Local Gestures
because the personal is cultural
SYLVAIN VERSTRICHT : Tes pièces Grand singe et Belle manière étaient des duos axés sur le couple hétérosexuel. Pour Mygale, tu avais deux fois plus d'interprètes et, même s'ils évoluaient surtout indépendamment, il y avait une certaine tension due à leur proximité. Comment as-tu approché créer un spectacle avec une seule interprète? NICOLAS CANTIN : Ce projet est une rencontre entre deux personnes : Michèle Febvre et moi. C'est pourquoi, depuis le départ, je ne vois pas CHEESE comme un solo, mais comme un dialogue qui se jouerait à plusieurs niveaux. La première chose que j'ai demandée à Michèle Febvre lorsque nous nous sommes retrouvés en studio a été : parle-moi de toi. Dès notre premier rdv, j'ai aimé écouter Michèle. Petit à petit, un travail sur la mémoire a pris forme et des questions ont commencé à surgir : Qu'est-ce qui fait notre passé? Qu'est-ce qui reste de ce que nous avons été? Comment garder une image complète des personnes que nous avons connues? Qu'avons-nous oublié de nous? etc. SYLVAIN : Es-tu parti de ce dialogue pour créer la performance physique du spectacle ou est-ce que celle-ci est venue d'autre part? NICOLAS : L'objet que nous présentons est très simple. Le dialogue amorcé au début de notre recherche est le spectacle lui-même. Le spectacle tient tout entier dans cette parole (autobiographique) et dans les silences qui l'accompagnent. Il n'y a pas de performance physique à proprement parler, même si j'ai l'impression que le corps joue un rôle fort dans ce projet. SYLVAIN : Comme le spectacle fait partie d’un projet de recherche intergénérationnel initié par Katya Montaignac, vois-tu CHEESE comme une continuation de ton œuvre ou une parenthèse dans celle-ci? Qu'est-ce qui en fait un spectacle de toi, Nicolas Cantin? Est-ce que tu crois que ça va affecter d’une façon ou d’une autre ta propre recherche artistique en tant que metteur en scène/chorégraphe? NICOLAS : Je vois les commandes comme des accidents. CHEESE est un accident heureux. Ce projet me tient particulièrement à cœur car il élargit le spectre de ma recherche. C'est clairement un spectacle de moi car j'étais au volant de la voiture quand l'accident a eu lieu. Je ne peux pas dire mieux. À vrai dire, je pense que CHEESE pousse à un autre niveau mes obsessions sur la notion d'intimité, avec peut-être davantage de tranquillité. Ce projet affecte déjà la suite des choses. J'ai l'impression qu'un nouveau chapitre s'ouvre. 27-30 novembre à 19h Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Billets : 25$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$
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Two Times Soft, de Maarten van der Put & Pauline Roelants D’un néon à un autre, aux quatre coins du corps, la lumière froide révèle un plancher bleu. La danseuse Pauline Roelants y est étendue, comme endormie. Elle ouvre les yeux. Entre ses jambes, une centaine de verres brisés. Son corps huilant se met en mouvement et les verres se déplacent autour d’elle, changent de formation en épousant sa forme serpentine. Elle trace son chemin dans ce labyrinthe de verre. Son pied, tel animé par un spasme pendant le sommeil, frappe des verres. Verre contre verre, le bruit crée une tension; la fragilité du verre est une menace pour la fragilité du corps. Briser l’un et l’autre risque de briser aussi. Les différentes formes de verres laissées par les bordures coupantes donnent à chacun d’entre eux une musicalité distincte. Fermez les yeux et vous pourriez croire entendre les notes d’un xylophone. Co(te)lette, d’Ann Van den Broek Bouge ton cul. Mets-toi à quatre pattes et bouge ton cul. En talons hauts, bouge ton cul. Dans ta petite robe blanche, bouge ton cul.
C’est ce que les trois interprètes de Co(te)lette nous mettent d’abord dans la face. Puis le cul s’affaisse, le bassin se contracte, et même s’il n’y a pas d’hommes sur la scène, on les sent partout. Lorsqu’on parle de Co(te)lette, on parle de deux performances simultanément : de la performance théâtrale et de la performance du genre. Les danseuses prennent des poses de mannequins, mais le font de façon robotique pour dénoter que tout ça n’est qu’artificiel, même leurs sourires synchronisés. L’une prétend caresser ses longs cheveux, même si ceux-ci sont dans un chignon. Elles viennent à la rencontre du public, s’écartent les jambes et baisent le plancher. Elles font signe du doigt : viens ici. On parle de deux performances simultanées parce que ce ne sont pas que les interprètes qui sont vus; même hors du théâtre, nous sommes tous vus. Notre comportement est toujours régenté de l’extérieur. On demande qu’elles affichent leur désir, qu’il soit réel ou non. C’est pour le bénéfice de ceux qui les regardent de toute façon. Et, comme on pourrait être vu à chaque instant, ce désir doit être ininterrompu. « Moi! » Les relations humaines sont transformées en compétition. Il faut imiter les autres femmes. Il faut être plus sexuelle qu’elles. Alors, peut-être aurons-nous la chance d’être choisie. Une femme est dévêtue, maltraitée et abandonnée devant le public, comme une offrande. Les trois présentent un de leur sein comme si elles étaient des hôtesses à The Price Is Right. On pourrait être dans un spectacle de danse ou dans un club. C’est la même chose; on est là pour être vu. On se balance d’une patte à l’autre et une fois de temps en temps on se fait tournoyer pour signifier qu’on a vraiment du fun, qu’on est le fun. On rit pour que les autres pensent qu’on les trouve drôles. On se saoule et la tristesse est exposée à mesure que la façade s’écroule. Elles se frappent le corps jusqu’à en être couvertes de rougeur. Notre réaction est viscérale. Leurs corps ne sont pas seulement vus; ils sont ressentis. Ils sont leurs corps. Il y a cette même tension dans ce geste du doigt qui pointe vers l’autre pour ensuite se retourner vers soi : vivre pour le regard de l’autre, mais dans l’impossibilité de s’anéantir. Two Times Soft 19-21 novembre à 19h Billets : 15-18$ Co(te)lette 19-21 novembre à 20h Billets : 24-30$ Usine C www.usine-c.com 514.521.4493 Un corps. Un corps nu. Le corps d’une femme, nu. Le corps de Sofia Asencio. Le plancher, noir, reflète l’image de la danseuse. Ne parlons pas d’un double. Parlons plutôt de la faculté unique que l’être humain possède de pouvoir se reconnaître. Parlons du moi. Assise, les jambes entrouvertes comme deux arcs, elle fait tourner son corps. Il est exposé. Il roule jusqu’à ce qu’elle sorte du plancher, qu’elle se heurte à la première rangée de spectateurs, des trois côtés de la scène. Reconnaître l’autre. Le corps nu est vu. La conscience. La danse est une forme d’exploration, lente et délibérée. Chaque mouvement est isolé; chaque position, aussi. Dans cette immobilité transitoire, le corps s’inscrit dans l’histoire de l’art. On pourrait y voir un sujet de peinture; la vulnérabilité du nu, exposée. Tout ceci se déroule dans le silence. Notre corps est plus bruyant que le sien. On s’entend respirer. On s’entend avaler. On s’entend bouger. Son corps nu est vu. La conscience. Asencio s’assoit sur un banc, toujours nue, et nous offre un mini-cours sur la métaphysique d’Aristote. Malheureusement, sa parole est moins délibérée que son mouvement. Elle trébuche sur les mots, les répète pour tenter une correction. La ponctuation semble répandue de façon arbitraire. Difficile de comprendre. Elle quitte la scène pour nous laisser observer un foulard accroché à un ventilateur danser sur la musique de Nina Simone. (Les chorégraphes ont vraiment une obsession avec cette chanteuse.) De par sa simplicité, Introduction à l’introduction est le genre de spectacle qui devrait naturellement me plaire. Toutefois, il y a une lacune qui empêche l’œuvre de s’imposer. Peut-être que le solo sur plancher-miroir nous rappelle Lanx de Cindy Van Acker, qui était beaucoup plus dense. Peut-être que le mini-cours devrait précéder la danse, comme l’avait fait Jody Hegel et Jana Jevtovic avec The Parcel Project, performance toute aussi simple, mais beaucoup plus rafraichissante. Close, but no cigar. 6-8 novembre à 20h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 20$ Je suis critique de danse parce qu’il y a huit ans j’ai eu la chance de voir Carol Prieur incarner les dessins d’Henri Michaux. Aujourd’hui, ce sont les douze danseurs de la Compagnie Marie Chouinard qui se prêtent à l’exercice. Malgré les centaines de spectacles de danse que j’ai vus entre ces deux moments, l’effet demeure saisissant. Tentative d’explication. Henri Michaux : Mouvements Chouinard et ses danseurs font une lecture littérale des dessins à l’encre de Chine des Mouvements de Michaux. Non. Impossible. Ils font une traduction littérale de ses dessins. Mot à mot. Dessin à danse. D’un médium à un autre. Tout ne peut être qu’interprétation. Ce travail de traduction infuse la chorégraphie de positions, de mouvements inhabituels. Rien n’est, ne peut être littéral. Pour suivre ces instructions au pied de la lettre, il faut faire preuve d’imagination. C’est ça, la danse. À partir de contraintes, trouver des solutions créatives à travers le corps. Le corps est souvent perçu comme étant la prison de l’âme. La danse le nie. Elle lui donne sa liberté. Sans lui, rien. La prison, c’est le non-être; le non-corps. Mais, oui, lecture il y a. Lecture dans le corps. La course effrénée, de gauche à droite, de haut en bas, pour suivre l’ordre des dessins sur la page. Le temps de tourner la page : la brève attente, l’anticipation. What next? Le désir de lire. Gymnopédies Chouinard sort les Gymnopédies d’Erik Satie des annonces de salon funéraire et les emmène dans le Jardin d’Éden. Début de cocons; naissance des danseurs, nus. Des pointes, des jambes écartées, des genoux formants des angles de 90 degrés, un pont humain, une image rappelant bODY-rEMIX/les vARIATIONS gOLDBERG, autre œuvre de la chorégraphe. Parade de séduction avec une certaine dose d’autodérision. Merci, nez de clown! Danse animale, rituel d’accouplement, ébats amoureux, d’abord très hétéro, très sexuel, comme c’est souvent le cas chez Chouinard. La lumière comme fruit défendu : les danseurs sont vus, comme ils l’étaient déjà; ce qui change, c’est qu’ils voient qu’ils sont vus. La perte de l’innocence. Ils se cachent sous leurs couvertures. Retour au cocon. Renaissance qui demande qu’on renouvelle notre regard, qu’on se défasse de nos attitudes face à la nudité, au sexe, de notre fausse pudeur catholique. Rideau. Non. Fausse fin. Série de fausses fins. C’est drôle. Je me disais que les danseurs, qui ont dû apprendre à jouer les Gymnopédies au piano, doivent être écœurés de les entendre. C’est la version mélancolique de la chanson qui ne finit plus. Ce semble à propos que le spectacle ne finisse plus non plus. 31 octobre-2 novembre à 20h Théâtre Maisonneuve www.dansedanse.ca 514.842.2112 / 1.866.842.2112 Billets à partir de 34$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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