Local Gestures
because the personal is cultural
1. Tragédie, Olivier Dubois (Danse Danse)
Avec son opus pour dix-huit danseurs nus, Dubois a abordé les grands thèmes (le passage du temps, la mortalité, la petitesse de la vie humaine, le rôle de l’art, l’humanité) en prenant son temps, en n’empruntant aucun raccourci facile, en laissant le sens émerger de lui-même. 2. Uncanny Valley Stuff, Dana Michel (Usine C) Avec Uncanny Valley Stuff, Michel a continué sa recherche entamée avec Yellow Towel, spectacle qui figure dans le top dix du magazine new-yorkais Time Out et pour lequel le prestigieux festival ImPulsTanz a créé un prix spécialement pour elle. Sa nouvelle courte pièce est toute aussi incisive mais encore plus drôle. En empilant les clichés sur les Noirs jusqu’à ce qu’ils s’entremêlent et se contredisent, Michel démontre l’absurdité de ces stéréotypes qui nous présentent une vision déformée du monde. 3. Antigone Sr.: Twenty Looks or Paris Is Burning at the Judson Church (L), Trajal Harrell (Festival TransAmériques) Antigone Sr. a probablement été le spectacle de danse qui a créé le plus de divisions cette année. On pourrait diviser le public en trois : ceux qui ont quitté la salle, ceux qui sont restés assis les bras croisés, et ceux qui se sont levés pour danser. Il n’est donc pas surprenant que le spectacle se retrouve dans mon palmarès. Il faut dire que je suis queer et que j’ai une affinité pour la danse post-moderne, ce qui me donne une double porte d’entrée sur le sujet. Pour ceux qui n’ont pas eu l’endurance nécessaire pour passer à travers ce défilé de mode DIY de deux heures, il serait bon de noter que les plus grands bals qui ont inspiré la pièce pouvaient durer jusqu’à dix heures de temps; comptez-vous chanceux! Peut-être comprenez-vous maintenant un peu mieux ce que c’est que de se sentir aliéné par la culture dominante. 4. Monsters, Angels and Aliens Are Not a Substitute for Spirituality…, Andrew Tay (OFFTA) Pour être honnête, lorsque j’ai vu la nouvelle pièce de Tay, qui vire de plus en plus dans le performance art, je me suis demandé si j’étais en train de regarder un artiste perdre la tête sur scène ou si Tay était en contrôle de son art. J’étais évidemment assez intrigué pour découvrir la réponse avec Summoning Aesthetics qu’il a ensuite présenté avec François Lalumière au Festival Phénomena. Conclusion : Tay continue dans la même veine ritualiste, sachant clairement dans quelle direction il va même s’il ne connaît pas nécessairement sa destination. J’ai admiré qu’il ait pris la décision de terminer Monsters sur une note différente de ce qu’il avait prévu pendant la représentation même. La misogynie latente qui avait l’habitude d’hanter ses pièces est disparue. Ce qui demeure est son ludisme, son humour et son ouverture aux expériences, peu importe ce qu’elles s’avèrent être. Si je me souviens bien, un spectateur avait qualifié Summoning Aesthetics « d’honnêteté perverse. » Cela me semble aussi approprié. 5. Built to Last, Meg Stuart (Festival TransAmériques) Avec Built to Last, Stuart (qui a reçu le Grand Prix de la Danse de Montréal) a abordé des thèmes similaires à ceux de Tragédie d’Olivier Dubois, mais de façon beaucoup plus théâtrale. En juxtaposant un immense mobile de notre système solaire avec une maquette d’un tyrannosaure et la danse contemporaine avec la musique classique, Stuart a démontré l’insignifiance des actions humaines et que notre seule rédemption possible se trouve dans l’art. 6. Florilège, Margie Gillis (Agora de la danse) Pour célébrer ses quarante ans de carrière, Gillis nous a offert cinq pièces de son répertoire revisitant les années 1978 à 1997. Par le fait même, elle nous a rappelé pourquoi elle est devenue une danseuse de telle renommée. L’intangible se manifeste à travers son corps, soulignant la fragilité de l’humain dans un univers chaotique. 7. Mange-moi, Andréane Leclerc (Tangente) Leclerc a utilisé la contorsion et la nudité pour aborder les relations de pouvoir entre les individus lorsque notre survie dépend des autres. Qu’elle puisse s’attaquer à de telles questions tout en offrant une des pièces les plus sensorielles de l’année démontre l’intelligence de son travail. 8. Tête-à-Tête, Stéphane Gladyszewski (Agora de la danse) Ma réaction à ma sortie de cette pièce de quinze minutes pour un seul spectateur à la fois : on doit donner à Gladyszewski tout l’argent dont il a besoin pour réaliser ses projets. Aucun autre chorégraphe n’arrive à intégrer la technologie avec autant d’adresse. Tête-à-Tête était à la fois intime, inquiétant et magique. 9. The Nutcracker, Maria Kefirova (Tangente) L’excentrique Kefirova a troqué l’écran vidéo pour des haut-parleurs et a démontré qu’elle maîtrise le son avec autant de flair que l’image. « Elle n’utilise pas le son pour meubler le silence comme le fond maints spectacles, mais pour matérialiser l’invisible, » disais-je. Difficile d’oublier la satisfaction ressentie lors de l’exutoire du tableau final, où Kefirova s’acharne à faire éclater des noix de Grenoble en morceaux en se servant de ses chaussures à talons hauts comme casse-noisette. 10. Junkyard/Paradis remix, Catherine Vidal (Usine C) J’espère avoir assez établi le fait que je suis un fan fini de Mélanie Demers pour pouvoir dire ceci (qui, je crois, n’est pas l’opinion populaire) : Junkyard/Paradis est probablement sa pièce que j’aime le moins. Lors de l’événement MAYDAY remix, où la chorégraphe a laissé des artistes remixer son travail, la metteure en scène Catherine Vidal a donné au spectacle la structure dramatique qu’il méritait avec une fin des plus jubilatoires. 11. loveloss, Michael Trent (Agora de la danse) Extrait de ma critique : « Trent n’a toujours pas peur de prendre le temps qu’il faut. De plus, il évite ici l’humour, le théâtral et le mouvement séducteur (athlétique, rapide, synchronisé), toutes ces astuces que des chorégraphes moins confiants utilisent pour que leur dance soit plus accessible. L’interprétation est sentie sans être affectée. loveloss est une œuvre touchante … » 12. Milieu de nulle part, Jean-Sébastien Lourdais (Agora de la danse) Pour la performance de l’année, celle de Sophie Corriveau, qui s’est méritée la toute première résidence de création pour interprètes offerte par l’Agora de la danse. Notons que le diffuseur s’est démarqué avec une programmation solide pour une deuxième année consécutive.
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Un carré lumineux. Trois immenses sabliers suspendus au plafond d’où s’écoulent les grains jusqu’à nos pieds. Ils ne couleront pas indéfiniment. Après nous avoir surpris en 2010 avec It’s about time: 60 dances in 60 minutes, un spectacle aussi conceptuel que ludique, le chorégraphe torontois Michael Trent nous emmène dans une nouvelle direction avec loveloss. L’interprète Simon Portigal entre seul en scène avec ces trois collines de sable qui grossissent tranquillement autour de lui. Ce sont ses bras qui guident le reste de son corps, mais eux-mêmes ne semblent trop sûrs où aller. Ils y vont au feeling, mais avec de plus en plus de certitude. Ellen Furey se joint à Portigal. Elle porte un pendentif. C’est un détail mineur, mais obsédant. Pour des raisons évidentes, les danseurs n’ont pas l’habitude de porter des bijoux sur scène. Ce rien imprègne une histoire dans son corps. Que signifie-t-il pour elle? Robert Abubo approche le plancher à son tour. Le carré blanc qui recouvre celui-ci n’est que du papier qui plisse sous le poids des danseurs. La rupture semble inévitable et pourtant c’est réconfortant. Le papier est fragile. Il est supposé se fracturer. C’est dans l’ordre des choses. À l’arrivée d’Amanda Acorn, on remarque que chaque interprète épouse la gestuelle de leurs partenaires lors de leur entrée sur scène. Par ce procédé d’imitation, ils semblent essayer le mouvement, comme s’ils pouvaient ainsi possiblement comprendre celui de qui il origine. Peut-être que celui qui était là avant a trouvé la solution aux problèmes que rencontrent ceux qui suivent. Benjamin Kamino complète le groupe. Après avoir enterré Portigal sous le sable, tous les danseurs explorent l’espace les yeux fermés, ce qui rappelle une scène du documentaire Encounters at the End of the World de Werner Herzog : des hommes vivant en Arctique qui tentent de trouver l’un des leurs en portant des lunettes noires pour simuler l’aveuglement qu’ils devraient confronter lors de poudrerie. La nécessité d’apprivoiser la noirceur avant qu’elle se manifeste pour pouvoir mieux la naviguer. L’une des rares qualités que loveloss partage avec It’s about time est que Trent n'a toujours pas peur de prendre le temps qu'il faut. De plus, il évite ici l’humour, le théâtral et le mouvement séducteur (athlétique, rapide, synchronisé), toutes ces astuces que des chorégraphes moins confiants utilisent pour que leur danse soit plus accessible. L’interprétation est sentie sans être affectée. loveloss est une œuvre touchante, le premier vrai bon spectacle de danse présenté à Montréal cette année. 12-14 février à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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