En 2005, elle fonde sa propre compagnie, maribé – sors de ce corps, avec laquelle elle a produit une série d’œuvres singulières où l’indiscipline s’organise avec précision et esprit; d’abord maribé – live in Montréal (2005), puis Twis-manivelle (2005), estimé par le journal ICI comme un des cinq meilleurs spectacles de danse de l’année. Suivent ensuite Dieu ne t’a pas créé juste pour danser (2008), qui reçoit le prix ARRIMAGES; RAYON X : a true decoy story (2010); BEHIND : une danse dont vous êtes le héros (2010); Vie et mort de l’élégance (2012), qui a remporté la médaille d’argent aux Jeux de la Francophonie; BLEU – VERT – ROUGE (2013); Révélations (2014); et BETWEEN (2015). Elle est également membre fondateur de la maison de production La 2e Porte à Gauche. En 2009, elle fonde avec deux collègues musiciens le collectif Le P.I.Q.U.A.N.T. (Le Projet Indisciplinaire Québécois Utilisant les Arts Nécessaires à son Travail), dont le premier spectacle, ÉPONYME (fake-fiction), a remporté le prix Création Francophone de l’Année au Festival Fringe. Elle est aussi auteure et chanteuse dans le groupe rock Chacal-radar. Quel a été ton premier amour en danse? Quand j’avais 14 ans, j’ai suivi mon premier cours de danse en milieu scolaire à mon école secondaire. Au premier cours, la professeure nous a fait improviser sur une série de musiques instrumentales, puis à la fin sur une chanson de Nirvana. Ça a été comme un appel très fort. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai compris que la danse pouvait revêtir différentes esthétiques et que, quelque part, il y en avait une qui pouvait me ressembler. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? On dit souvent que mon travail est ludique, et ça, je ne peux plus l’entendre! Ce n’est pas que c’est faux, au contraire, mais il y a dans le mot ludique une aura de légèreté, d’insouciance, qui s’apparente aux activités gratuites, sans ancrage ou sans fondement. Or, c’est tout le contraire de ce que je souhaite faire. Pour moi le jeu, c’est sérieux! Un jeu est structuré, il a un cadre, des règles, il demande pour être activé que chacun endosse son rôle, mais aussi fasse des coups, déjoue, invente. Il demande à ce qu’on s’implique, qu’on soit créatif, qu’on repère les agencements, qu’on manipule les limites, qu’on soit intelligent. À mon sens, il n’y a pas grand-chose de léger et gratuit là-dedans; c’est plutôt un des grands apports de l’art, comme du jeu, à notre société : cette possibilité de se mettre au défi, parfois même en danger, et de capitaliser sur cette expérience, de lui permettre de forger la personne que nous sommes. Ce qui est léger et sans conséquence, c’est le dénouement. On peut perdre au jeu ou voir un spectacle sans intérêt, et on n’en mourra pas. Quel est ton rapport à la critique? Il est très ambigu, car je ne sais plus aujourd’hui quel rôle joue ou peut jouer la critique en danse. Avec la disparition quasi totale des critiques de spectacle de danse dans les médias de masse, qui sont également en péril (comme certains journaux), je ne sais plus quel est le rôle de la critique, quel est son ancrage, son pouvoir. Je ne lis jamais les critiques des autres spectacles, je n’ai pas vraiment le temps ni l’intérêt pour ça. J’ai le sentiment que les bons billets sur un spectacle concourent à développer son aura, faire courir le bruit comme quoi c’est «à voir»; mais souvent, le temps que la nouvelle se répande, le spectacle est terminé. Quand j’ai commencé il y a 12 ans, je la prenais très au sérieux et ça me touchait. Aujourd’hui, je lis les critiques comme des avis de spectateurs, comme un feedback sur l’œuvre venant d’un spectateur averti. Je suis contente de les lire, je les partage sur les réseaux sociaux, ils deviennent comme partie prenante du réseau qui entoure l’œuvre. Ils se résument souvent à la décrire (et volent parfois des punchs de mon spectacle!), et proposent peu de mises en contexte ou de perspectives historiques ou esthétiques. Je ne les entends plus comme des voix d’autorité. De quoi es-tu le plus fière? Chaque fois que je ressens de la fierté, c’est quand les autres (le public, les pairs, les critiques) reconnaissent dans mon travail quelque chose qui n’est qu’à moi, qui est si singulier qu’il est caractéristique de mes œuvres. Je ne ressens pas le besoin de parler de moi dans mes œuvres, mais je souhaite que ma façon de parler, elle, soit unique. Ça me rend fière quand ça arrive parce que ça signifie pour moi que j’ai réussi à dépasser les lieux communs de mon médium, de ma pratique, à m’approprier assez les paramètres de la danse pour qu’ils soient au service des questions que je pose. Pour moi, c’est un signe de maturité dans le parcours d’un artiste. Je suis aussi très fière des gens qui travaillent avec moi, les interprètes avec qui je collabore surtout. Je suis fière de montrer au public l’œuvre comme étant notre acte de collaboration, comme une trace de la qualité des gens qui sont rassemblés autour de mon projet, comme le résultat d’un commun accord. Je trouve que ça allume une petite lumière dans la grande noirceur des conflits. De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui? Je ne sais pas si je peux répondre à cette question, mais je peux dire ce dont j’ai eu besoin pour comprendre ma danse. J’ai eu plus de facilité à me positionner à partir du moment où j’ai pu distinguer deux choses : la danse et la chorégraphie, la danse et l’art contemporain. Distinguer le mouvement dansé et son organisation chorégraphique (on peut danser sans chorégraphie, comme dans un bar, et on peut chorégraphier autre chose que de la danse, comme le mouvement d’un objet), et renforcer ce que la danse contemporaine a de contemporain, comment elle est une plus proche parente de la philosophie de l’art contemporain que de la danse dans son sens large (je pense ici à des pratiques de la danse plus commerciales, comme celles que nous voyons à la télévision). Si ces précisions m’ont aidé à me positionner comme artiste, alors peut-être qu’on peut dire que c’est ce qu’on a besoin pour la danse : de savoir mieux en parler, avec précision, sous plusieurs angles, en en déterminant mieux les esthétiques et les partis-pris, pour faciliter son accès, sinon inciter le public à s’y frotter. La danse a besoin qu’on développe notre discours à son sujet. Mais ça, on le sait déjà, car je pense que c’est déjà en train de se faire, peu à peu. Si on t’en donnait les moyens, quel fantasme de danse te paierais-tu? Celui de faire vivre mes œuvres plus longtemps. Je vis très mal avec l’aspect éphémère de mon médium. Je trouve désolant de travailler pendant un an, souvent plus, et de présenter la pièce trois fois. Si c’était en mon pouvoir, je ferais moins d’œuvres, mais je prolongerais leur durée de vie, je les confronterais plus souvent au public, je les laisserais prendre de la maturité, se transformer, vieillir au contact des gens. Les spectacles de danse contemporaine ont très souvent une plus longue vie dans l’intimité du studio qu’en présence des spectateurs pour lesquels ils ont été pensés. Ça ne revient pas à dire que chaque œuvre que l’on crée a un contenu assez fort pour durer, mais j’ai senti parfois dans le passé que certaines de mes pièces auraient pu vivre plus longtemps si ce n’était d’enjeux économiques. Je sens parfois qu’on est dans une logique de créer/jeter qui crée un débalancement écologique. Je ne suis pas certaine que la voie muséale est une solution pour la danse mais, si j’en avais les moyens, j’aimerais rétablir l’équilibre entre les temps de création et les temps de présentation. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Quand je pense à cette question, je pense plutôt à ce qui m’empêche d’arrêter; parce qu’au final, il y a mille raisons de laisser tomber une job si exigeante et qui rapporte si peu, où on se fait plus souvent décourager que valoriser. Qu’est-ce qui me manquerait fondamentalement si j’arrêtais? Le moment de la représentation qui me motive beaucoup. Je trouve ça extrêmement gratifiant de construire un objet, de le complexifier, de le structurer dans ses mille ramifications de sens et de sensations, de le partager ensuite avec les autres et que ces autres en reçoivent quelque chose, y voient quelque chose, y pigent quelque chose. Ça devient une façon de se reconnaître et de se parler entre humains. Il y a dans ça un aspect communautaire qui me pousse, qui m’incite à continuer. Je retrouve aussi l’idée de communauté dans les groupes qui se forment autour de la création d’une œuvre. Cette communauté temporaire autour d’un projet de création a une force à peine visible de l’extérieur, mais en fait c’est souvent très intense ce que nous vivons lors des processus de création. Ça nous unit et ça nous soude. Notre complicité dépasse souvent celles de simples collègues. Je ne sais pas si je pourrais retrouver cela ailleurs, si je quittais l’art. Finalement, je vois encore dans une certaine pratique artistique l’artisanat, c’est-à-dire faire œuvre en-dehors du contexte industriel, comme un des derniers bastions de résistance au système capitaliste qui peut agir de l’intérieur, un des derniers espaces où les lois ne sont pas tout à fait les mêmes que celles qui rythment le reste de nos vies; un peu plus d’ouverture, un peu plus de flexibilité, un peu plus de créativité et de prise de risques. Juste pour ça, ça vaut la peine de continuer. BEHIND… & BETWEEN
17-19 février à 20h www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets: 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins: 20$ Dans les années 90, il y a eu un boom de films sur la réalité virtuelle : The Lawnmower Man (1992), Ghost in the Machine (1993), Brainscan (1994) et Strange Days (1995), pour ne nommer que ceux-là. Avec Symphonie 5.1, la chorégraphe Isabelle Van Grimde nous replonge dans ce monde en alliant projection et interactivité; grâce à l’abandon des conventions narratives que la danse nous offre, le spectacle est heureusement moins moralisateur que les films ci-haut mentionnés.
La danseuse Marie-Eve Lafontaine est première en scène. La projection frappe le sol, mais un trou noir se dessine sous elle, créant l’illusion qu’elle pourrait s’y enfoncer comme dans du sable mouvant. Autre trompe-l’œil : la projection donne une impression d’épaisseur contre le plancher noir, tel un tapis. Au début, la projection et la musique de Tim Brady et Thom Gossage sont intimement reliées puisque cette dernière consiste en un son continu, comme ce fil qui glisse contre les cordes d’une guitare durant toute la performance d’Umwelt de Maguy Marin. Deux lignes de lumière traversent l’avant-scène. Georges-Nicolas Tremblay se joint à Lafontaine et la ligne semble se déplacer sur leur corps, mais non, c’est leur corps qui fait glisser la lumière alors que leur colonne s’ondule. Ici, il y a symbiose entre projection et mouvement. Toutefois, assez tôt, je me questionne déjà sur la danse dans ce paysage. Honnêtement, je me fous un peu du mouvement des interprètes. Je me demande même pourquoi ils dansent autant. Leur mouvement est souvent rapide, mais à peine visible dans la pénombre. Les corps se dédoublent : d’abord virtuellement, dans des projections qui, contre le noir de la scène, rappellent les films de danse de Norman McLaren (Pas de deux, Ballet Adagio, Narcissus); ensuite, alors que deux jeunes danseurs, Samaël Maurice et Maya Robitaille-Lopez (12 et 14 ans), se joignent à ceux déjà en scène. Il y a même quelque chose de virtuel dans l’immobilité des interprètes se tenant debout derrière les écrans translucides, comme s’ils n’étaient que l’ombre d’eux-mêmes. Puis une tache lumineuse suit Lafontaine, la transformant en proie nocturne sous les yeux d’un gigantesque hibou. Une certitude s’installe : la musique n’est pas assez forte (et je n’aurais pas pu être plus près d’un haut-parleur). Ici, ce n’est pas assez pour elle de se faufiler dans nos oreilles; elle devrait nous enrober comme la projection enveloppe les interprètes. Assis à la dernière rangée, je peux tout de même entendre les danseurs. Pour certains spectacles récemment présentés à l’Usine C, on offrait aux spectateurs des bouchons d’oreilles. On aurait dû faire la même chose ici et mettre le son dans le tapis. Le cerveau est divisé entre l’onirique et le physique, chacun tirant de son côté, de sorte qu’on demeure dans un certain entre-deux, qu’on se ramasse à aller nulle part. Nous restons dans une salle de spectacle à observer une performance où des éléments disparates parviennent rarement à entrer en synchro. On dirait que les interprètes sont en compétition avec la technologie tellement leur mouvement est frénétique, désespéré même, et avec raison : ils sont en train de perdre la partie. Malgré la base interactive de la projection, je me surprends même à penser qu’ils sont parfois carrément de trop. Symphonie 5.1 est à son meilleur lorsque les danseurs animent la projection de leur corps, cet écran mouvant. 27-29 janvier à 20h & 30 janvier à 16h www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$
Avec Au sein des plus raides vertus, la chorégraphe Catherine Gaudet continue de résister à une représentation simpliste de l’humain, le pendule oscillant entre le divin et le monstrueux. À notre entrée en salle, les quatre interprètes (Dany Desjardins, Francis Ducharme, Caroline Gravel, Annik Hamel) sont déjà sur scène, nous offrant la suggestion de leurs dos nus dans la pénombre. Une musique d’ambiance aux allures de trame sonore ralentie nous plonge dans un monde sous-marin. Les danseurs entament un chant choral.
Desjardins se pogne le paquet. La musique peut être aussi spirituelle que nous voulons, notre corps ne s’évapore pas pour autant. La beauté de leur chant contraste avec la déformation que les visages de Hamel et Ducharme subissent. L’extase crée la laideur. Ducharme s’assoit sur le sol, le bras tendu vers le haut, vers rien, vers la mort, comme s’il était le sujet d’une peinture classique implorant la clémence de Dieu. Les danseurs épousent souvent des poses dramatiques, comme s’ils étaient interrompus dans le mouvement. Les deux femmes se tapent à tour de rôle. La bassesse, la petitesse de l’humain commence à transparaître. Dans ces contrastes, Au sein n’est pas sans rappeler tauberbach d’Alain Platel, qui faisait aussi appel au chant choral. Toutefois, le portrait de l’humain que Gaudet propose nous paraît plus pessimiste. C’est que Platel illustre le côté sombre de l’humanité en situant ses personnages dans un dépotoir. La beauté de leur chant, provenant de l’intérieur, est contrastée avec la laideur de leur environnement. Dans Au sein, c’est l’inverse : la scène épurée consiste en un carré gris entouré de tubes de lumière blanche; c’est de l’intérieur que la noirceur émane. Cette petite scène carrée – nous nous remémorons celle vue une semaine plus tôt pour 4-OR de Manuel Roque – contribue à la dramatisation de l’espace. Les danseurs n’en sortent jamais, de sorte qu’ils demeurent constamment dans le centre de notre champ de vision, demandant toute notre attention. De chaque côté, quatre rideaux entrecoupent la scène, inutiles puisqu’il n’y a aucune entrée ou sortie de scène à dissimuler; ils ne servent qu’à signifier le théâtre. De plus, les spectateurs disparaissent dans le noir, l’éclairage ne tombant que sur les interprètes. Souvent, le regard de ces derniers se tourne vers le public. Chaque spectateur pourrait être convaincu que c’est lui qu’on regarde. « Qu’est-ce que ça te fait quand je fais ça? » Cette question revient, d’abord alors que les danseurs manipulent le corps les uns des autres. Lorsqu’ils continuent de la répéter alors qu’ils ne se touchent même pas, nous nous rendons compte qu’elle s’adresse plutôt aux spectateurs. Nous pourrions parler de l’effet de la danse, mais la question pourrait aussi paraître comme une préoccupation morale; sauf que les interprètes ne semblent pas particulièrement intéressés par notre réponse. « On regarde avec les yeux du cœur, » rappelle Desjardins, comme si cette phrase n’était pas un non-sens, à ses bêtes rampantes qui accablent des spectateurs imaginaires d’insultes sur leur apparence. La relation n’est pas autant entre les interprètes qu’avec le public. Nous pourrions déduire que les quatre danseurs ne représentent en fait les tensions au sein d’un seul et même être. Au sein des plus raides vertus représente pour Gaudet une grande avancée vers la maîtrise de la mise en scène. Nous attendons l’entrée des boxeurs. Nous sommes assis des quatre côtés d’une scène carrée surélevée d’une dizaine de centimètres à peine, un pâturage vert pomme étroit. C’est un à un que les quatre interprètes de 4-OR, nouvelle création du chorégraphe Manuel Roque, foulent la scène : Lucie Vigneault, Indiana Escach, Mark Eden-Towle, Sophie Corriveau, chacun portant des vêtements de sport rivalisant de mauvais goût.
Leur danse se déploie dans une dizaine de positions répétées en canon, comme si la Levée des conflits de Boris Charmatz (FTA, 2013) se frottait au minimalisme de Nicolas Cantin. (Peter James, collaborateur de Cantin, signe d’ailleurs la dramaturgie de 4-OR.) La séquence initiale se reconstruit au gré des interprètes par la suite, conservant parfois le décalage du début, tombant par autres moments dans une synchronisation accidentelle ou voulue. Notre attention délaisse le spectacle pour un instant et, à notre retour quelques secondes plus tard, force est de constater que nous ne retrouvons pas ce que nous avons quitté. Confrontés à l’illusion que nous sommes toujours en train de regarder la même chose, nous sommes toujours en train de rater quelque chose. Les mouvements sont toujours les mêmes mais la chorégraphie n’est jamais pareille. Comme c’était le cas avec Charmatz, nous pensons à Wavelength, le film expérimental pseudo-minimaliste du cinéaste canadien Michael Snow. L’association est d’autant plus appropriée ici : comme trame sonore, Roque nous offre des enregistrements sur le terrain – souffles dans le micro inclus – dont un de vagues. Assistons-nous au spectacle le plus exigeant de Roque? Puis, de nulle part, la musique de la chanteuse d’origine cubaine Celia Cruz, tellement en décalé avec ce que nous regardons que certains spectateurs éclatent de rire. À peine deux semaines plus tôt, les chorégraphes Hanako Hoshimi-Caines et Maria Kefirova utilisaient la même technique pour The Paradise, proposition tout aussi minimaliste. Noir. Un nouvel éclairage offert par une seule ampoule suspendue au-dessus de la scène révèle de la fumée. Contraste avec l’univers précédent. Exit la danse, entre le théâtre. Corriveau, maintenant accoutrée d’un chandail angora rose, joue avec une vache et un dinosaure en plastique. Escach se dandine sous le tapis vert. Eden-Towle apparaît en caleçon et en veston. Portant un collant vert, torse nu, Vigneault applaudit au ralenti avec ses gigantesques gants de Mickey Mouse. De façon surprenante, Escach émerge de sous le tapis, arborant une robe qui reflète la lumière en pépites d’arcs-en-ciel. Dans une danse aguicheuse, son bassin décrit des cercles alors qu’il n’y a rien de séduisant à ce qui se passe autour d’elle. Nous sommes dans un monde d’apparence. La juxtaposition inexplicable d’éléments hétéroclites se manifeste telle une fracture psychique. Le moment qu’il nous séduit avec un brin de magie inattendu, Roque nous plonge dans le noir final. Le vilain. Je l’aime. 3-6 décembre www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Billets : 23$ / Étudiants : 19$
The Paradise
November 19-22 www.tangente.qc.ca 514.871.2224 Tickets: 23$ / Students: 19$ About the photographer: Meryem Yildiz was born in Montreal. She is found in translation, writing and photography. www.meryemyildiz.com In September 2015, Montreal choreographer Gérard Reyes presented his solo The Principle of Pleasure at Théâtre La Chapelle. What follows are excerpts from a conversation Reyes and I had after the end of the show’s run.
SYLVAIN VERSTRICHT The section of The Principle of Pleasure where you danced for the person sitting on the chair was especially potent for me because in that moment we (the audience) became voyeurs, which oddly I didn’t feel we were before that point. A question that kept popping up in my mind during the show, which might sound absurd though I don’t think it actually is, was “Are we just spectators?” What is the role of the audience in The Principle of Pleasure? GÉRARD REYES From my experience as a seasoned concert dancer, I was sick of the conventional separation between audience and performer in a theatre, whereby the audience places primacy on the artist, yet the artist refuses to truly acknowledge the audience until the end of the show. There is a latent potential for exchange there! While I was conceiving The Principle of Pleasure, I was attending various performative events and spaces that were new to me – trans bars, female strip clubs, BDSM/fetish events, queer parties, vogue balls – each with its own code of conduct. These codes opened me up to consider a more equitable and fulfilling relationship between the ‘audience’ and ‘performer’ that is based on shared responsibility and communication. I propose a situation, encourage the audience to choose a role/perspective which speaks to them within it and hope that it will mutate over the course of the show: spectator, client, voyeur, performer, lover, dom, sub, friend, person, etc. There is another dimension to the audience. It is both inside (live participants) and outside the theatre (i.e. on social media such as Facebook, Instagram, Twitter and wherever else people decide to post photos and videos they take during the show). VERSTRICHT Speaking of Instagram, the image is a huge part of the show; there are two mirrors onstage, two photographers, one videographer, and – as you mentioned – audience members are also invited to take pictures with their cell phones. Why did you decide to set the performance in that environment? REYES Yes, image is a part of the show, but it is only the most superficial layer of the work. I use the elements you mentioned as well as others (mirrors, chairs, cameras, lighting, humans) to create images, define space and create proximity in order to allow for more intimate relationships to emerge between the audience and myself. That is where my greater interest lies. The reason I allow photos during the show is four-fold: 1) to give the audience the freedom to make choices; 2) to invite the audience to enter into a more active relationship with me and their surroundings; 3) to subvert conventions; and 4) to play with the idea of celebrity. I want to make the theatre a more inviting place to be, where people can relax and be themselves. One of my strategies is to allow the audience to do what they do all the time when they’re not in the theatre – talk, move around, stand, sit, use their phones. I want to address the audience as individuals and encourage them to express themselves. Hopefully some will come to the realization that behaviour is a choice. We have more control than we think over ourselves and any given space. Our individual choices help inform the choices of those around us. VERSTRICHT A big part of the way you also play with celebrity is by using Janet Jackson songs throughout the show, not to mention that she also provides you with the title for the piece. There have been quite a few works recently where queer and/or fem men have emulated pop stars (Beyonce is a particularly popular one these days). I’ve been wondering if it’s because, as a fem man in our culture, the highest level of celebrity one can seemingly aspire to is to be on RuPaul's Drag Race. It sort of makes me think about karaoke and how it’s an opportunity for people, if only for a moment, to sing as if they were their favourite pop star. It also plays into ball culture and how people who had really hard lives could act like divas for a day. This is a difficult question because it extends beyond you, but I was wondering if you could talk about what your personal reasons were for playing with the idea of celebrity... REYES We feel we “know” celebrities by their regular appearances on magazine covers and the banal details they share about their lives. But the physical and emotional distance they maintain from their fans actually gives them a power that makes them appear elusive, unique and desirable. I play with the cliché of this kind of celebrity at the beginning of my piece by presenting an extroverted character who is not embarrassed about displaying his body or showing self-appreciation or being filmed or photographed. But I want the external image of celebrity that opens my piece to fade to the background of the more multidimensional personas who the audience encounters once we are all on stage together. These personas I created embody the deeper layers of my sexuality, imagination, pleasure and desire that I have discovered and cultivated over the last few years. They are glamorous and physically attractive, nevertheless they are not shallow. Rather they are personable, generous and open to sharing their intimacy with whoever is willing to come along. VERSTRICHT Do you know Robert St-Amour? He's basically the best dance spectator. He goes to see a lot of shows and almost always writes a little something about them on Facebook after. After seeing your piece, he wrote “Les premiers moments sont inconfortables (pour moi), mais peu à peu, ‘j’apprivoise la bête’ ou je dirais plutôt que ‘la bête m’a appprivoisé’. La suite devient agréable et je suis presque déçu de reprendre ma place pour la fin de la présentation.” When I read that, I realized how important queer performance still is. Maybe sometimes, as queer people, we take it for granted. REYES I want to respond to St-Amour’s comment about my solo – that he was uncomfortable at first but then “the beast” (i.e. I) tamed him. It is indeed my intention to softly confront the audience but with the hope that they will overcome their fear. If they feel uncomfortable with my revealing costume or being on stage with me or in a moment when my eyes meet theirs, then the non-judgemental environment that I create is propitious for them to feel their discomfort and let go of it (if they so choose). |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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