Local Gestures
because the personal is cultural
Et si la sonnerie de votre téléphone était le battement de votre cœur? Pourquoi pas? Après tout, la technologie est une extension du corps humain. C’est dans le mot. Téléphone : ma voix où je ne suis pas. Dans The Nutcracker, le nouveau solo de Maria Kefirova qui n’a rien à voir avec le ballet classique, la technologie est ce décalage dans l’espace qui demeure toutefois intimement lié au corps. Après avoir maîtrisé la vidéo, Kefirova s’entoure maintenant de haut-parleurs de différentes grosseurs. En début de pièce, elle ouvre la bouche, qui apparaît comme un tunnel, un passage de l’intérieur à l’extérieur. Le haut-parleur à échelle humaine. « Entrez. » Ou de l’extérieur à l’intérieur. Le poing brandi comme pour cogner à une porte, les jambes écartées, elle se déplace à petits sauts. Avec ses mouvements maladroits, la chorégraphie de Kefirova dégage toujours cet humour qu’on lui connaît, sans jamais avoir besoin de le souligner. Dans Attention, présenté l’an dernier lors des Projets du 3ème de l’Usine C, Kefirova utilisait un écran vidéo pour cacher la majorité de la performance de la vue des spectateurs. On retrouve ici une version miniaturisée de l’obstruction scénographique, un panneau de contre-plaqué en arrière-scène qui dissimule brièvement son corps lorsqu’elle passe derrière et, on le découvre plus tard, un autre haut-parleur. À l’avant-scène, elle récolte deux micros qu’elle frotte contre ses jambes tremblantes, chose que le chorégraphe George Stamos aussi aime bien faire. Alors qu’elle combat un adversaire imaginaire à coups de poing, les micros se heurtent à l’air avec vacarme. Ces exagérations sonores pourraient nous rappeler Playtime de Jacques Tati. Elle n’utilise pas le son pour meubler le silence comme le fond maints spectacles, mais pour matérialiser l’invisible. Ces sons du corps mais hors du corps sont perçus comme désincarnation ou débordement. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle nous demande « Please don’t look at me; just next to me. » Et elle sort les noix de Grenoble, qu’elle répand autour de son corps. Les images se multiplient : d’abord, ces cadavres dont les policiers marquent la position à la craie; ensuite, Hansel et Gretel qui parsèment leur chemin de pierres ou de miettes de pain; enfin, une constellation de corps qui prend des noix de Grenoble pour étoiles. Dans chaque cas, l’éphémère se prolonge un peu dans le temps. À mesure que la vitesse augmente, la notion de jeu suit. D’un haut-parleur à un autre, la voix préenregistrée de Kefirova lui donne des directives de déplacements dans l’espace. Elle tente de recréer son parcours antérieur en se basant sur ses mots, mais la transition d’un espace à l’autre et d’un haut-parleur à l’autre a un effet déroutant. « Side. » Lequel? « Closer. » De quoi? « The closer you get, the closer you get. » Aussi évident que déconcertant. Elle balance un haut-parleur suspendu à un câble et tente de s’y approcher le plus possible sans jamais entrer en collision avec celui-ci, quitte à faire un move de limbo. Elle entoure le haut-parleur de ses bras tel un partenaire de danse. Lorsque nous écoutons de la musique à travers nos écouteurs, dansons-nous tous avec nous-mêmes? Les noix craquent sous ses pieds. Elle enfile des chaussures à talons hauts et continue son travail de casse-noisette, aussi compulsive que si elle s’attaquait à du papier bulle. Elle s’acharne sur les noix qui lui échappent en roulant de sous ses chaussures et semble extrêmement satisfaite lorsqu’elles éclatent enfin. L’activité est un exutoire où toutes les frustrations peuvent s’échapper du corps. Le jeu se transforme en travail et elle ne le fait pas à moitié, quitte à repousser la fin. Derrière elle, Kefirova laisse avec ses coquilles cassées sa trace de Gretel : son corps où il n’est pas. La chorégraphe continue de fasciner. The Nutcracker est le spectacle de danse le plus solide que j’ai vu au cours des derniers mois. 30 janvier-1er février à 19h30; 2 février à 16h Monument-National www.tangente.qc.ca 514.871.2224 / 1.866.844.2172 Billets : 22$ / Étudiants : 18$
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SYLVAIN VERSTRICHT : Dans ta pièce précédente, Gently Crumbling, tu avais une distribution quasi-exclusivement féminine. Pour ton nouveau spectacle, La valeur des choses, tu t'es entouré d'hommes, et ce même si dans les deux cas les thématiques de ton travail ne semblaient pas nécessiter un genre ou l'autre. Qu'est-ce qui a guidé tes choix pour la sélection des interprètes? JACQUES POULIN-DENIS : C'est vrai que le casting de La valeur des choses est directement en lien et en contraste avec celle de Gently Crumbling. Peut-être un peu en réaction d'abord, j'ai voulu faire une œuvre contraire. Quand j'ai conçu VDC, j'avais l'envie de continuer à explorer différentes configurations chorégraphiques. J'avais créé un spectacle solo (Cible de Dieu), une pièce de grand ensemble, 12 interprètes (DORS) et le trio féminin de Gently Crumbling. J'étais certainement attiré par un nouveau contexte de création que je n'avais pas encore explorer, celui d'une distribution entièrement masculine. J'ai donc amorcé la création de VDC en voulant essayer une nouvelle méthode. Le facteur le plus important était celui du temps. Je n'ai jamais étalé un processus sur une aussi longue période de temps, 18 mois. Durant les différentes étapes et résidences de créations, l'équipe et les objectifs ont changés souvent, allant de solo à sextet. J'ai invité plusieurs interprètes à différentes reprises afin d'informer le travail, et d'ouvrir la recherche. Je voulais que « la pièce me dise ce dont elle avait besoin », plutôt que de m'imposer très tôt une certaine configuration. Je dirais que la collaboration avec James Gnam était un des piliers de la distribution. Je l'ai rencontré durant l'été 2012 avec le projet trypticque organisé par Circuit Est, le Vancouver Dance Center et Operaestate, et j'ai su très tôt que je voulais qu'il fasse partie de cette création. Malgré le fait qu'il réside à Vancouver, nous avons été très chanceux et avons souvent pu nous retrouver pour faire avancer la création, grâce à des résidences à Berlin, à Montréal, à Vancouver et à Victoria. J'aime la collaboration avec James car il est un frère artistique. Il suit facilement le fil de mes idées et son mouvement m'inspire beaucoup. Il s'approprie n'importe quelle idée, aussi vague soit-elle, et la transforme en une proposition chorégraphique claire. Francis d'Octobre aussi était de la partie depuis le début car j'ai d'abord voulu m'entourer d'amis et on se connait depuis une quinzaine d'années. Francis avait contribué à la musique de Gently Crumbling. Comme je voulais que le processus d'exploration soit très vivant et changeant, l'implication de Francis était clé car il travaillait en directe avec nous, avec les instruments qui nous inspiraient à chaque étape. Improvisateur aguerri, il a composé d'innombrables musiques depuis les premiers pas de la création. Jo est le dernier venu. Son arrivée est venue clore la phase de recherche et confirmer la phase de création. Avec lui, j'ai senti que la distribution était complète. Il a des qualités et des aptitudes bien différentes de celle de James et moi, et il apporte une profondeur humaine, une authenticité crue. 21-25 janvier à 20h Théâtre La Chapelle www.lachapelle.org 514.843.7738 Billets : 29$ / Étudiants : 25$ Du 15 au 17 janvier et du 12 au 14 mars, le danseur et chorégraphe Manuel Roque présentera Projet In situ, un solo inédit crée spécialement pour l'Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts. Pour l'occasion, retour sur une entrevue avec l'artiste alors qu'il s'apprêtait à danser un autre solo, Des deux dans la nuit de Marie Chouinard. De la France au Canada, du cirque à la danse. Ce sont des transitions qui pourraient ne pas paraître évidentes pour plusieurs, et pourtant le danseur Manuel Roque en parle comme si c’était une progression tout à fait naturelle. « Tous les éléments étaient là pour que je passe à la danse, » me dit-il. Il fait une formation préparatoire en cirque en France avant d’être admis à l’École nationale de cirque à Montréal. Après deux ans et demie de formation comme acrobate aérien, il joint le Cirque Éloize. Reconnaissant probablement les forces de chacun, les mondes du cirque et de la danse ont tendance à se frotter l’un contre l’autre à Montréal. Alors que Roque participe au spectacle Cirque Orchestra, il est entouré de figures de la danse : Alain Francoeur est metteur en scène; Johanne Madore, chorégraphe; et Lucie Vigneault, danseuse. Cette dernière relation transcendera le professionnel. Les deux sont depuis devenus « proches, proches, proches. » Après avoir partagé la scène une fois de plus cette année dans 4quART, ils travaillent maintenant sur un duo signé Roque. C’est il y a moins de dix ans que Roque fait officiellement la transition à la danse en participant à deux spectacles, l’un de Dominique Porte, l’autre d’Hélène Langevin. Même s’il a depuis multiplié les expériences professionnelles (avec Paul-André Fortier, Sylvain Émard, et Paula de Vasconcelos), son entrée dans l’univers de Marie Chouinard en 2006 souligne la particularité de la chorégraphe. « C’était quelque chose de complètement différent, beaucoup plus sur le ressenti, beaucoup plus sur des trucs cinétiques, puis un travail de colonne… Même physiquement, c’était assez différent de ce que j’avais fait dans ma carrière. » L’audition s’est elle aussi avérée hors norme pour une compagnie de l’envergure de celle de Chouinard. La chorégraphe cherchait à remplacer le danseur David Rancourt, qui quittait la compagnie. Dans la même journée, le nom de Roque arrive aux oreilles de Chouinard trois fois. « Elle m’a appelé, puis j’ai passé une audition, mais je ne m’attendais vraiment à rien. C’était vraiment une chance énorme, puis j’y allais un peu pour ça, pour la rencontre avec Marie… Puis ça l’a marché tout de suite. » Il cancelle deux ans de projets pour se joindre à la compagnie, où il passe trois ans à temps plein. Il part en tournée avec bODY_rEMIX, Chorale, Les 24 Préludes de Chopin, Le Sacre du printemps, Les Trous du ciel, et participe à la création d’Orphée et Eurydice. Pour célébrer les vingt ans de la compagnie, Chouinard lui fait preuve d’une grande confiance en lui offrant le premier solo qu’elle a crée pour un homme (Elijah Brown, en 1999), Des feux dans la nuit. « Les univers de Marie, physiquement, c’est chargé; émotionnellement, c’est chargé. Ça fait que c’est un gros défi. C’est un marathon parce qu’il y a quinze [shows] en ligne. Mais c’est un cadeau en même temps. Pour un danseur, c’est… » Les mots lui manquent et l’air s’échappe de sa bouche. Ceux qui sont familiers avec l’univers de Chouinard seront peut-être surpris par Des feux dans la nuit. « Il y a des différences dans l’énergie. C’est une pièce hyper méditative, hyper contemplative. Ce n’est pas un show qui est extraverti comme ses œuvres peuvent l’être. C’est un show plus sur l’intimité, sur quelque chose de fragile. Pour moi, c’est une méditation. Ce n’est pas un exutoire ou quelque chose d’hyper démonstratif. C’est hyper sensible. » Est-ce que cela signifie que l’aspect sexuel, typique chez Chouinard, n’y est pas aussi prononcé? « Elle parle de pulsions, d’organique, de l‘humain, puis c’est sûr que la sexualité fait partie de ça, d’une pulsion animale. Ça fait qu’il y en a dans le solo, mais ce n’est pas appuyé, ce n’est pas in your face comme dans Orphée, par exemple. Le registre est beaucoup plus poétique, beaucoup plus viscéral. » J’essaie de comprendre comment on arrive à l’intimité, un terme que j’associe aux relations, lorsqu’on se trouve seul sur scène. Roque m’éclaire : « C’est comment, comme spectateur, tu entres dans une petite bulle, la petite bulle d’un humain. Et ça, c’est la base de tout solo, je pense. C’est quelque chose de plus intime, plus personnel, plus singulier. » Projet In situ 15-17 janvier & 12-14 mars à 17h Espace culturel Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts http://laplacedesarts.com/spectacles/12953/projet-in-situ.fr.html 514.842.2112 / 1.866.842.2112 Gratuit |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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